Ladies

By LauraTrompette

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Crystal, 26 ans, qui dessine des chaussures en rêvant de devenir une créatrice reconnue, vit seule avec son c... More

1. Eléonore
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15. Crystal ... (La suite en librairie le 2 avril 2015)

2. Crystal

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By LauraTrompette

 2. Crystal

« Le premier jour du reste de ma vie ». Cette phrase tourne en boucle dans ma boîte à pensées depuis que le réveil a brutalement mis fin à ma nuit. Si, en apparence, ce n’est que le lendemain de plus d’une soirée de débauche très arrosée, les papillons dans mon ventre et l’espoir qui coule dans mes veines – avec un reste de whisky – me confirment la singularité du moment. Je vais enfin entrer dans la cour des grands. Le vrai monde, loin des chaises de l’école de stylisme pleines de promesses en attente. Cette idée m’aide à me défaire de mon plaid bicolore dont la texture chaleureuse me donne le sentiment d’avoir ma propre fourrure, comme une seconde peau qui me rapproche de la condition animale.

La tête embrumée, je m’extirpe tant bien que mal de mon lit douillet, après avoir joui de mes traditionnelles dix minutes de mise en condition musicale avec Bob Marley. Et là, horreur, je pose mes orteils déjà congelés dans… une mare de vomi. Alceste, que je renommerais bien « Fous le camp » pour l’occasion, me regarde narquois depuis son coussin mauve, posé près du canapé. Ah, il veut jouer ? Parfait. Je décide d’opter pour le pire des affronts : l’indifférence. Sans un geste dans sa direction, je  marche vers la salle de bains pour me laver des restes baveux de croquettes.

L’appartement est petit, mais heureusement la salle de bains (pièce phare) est de belle taille. Ses murs couverts de miroirs, sa baignoire d’angle et son Velux donnant sur les toits de Paris lui confèrent un air d’antichambre de palace. Je souffle de soulagement : je préfère qu’Alceste se soit déchargé sur le parquet de la chambre plutôt que sur mes tapis à poils longs, qu’il a longtemps eu tendance à prendre pour des adversaires.

En savonnant mon corps frigorifié, je me dis qu’Alceste est parfois pire qu’un gosse. Sa vie de pacha, faite de ronrons et de miaou-miaou dans ce studio – devenu son antre plus que le mien –, ne semble jamais assez princière à son goût. Monsieur Chat-trop-gâté, qui ne supporte pas ses heures de solitude nocturne, me fait payer mes sorties tardives à coups de rendus gastriques et autres séances de boudin prolongées. Ce qu’il ignore, c’est qu’il en faudra plus pour gâcher cette journée que j’attends depuis si longtemps. Pendant qu’il ruminera mon dédain entre quatre murs, je gambaderai gaiement vers mon avenir, montée sur dix centimètres de talons.

Je me faufile jusqu’à la porte branlante de mon placard délabré, lequel occupe quasiment tout mon espace chambre (avec le king size bed, hein, il faut avoir le sens des priorités !), et pense à Carrie Bradshaw. Je me plais à imaginer que plus tard, peut-être, j’aurai un dressing flambant neuf pour ranger (et dorloter) les Manolo Blahnik qui auront alors remplacé les Minelli. En attendant, je fouille dans les tas pour trouver la tenue adéquate. Comment me vêtir pour briller dans la Tour de Modus ? Oui, j’aurais pu y penser plus tôt. Seulement, ces derniers temps, mon attention a été entièrement monopolisée par mon trentenaire du moment. Son charme ravageur, ses tablettes parfaites, ses attributs imposants et sa bouche – aimant de la mienne – me font perdre la raison… et le sens de l’organisation.

Focus : mes vêtements. Dans ce fatras, il faut que je déniche ce qui fera mouche chez Modus, à la fois auprès de la gent féminine guindée et exigeante et auprès du clan masculin basique au regard baladeur. La minijupe devrait faire l’affaire avec cette dernière et le pull sans décolleté plongeant m’évitera les foudres des éventuelles frustrées. J’ajoute à cela les bas couleurs chair, des sous-vêtements dénichés sur mon site fétiche Lemon Curve (être bien dans ses dessous donne des ailes) et l’Alma noir de Vuitton – merveille qui m’a obligée à manger de la salade verte et des pâtes pendant six mois.

Devant mon miroir couvert de buée, je suis heureuse de constater que – malgré mes galipettes endiablées dans une somptueuse suite de l’Hôtel Seven – j’ai conservé mon brushing d’hier soir. Reste maintenant à corriger mes cernes qui disent « Salut, je suis une fille légère n’ayant pas jugé bon de préparer son arrivée par une longue nuit de sommeil ». Je dessine sur mes paupières des traits noirs et des ombres grises, j’allonge mes cils façon Eva Longoria, je tapote mes joues de terracotta et je finis le travail par une touche de gloss orangé sur mes lèvres encore engourdies (oui, c’est bien ce que vous croyez).

Alceste n’a pas bougé d’un poil. Il fait semblant de dormir, mais j’ai noté ses mouvements de moustaches réguliers et ses oreilles en alerte, tantôt vers le bar de la cuisine américaine, tantôt vers la fenêtre qui ne filtre pas les bruits d’un Paris en éveil. Je l’ignore et remplis mon Alma adoré. Les clés, les lunettes noires d’assistante sérieuse, le stylo rouge-bimbo, le bloc-notes, la carte bleue (vivement la gold), la trousse de maquillage, le pass Navigo, le miroir, l’indispensable iPhone pour les sextos avec l’autre organe sur pattes, les cigarettes mentholées pour les pauses méritées : je suis parée.

J’enfile ma veste en cuir et mon écharpe anti-crève, j’évite soigneusement la mare de vomi que mes bottes supporteraient encore moins que mes pieds vernis et je souris en pensant que mon chat-roi se farcira l’odeur toute la journée. J’espère secrètement que cette punition – que je m’inflige aussi à moi-même, quand je retrouverai sa galette puante en rentrant ce soir – lui passera l’envie de recommencer. Le zouave a les narines fines. J’attrape en coup de vent mon parapluie anti-poils de fesses sur tignasse brushée, et je lui claque la porte de mes 30 m2 au nez.

Je quitte mon IIIe rassurant pour m’engouffrer dans un métro bondé, direction le XVIe chic. Mon casque audio vissé sur les oreilles, je m’isole au mieux de cette proximité écœurante de voix, de peaux et d’haleines. Je me plonge dans un roman de Sagan et dévore chaque ligne pour occulter le stress qui commence à prendre possession de moi. À peine calmée, je me redresse sur mes talons pour marcher jusqu’aux portes de mon destin. Je serre Sagan contre mon cœur pour me donner du courage et j’essaie de chanter à voix basse sur les notes de Céline Dion afin de réguler ma respiration qui s’emballe de seconde en seconde.

À l’accueil de la Tour – un desk circulaire imposant et tenu par deux créatures tout droit sorties de l’agence Élite – on m’envoie au septième. Vibrante d’impatience et d’anxiété, je monte et atterris dans un bureau immense, open-space quasi désert. Un type un peu bizarre, dégingandé, vient à mon secours.

– Hector Lape, du service marketing ! se présente-t-il en rejetant en arrière, dans un geste tout à fait loréalien, une mèche de cheveux décolorés.

Ses doigts longs et manucurés, son nœud pap’ style aristo décadent et sa façon de plisser le nez le trahissent immédiatement. « La fo-folle du service, oui ! » je songe en réfrénant un sourire.

– Tu es la nouvelle de la créa, c’est ça ? Le CDD de six mois alors qu’on est en pleine crise ? Félicitations ! Je te présente Andréas. Viens, on nous attend en salle de réu. Il manque encore du monde et certaines sont aux toilettes pour se refaire une beauté.

(Déjà à la coke à 9h du mat ?)

Andréas s’efface pour que je passe devant lui, et dans le couloir je sens son regard sur ma croupe venir compléter celui qui a précédemment balayé mon corps de la tête aux pieds. Même sans le dressing de mon idole de Sex and The City, j’ai dû réussir l’assemblage (ou l’emballage, comme on veut).

J’ôte mon cuir, que j’installe délicatement sur un dossier de siège, et pose mon postérieur sur la chaise qu’une quinquagénaire (de celle de la catégorie des frustrées vipères) – à la moue déjà inquisitrice – m’a montrée du doigt. J’observe discrètement la dizaine de personnes présentes et j’essaie de les deviner. C’est une de mes activités favorites : imaginer les personnalités et les vies qui se cachent derrière des apparences, des visages encore inconnus. Malheureusement, je suis coupée dans mon élan par le maître des lieux, Jean-Claude Viss, qui commence son brief matinal, visiblement agacé par l’absence d’une collaboratrice.

La retardataire n’est autre qu’Éléonore Wilde, directrice artistique que je dois seconder… Pas de bol. Pour le moment, on m’introduit à Barbara Carton, la quinqua défraîchie qui pue le café-clope et dont la figure ridée me donne envie de courir acheter une crème anti-âge. Je prie pour qu’Éléonore soit différente de cette directrice marketing et comme je l’ai rêvée : brillante, douce et féminine. C’est alors que déboule dans la salle une blonde aussi essoufflée que gênée mais d’une élégance à faire pâlir toutes les Barbara de ce monde. Perchée sur Stilettos et enroulée dans un trench, elle tente de s’en sortir en empruntant les yeux du chat dans Shrek. Jean-Claude Viss semble à la fois charmé et à bout de nerfs quand retentit – du fond de son sac à main – la Drôle de vie de Véronique Sanson. C’en est visiblement trop.

Il signale à celle qui ne peut être qu’Éléonore, mon Éléonore tant attendue, qu’elle devra se passer de mes services et que ce retard inexcusable sera sanctionné par mon affectation à une autre : Barbara. Je meurs. Je voudrais intervenir, me défendre, l’excuser elle, le supplier lui, mais bien sûr, je ravale ma frustration. Je me contente de jeter un sourire timide mais déjà complice à ce bout de femme au visage poupin. Elle bat des cils et se replonge, comme moi, dans son bloc-notes.

Alors que la réunion s’achève, j’emboîte le pas à Madame Carton, à regret, en me promettant que je trouverai le moyen de rejoindre Éléonore.

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