Ils n'ont pas protesté

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Quand je suis allé dire aux pauvres gars de la 98ème division qu'ils retournaient au front, ils n'ont pas protesté. 

Deux jours. 

Cela ne faisait que deux jours qu'ils avaient quitté l'horreur du champ de bataille. Et ils retournaient déjà. 

Je m'attendais à ce qu'ils résistent, à ce qu'ils crient, à ce qu'ils pleurent, comme le gars de l'autre fois, qui était devenu complètement fou. 

Fou de terreur. 

Mais pas assez fou pour retourner en enfer de son plein gré. 

C'était pas la première, que j'en voyais, des hommes comme ça. Ils ruaient se débattaient, hurlaient comme des possédés. 

Ce n'était pas la première fois non plus, que j'en voyais, des hommes qui acceptaient sans broncher de se jeter dans les fusillades et les bombardements.

Mais ça m'impressionnait toujours autant. 

Les gars de la 98ème division m'ont regardé. Leur regard était empli des cris des camarades qui se faisaient mitrailler sous leur yeux, des bombardements qui leur faisaient passer des nuits blanches, de la viande de rat qu'ils étaient obligés de manger pour ne pas mourir de faim, de la peur de mourir à chaque instant. 

Ils étaient emplis de la trace de la guerre. 

Et pourtant, ils n'ont pas protesté. Sans un mot, ils ont rassemblé leurs affaires, ajusté leur uniforme et donné des accolades à leurs camarades qui avaient la chance de rester ici. Puis ils m'ont serré la main, à moi, et, tout en repartant en enfer, ils se sont retournés et m'ont dit :

-Tu vas voir. On va leur montrer, à ces Boches. On va leur montrer qu'on est peut-être des crevards, mais sûrement pas des lâches.

Ces gars-là, je ne les ai plus revu. Ils sont tous morts dans un bombardement non loin de là, quelques jours à peine après leur départ. Le seul qui avait survécu est décédé de ses blessures quelques heures plus tard.

Ces soldats-là, on ne se souviendra pas d'eux. Ils ne sont ni hauts placés, ni importants pour la société. Ils ne sont que de la chair à canon, des pions que leurs supérieurs avaient sacrifié pour un lopin de terre.

Ils ne sont rien. 

Seulement des héros anonymes, qui n'ont pas protesté lorsqu'on leur a demandé de retourner se battre pour leur patrie.

La fleur au fusilWhere stories live. Discover now