Point de vue de Sarah
Cette nuit fût courte, absolument pas reposante, et trop mouvementée à mon goût. Entre mon rêve sur Raphaël et mon frère défoncé qui me réveille, je ne sais pas ce qui m'a le plus dérangé. En me levant je me dirige directement vers ma chambre pour savoir dans quel état est Clem.
C'est simple : il n'est plus là. Pas de maquillage aujourd'hui, je n'ai pas le temps, ce qui me déprime un peu plus.
Une fois arrivée, je rejoins directement mes amis. Je regarde si je peux trouver Clem dans les alentours, mais rien du tout. D'un coup je croise le regard de Raphaël. Il me lance un sourire pour me saluer et je me sens automatiquement gênée, c'est comme s'il savait. Je n'arrête pas de me répéter que non, tout va bien, personne n'a idée de ce qu'il se passe dans ma tête.
Et si quelqu'un savait lire dans les pensées ?
Je perds toute objectivité d'un coup. Par chance la sonnerie retentit et les cours commencent. J'enchaîne tous mes cours durant une longue matinée avant d'aller en anglais. Je m'assois à côté de Damien en soupirant.
— T'as réussi les exercices ? C'était super chiant.
Oh merde les exercices ...
Après le dîner d'hier soir, je me suis directement couchée et je n'ai pas pensé à finir mes devoirs.
— Je les avais complètement oubliés ! Elle va me tuer, déjà qu'elle ne m'aime pas.
— Tient on a un peu de temps avant qu'elle arrive, recopie les miens.
Je ne peux masquer ma surprise. Je comprends pourquoi il est avec Eva, qui se ressemble s'assemble. Je prends son cahier et écrit toutes ses phrases que je ne comprends même pas. Je n'ai jamais été aussi rapide, alors je termine avant même que la prof arrive.
— Je suis désolée de mon retard, commence-t-elle, les Sixième mettent du temps à ranger leurs affaires. Ça risque d'arriver souvent le mardi.
Pas de soucis, ça m'arrange bien madame.
Elle commence son cours et interroge des élèves pour corriger l'exercice. Je pense que j'irais voir Raphaël tout à l'heure pour savoir s'il a une idée d'où se trouve Clem. J'ai comme l'impression que je vais devoir jouer la grande sœur très souvent.
— Sarah, à toi.
Mon cœur se met à battre à la chamade. Je n'ai rien suivi et les phrases de mon cahier ne sont même pas les miennes. Pleins d'élèves lèvent la main, ce qui me met encore plus la pression. Damien me chuchote :
— La numéro 6.
— If you could visit a city which one would it be and why ? Heu, I would visit Barcelona to discover the Sagrada Familia and the beautiful Parc Güell. I would also go to the Pedrera to admire the art exhibitions and Gaudi's masterpiece.
Je n'ai aucune idée de ce que je viens de dire mais ça a l'air de lui plaire. Pendant que la prof me reprend sur des petites erreurs et ma prononciation je remercie Damien qui vient de me sauver la vie.
— Et toi Damien, qu'est-ce que tu as répondu à cette question ? demande Mme Collins.
Il ne peut pas lire sa réponse puisque c'est exactement ce que je viens de dire. Il ne peut pas non plus dire qu'il n'a rien fait sinon il va se faire virer de cours. Je croise les doigts pour pas qu'il me balance, ma journée est suffisamment catastrophique comme ça. Mon ventre se noue quand je réalise qu'elle pourrait me coller pour ça.
— I would go to New Orleans for the festive atmosphere and the amazing city. I would like to go in the French Quarter and Jackson Square to see artist. I also really enjoy music and this would be the opportunity to hear a lot of jazz.
Je me penche légèrement pour regarder son cahier, il n'a pas du tout écrit ça. Il vient de l'inventer ? Sérieusement, je suis la seule personne de cette planète à ne pas parler anglais ? Il se tourne vers moi et me fait un clin d'œil.
— Je t'ai sauvée.
— Bien joué, digne d'un vrai super-héros.
— Merci, ça me touche, j'ai toujours su qu'un superman se cachait en moi.
— Comment ça se fait que tu parles si bien anglais ?
Il rigole doucement.
— C'était plutôt basique comme phrase.
— Je suis vraiment si nulle que ça ?
— Ça finira par venir. Si t'as besoin d'aide, n'hésite pas à me demander.
— Je préfère t'éviter cette galère.
Je décide de me concentrer sur le cours, je ne me rendais pas compte d'à quel point mon niveau était bas.
À l'heure du déjeuner, Alix ne manque pas d'expliquer à tout le monde mon aventure durant le cours d'anglais. Honnêtement je n'y prête pas trop attention. J'ai passé la matinée à chercher mon frère ou un de ses amis, et ni l'un ni l'autre ne s'est pointé. D'un coup j'aperçois Raphaël, il est en train de sortir du self. Je me lève sans rien dire et range rapidement mon plateau. Je cours jusqu'à lui et l'interpelle, totalement essoufflée.
— Je suis désolée de te déranger, mais tu n'aurais pas vu Clem par hasard ?
— Non, il n'était pas là aujourd'hui. Pourquoi ?
— Et hier soir il était avec toi ? ajoute-je en ignorant sa question.
— Pas du tout, désolé.
— Et par pur hasard, il n'était pas avec toi un soir depuis la rentrée ?
Je vais me transformer en Sherlock Holmes, mais j'ai besoin de savoir où il passe son temps, et surtout avec qui.
— Encore non, répond-il en arquant un sourcil.
Je réalise alors que je dois l'embêter avec mes questions, alors je n'ai pas d'autre choix que d'abandonner.
— C'est pas grave.
Je le regarde s'éloigner et soupire. En me retournant, je tombe sur un grand blond.
— Qu'est-ce que tu fais ? m'interroge Gabriel. T'es partie comme une voleuse.
— Rien du tout, je lui demandais s'il savait qui prenait les devoirs pour mon frère, il est malade.
C'est la première fois de ma vie que je mens sans bégayer. Je ne sais pas si c'est bon signe, mais en tous cas c'est pratique.
— Oh, tu lui souhaiteras un bon rétablissement. Je dois déposer ça au secrétariat et régler un truc, tu m'accompagnes ?
— Bien sûr !
Une fois arrivés, nous remarquons que la secrétaire est occupée avec quelqu'un d'autre, alors nous nous asseyons pour l'attendre.
— Gab ? Je peux te parler d'un truc bizarre ?
— Ben oui, tu le sais bien.
— Cette nuit j'ai fait un rêve vraiment étrange.
— Ça t'arrive souvent ça non ? Je me souviens de ton histoire de chaussettes mangeuses de chats...
— Heu, ouais. C'était pas vraiment ça, lance-je en baissant d'un ton, c'était plutôt avec un mec.
— Un premier rêve érotique pour Sarah ? s'exclame-t-il joyeusement. Vous couchiez ensemble ?
— Crie-le encore plus fort ! m'exclame-je en lui tapant l'épaule. Et non pas vraiment on s'est juste embrassés mais c'est bizarre, je le connais à peine. Tu penses que ça veut dire quelque chose quand même ?
— C'était qui ?
— Un gars que tu ne connais pas. Je l'ai rencontré cet été, je lui ai parlé une seule fois et on ne s'est jamais revus.
Encore un mensonge, mais pour mon bien cette fois. Surtout qu'Alix l'aime vraiment bien je ne voudrais pas tout gâcher pour un rêve. La secrétaire passe devant nous en disant qu'elle revient vite, puis Gab reprend la conversation.
— Et t'as peur que ce soit un signe des dieux ou du destin ? se moque-t-il. C'est le genre de truc qui arrive souvent, je pense pas que ça veuille dire grand-chose. Sinon, je serais bien dans la merde. Peut-être qu'il t'a juste bien plu et ça t'as marquée. Mais ne t'en fais pas, vous n'allez pas vous marier pour autant.
— T'en parles à personne, hein ?
— Dommage, je me voyais bien faire une annonce au micro. Imagine : "Bonjour tout le monde, Sarah fait des rêves plutôt coquins, les filles faites attention à vos mecs"
— N'importe quoi arrête ça toi !
Je le tape en rigolant pour essayer de le faire taire.
— Pas de panique, ton secret est bien gardé. À condition que la prochaine fois j'ai les détails, ajoute-t-il en levant les sourcils.
— Tu me dégoûtes !
— Eh, c'est pas moi qui crée les scénarios, c'est ton esprit !
Je soupire, la secrétaire arrive alors Gab lui donne ses papiers et pose sa question. Nous finissons par retourner en cours.
Après cette longue journée je rentre chez moi en espérant tomber sur mon frère, mais une fois arrivée je croise ma mère.
— Tu as des nouvelles de Clem ? Le lycée a appelé il n'était pas en cours.
— Non, rien du tout, il ne répond pas. Maman, on ne peut pas le laisser comme ça.
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Il ne me répond pas non plus, je ne vais pas appeler la police, si ?
Elle a l'air complètement perdue.
— Peut-être qu'il ne compte pas rentrer parce qu'il a peur de ta réaction ?
— Il a bien raison ! Regarde-toi, tu réagis très bien au retour de Chris. Mais c'est toujours comme ça avec Clem, tout prend des dimensions cauchemardesques et on ne sait plus quoi faire pour l'aider...
Je ne l'écoute plus vraiment, son incapacité à nous comprendre ou à compatir me surprend. Elle remet la faute sur Clément en sachant pertinemment que c'est elle qui a perturbé l'équilibre qu'il avait enfin trouvé.
"Tu réagis très bien"
Et moi, elle m'ignore. D'un coup la porte s'ouvre et nous nous retournons en même temps. C'est Clem.
— Pas besoin d'en faire tout un plat, je sais. Je monte dans ma chambre et je suis privé de sortie.
Ma mère ne répond même pas, elle semble halluciner. D'un coup elle sort de ses pensées et monte les escaliers.
— Tu ne vas pas t'en tirer comme ça !
Je monte à mon tour et m'installe dans ma chambre pour travailler, ou du moins j'essaie. J'ai du mal à me concentrer avec les hurlements de mon frère et ma mère qui résonnent dans la pièce d'à côté.
Pour n'importe quelle famille "normale" ce genre de disputes peut sembler choquante mais c'est ce que j'ai plus ou moins toujours connu. Quand Chris est parti ma mère ne travaillait pas, pour être honnête on dépendait énormément de lui ce qui a provoqué beaucoup de problèmes financiers à son départ.
Ma mère a réussi à trouver un emploi mais elle travaillait sans arrêt pour un salaire insuffisant. Pendant des années, les disputes entre elle et mon frère étaient quotidiennes, même si elles étaient bien moins fortes que celles d'aujourd'hui. Le fait d'être abandonné si jeune ça laisse des traces, Clem a donc vu un psy pendant des années. Malgré tout il n'a jamais vraiment perdu le contrôle ou baissé les bras, au contraire il voulait être mieux que Chris.
J'ai été bien moins impactée par cet abandon, je me suis accrochée à Clément à la place et ai créé une forte dépendance. La situation était difficile et peu stable mais on se serrait les coudes, on a finalement réussi à s'en sortir.
Ma mère a ensuite grimpé les échelons et nous a toujours appris à ne jamais dépendre financièrement de quelqu'un d'autre. Tout était devenu parfait. Et depuis que Chris est là, on ne fait que replonger encore plus bas.