Ses doigts jouaient ensemble dans une nervosité palpable alors que ses yeux ne pouvaient quitter la couverture vieillie de son carnet de vie. Il n'était pas celui qui l'avait ressorti, il s'était promis de ne plus jamais le faire. Il avait toujours pensé qu'il était malsain de guetter les changements lorsqu'on les avait choisis. Alors il avait fermé à clef le tiroir qui renfermait le carnet depuis sa naissance et avait posé la clef en haut de son armoire, persuadé qu'il résisterait à la tentation de la reprendre pour se pencher une fois de plus sur les nouveaux chiffres qui s'affichaient sur la page jaunit.
Il était fier de ne pas avoir craqué, il se découvrait une grande patience. Car il en avait eu envie, de nombreuses fois, depuis qu'il s'était réveillé dans sa chambre d'hôpital et que Hyunjin lui avait annoncé le départ de Minho. Il avait eu envie de savoir combien de temps il lui restait avant de mourir, combien de chances il aurait de retrouver le noiraud.
Minho n'avait pas véritablement disparu, bien sûr. Il s'était enfermé chez lui et avait refusé de voir Chan à chaque fois qu'il s'y était rendu. Changbin avait bien essayé de lui venir en aide, mais il semblerait que Minho ait refusé de le voir aussi. Le plus petit lui avait avoué, en sortant alors que le soleil était bas dans le ciel pour le prier de partir et de revenir un autre jour, qu'il ne voyait plus son cousin depuis des jours. Minho ne sortait de sa chambre que lorsque personne n'était dans la maison.
L'affaire de Chan avait dû énormément le touché, ce qui ne surprenait pas vraiment le blond. Il avait bien vu les regards chargés de panique que Minho lui avait lancé après avoir découvert les chiffres défilants sur son avant-bras. Il aurait voulu faire quelque chose plus tôt, mais il avait pensé qu'être souriant suffirait pour rassurer son petit ami. Son départ le jour de son hospitalisation et son refus de le voir à présent lui démontrait bien qu'il avait eu tort de penser ainsi.
Deux semaines étaient passées depuis que le médecin lui avait autorisé une sortie prématurée de l'hôpital. Il n'y avait passé que quelques jours, à peine une semaine, dont la moitié endormi par les dizaines de soins qu'il avait dû recevoir par jour. Les docteurs avaient été plus que dubitatifs sur son cas alors que les ambulanciers qui l'avaient accompagné leur avaient assuré avoir vu une ligne de zéros sur son avant-bras lorsqu'ils étaient arrivés dans la chambre. Après mille et une promesses, ils avaient finalement accepté de le laisser partir sous certaines conditions. Chan ne devait pas rester seul et devait prendre du temps pour se reposer. Ce qui voulait dire, dans l'esprit du blond, qu'il n'avait pas le droit de se rendre en cours – jugés bien trop demandant en énergie pour un jeune homme tout juste sorti d'une crise cardiaque – et qu'il devait sortir en douce pour aller voir Minho.
Ses amis avaient tous été contre lorsque, dans sa chambre d'hôpital, il avait émis l'idée de retrouver le noiraud. Tous étaient plus qu'inquiets pour lui, même Hyunjin avait semblé hésiter avant de prendre son partit. Il pouvait les comprendre, ils avaient failli le perdre deux fois en un laps de temps très court. Pourtant, ils avaient fini par changer d'avis et étaient venu jusque chez lui pour le lui montrer.
Sungjin avait trouvé sa clef et avait ouvert le tiroir dans lequel reposait son vieux carnet. Ils s'étaient ensuite tous assis, au pieds de son lit, dans l'attente qu'il fasse quelque chose. Mais Chan resta dans la même position, assis en tailleur sur son lit, le carnet entre des jambes et le regard rivé dessus. Ses mains jouaient toujours ensemble dans l'expression de sa nervosité.
" On veut juste que tu l'ouvres et que tu nous dises le temps qu'il te reste, s'exprima Seungmin calmement. Après ce sera à toi de le prendre en compte. Mais si tu es certain de vouloir retrouver Minho même en sachant que tu as, par exemple, encore cinquante ans à vivre, alors on t'aidera. "
Il fronça les sourcils sans bouger son regard. Était-ce de cela qu'il avait peur ? Avait-il peur de découvrir un grand âge de mort et de ne plus vouloir retrouver Minho après cela ? Il lui avait promis qu'il s'en ficherait, peu importe à quel point il en serait affecté, mais était-ce vrai ?
Il prit une grande inspiration. Ses doigts vinrent frôler les bords abîmés et, sans attendre, il ouvrit le carnet. Il eut l'impression de faire une chute libre en voyant les chiffres affichés.
Nom : Christopher Bang *Chan*
Sexe : Masculin
Famille : Une mère, Un père *Cinq frères*
Date de naissance : 03.10.XX00
Heure de naissance : 00h01
Date de mort : 17.06.XX81
Heure de mort : 14h38
Il avait gagné beaucoup d'années. Il ne verrait pas la fin de sa vie avant ses quatre-vingts ans. Etrangement, cette nouvelle le réjouissait bien moins que ce qu'il aurait pu penser. Il avait longtemps été jaloux de ceux avec un avenir bien ranger, qui pouvaient faire des projets sur le long terme, qui pouvaient étudier pour le travail de leur rêve, qui pouvaient avoir une chance de partir à l'université et de découvrir de nouvelles choses. Mais cette perspective avait l'air bien moins attrayante sans Minho à ses côtés.
Hyunjin regarda rapidement l'intérieur du carnet avant de se tourner vers Jisung avec un sourire peu dissimuler. Ses deux-là s'étaient finalement réconciliés, au grand bonheur de tout le groupe qui n'en pouvait plus de toute la tension qu'ils apportaient. Les professeurs aussi en avait été soulagés, leurs bagarres incessantes, notamment dans leur option, avaient plus que dérangés les cours.
" Qu'est-ce que tu comptes faire ? lui demanda Sungjin une fois que l'information lui fut remontée.
- Retrouver Minho. "
Le silence qui s'abattit dans la chambre était le plus lourds qu'ils n'aient jamais vécu ensemble. Ses amis avaient l'air d'accepter la nouvelle mais fuyaient le regard qu'il avait finalement porté sur eux.
" C'est bizarre ?
- Je pense qu'aucun d'entre nous aurait fait ce choix, honnêtement. Mais, continua Sungjin posément, aucun de nous n'a eu ce genre de relation avant. "
Il était vrai que Chan était le seul dans ce cas et, sans même avoir à y réfléchir des heures, il savait qu'il ne pourrait jamais retrouver la relation qu'il avait avec Minho avec quelqu'un d'autre. Leur relation était basée sur des choses que les mots pouvaient difficilement exprimer. Il se redressa avec l'intention de retrouver le noiraud, plus certaine que jamais.
Plus tard, alors que le soleil commençait à baisser dans le ciel, ses amis furent obligés de partir. Ses parents prirent leur place. Leur mine inquiète lui serra le cœur, encore plus avec ce qu'il avait en tête. Il ne voulait pas mentir à ses parents, pas plus qu'il ne l'avait déjà fait, et encore moins après avoir pris la décision de reconquérir Minho.
" J'aimerai vous parler de quelque chose, confessa-t-il pour avoir leur attention, par rapport à tout ce qu'il s'est passé ces derniers mois. Vous savez que Minho est celui qui m'a sauvé... "
Et il leur conta toute l'histoire. Leur rencontre, les zéros qu'il avait aperçu – et sa pensée à ce moment-là, son désir de le revoir et l'interdiction de ses amis. Comment il avait réussi à échapper à leur vigilance et à parler au garçon le moins fréquentable de leur lycée. 'Mais il avait l'air adorable à l'hôpital !' s'exclama sa mère lorsqu'il lui expliqua de qui il s'agissait. Puis il raconta leur deuxième rencontre et ce qu'il avait appris sur le noiraud.
" Il n'a pas dû avoir une enfance facile... Sa tante et son cousin étaient là pour lui au moins ?
- Pas vraiment... Sa tante est souvent en voyage, mais Changbin agis comme un grand frère ! "
Puis il passa rapidement sur leur relation, sur le soutient qu'il avait trouvé en Minho et sur à quel point il se sentait à sa place quand il était avec lui. Il finit sur la dernière journée qu'ils avaient passé ensemble et sur ce qu'il avait découvert plus tôt.
" Tu veux vraiment le revoir ? demanda sa mère avec un air inquiet.
- Oui. J'ai besoin de Minho. J'ai besoin de le voir et d'être avec lui. Je me fiche de combien de temps il me reste. Je n'ai pas envie de passer ma vie avec quelqu'un que je n'aime pas parce que je n'arrive pas à l'oublier. "
Ses parents échangèrent un long regard avant de lui donner ce dont il rêvait tant.
" Alors allons-y, je vais t'y emmener, comme ça je peux te surveiller comme l'a demandé le médecin. "
Il regarda sa mère avec surprise et bonheur avant de se lever avec précipitation.