8 décembre.
Il fait froid.
Hier, Leïla a terminé The Queen's Gambit. Elle ne regrette pas l'achat de ce livre : il est incroyable. Elle espère pouvoir le relire dans quelques mois, quand elle aura oublié les petits détails de l'histoire. Si elle attend quelques années, elle pourra même tout redécouvrir, mais elle sait très bien qu'elle n'aura jamais la patience de faire ça.
Aujourd'hui, elle est devant son deuxième livre. Jane Eyre. Charlotte Brontë. Un classique qu'elle n'a toujours pas lu, elle, la dévoreuse de livres. Un classique qu'elle a acheté, non seulement parce qu'elle veut découvrir l'histoire, mais aussi pour la beauté de l'édition qui s'offrait à ses yeux, dans la librairie de M. Serrin.
Un livre qu'elle regrette maintenant d'avoir acheté.
C'est trop tôt.
Elle ne peut pas lire un livre dans lequel il y a une histoire d'amour.
Une histoire d'amour qui finit bien, contrairement à la sienne. Une histoire d'amour dans laquelle Edward Rochester n'abandonne pas Jane. Malgré les orages et les tempêtes de leur histoire d'amour, ils se retrouvent à la fin du livre. Elle n'a pas lu l'histoire, mais elle en connaît les grandes lignes. Et elle n'est pas prête à lire ces mots, ces mots qui seront comme un poignard lui rappelant qu'Alec Georgen, lui, l'a abandonné.
Aujourd'hui, elle est toute seule. Elle est à 11/10 sur l'échelle de Presnel. Aujourd'hui, elle se demande ce qu'elle fait encore là. Elle se demande ce qui lui reste, elle se demande pourquoi elle continue de se battre comme ça alors qu'elle n'en a plus aucune raison. Tous les autres se préparent pour les fêtes de fin d'année, qui malgré la pandémie, auront lieu comme chaque année. Il reste treize jours avant Noël, et Leïla n'a jamais eu aussi peu envie de vivre quelque chose. Comment pourrait-elle se plonger dans la magie de Noël alors que son cœur est en miettes ? Elle ne peut plus lire tous les livres qu'elle veut, elle ne peut plus regarder tout ce qu'elle veut : impossible de regarder l'un de ces films à l'eau de rose. Elle ne peut pas regarder les réseaux sans voir des photographies ou des messages qui parlent d'amour. Elle ne peut pas marcher dans la rue sans voir des couples main dans la main.
Leïla est fatiguée, fatiguée de ce monde qui tourne uniquement autour de l'amour. Fatiguée de sentir son cœur se serrer, s'écraser à chaque fois qu'elle y est confrontée.
Elle laisse Jane Eyre sur la table. Elle ne le lira pas aujourd'hui.