Quelle ne fut pas la surprise du Prince Sylan, quand il vit sa sœur, accompagnée de deux gardes aux frontières et du Duc Garethy, venir vers eux au dos de sa jument.
Approchons-nous, et écoutons comment la jeune femme était arrivée là-bas.
— Mais qu'est-ce que... commença Sylan en plissant les yeux.
— Sylan ! Oh, Sylan, tu vas bien.
Aline ralentit l'allure, et fut rapidement rattrapée par les autres cavaliers.
— J'étais folle d'inquiétude, dit-elle en descendant de sa monture avant de se jeter dans ses bras.
— Nous avons eu un petit... contretemps. Je suis désolé sœurette, j'avais prévu de faire porter un message dès mon arrivée ici mais tu m'as devancé.
— Tout va bien ? Vous n'avez pas fière allure, constata le jeune Duc de Chêne qui accompagnait sa sœur.
Décidemment, il n'était jamais bien loin, celui-là.
— Oui, nous avons simplement eu une sacrée aventure dans la forêt, dit Ashleigh en échangeant un regard complice avec Sylan.
— Que fais-tu ici ? demanda-t-il enfin.
— Tu étais supposé rentrer avant le soir ! Cattleya est revenue à Duléthé, seule, imagine mon état !
— C'est bien, ma grande, tu as retrouvé le chemin de la maison tout seule.
— Sylan ! Père n'a pas daigné lever le petit doigt pour dépêcher les gardes à ta recherche, fâché comme il était. Je me suis tourmentée toute la nuit, et me suis rendue à Austhone hier matin pour demander de l'aide au duc.
— Un coursier est également arrivé de ton palais hier pour m'informer que ton cheval était revenu sans cavalier. Tes parents se demandaient si tu avais atterri. Connaissant tes compétences, je n'étais pas inquiet, s'amusa le Duc Garethy.
Ashleigh grommela dans son coin, sous les ricanements de son cousin, et Aline remonta en selle en s'avançant pour faire de la place derrière elle.
— Bon, puisqu'il n'y a plus besoin d'organiser des recherches, monte.
— Nous rentrons ? demanda Sylan, presque déçu.
— Restez donc une nuit, offrit le duc en permettant également à Ashleigh de s'installer sur son cheval. Si vous avez erré pendant deux jours dans la forêt, vous avez sans doute besoin de repos.
— Vous n'imaginez pas à quel point, s'exclama Sylan en grimpant sur Cattleya. Tu m'as abandonné face à cette chimère, couarde !
— Une chimère ? s'exclamèrent en chœur la princesse et le duc.
— Une sacrée aventure, vous ai-je dit ! répondit Ashleigh.
— Et vous espériez que je vous laisse repartir sans me conter celle-ci ? dit le duc. Allons, rentrons au manoir.
Ainsi, la petite troupe se mit en route vers le village du duché de Chêne, au cœur duquel se situait le manoir ducal. Le Duc Garethy était grégaire ; contrairement à la plupart des nobles qui érigeaient des grandes bâtisses à la campagne, il était de ceux qui aimaient la vie au village, avec ses animations, ses marchés et ses fêtes.
Après la lisière de la forêt et le poste de garde, ils empruntèrent le chemin pavé qui serpentait entre les ruisseaux et les champs de cucurbitacées sous les yeux émerveillés du Prince de Duléthé. Des corneilles volaient au-dessus des champs, et lorsque l'une d'elle s'aventurait un peu trop près des courges, un drôle de personnage en bois et en paille vêtu de haillons agitait ses bras désarticulés pour la faire fuir.
La route enjambait un pont de pierre juste avant le village, et les hautes maisons pointues et biscornues en briques rouges surmontées ardoise noire furent un décor tout aussi inédit pour le Prince Sylan, qui était habitué à la pierre grise et blanche incrustée de coquillages. Il y avait la même agitation que dans les villages de Duléthé, avec les échoppes et les marchés aux fleurs, mais les odeurs maritimes étaient remplacées ici par celles de la cannelle et des épices.
La route à travers le village était pentue, grimpant sur une falaise à l'extrémité de laquelle le ducal était installé. Ils arrivèrent sur une vaste place où se rejoignaient toutes les ruelles devant l'imposant portail du manoir.
Le lieu fourmillait d'animation, des villageois accrochaient des lampions dans les arbres pendant que d'autres s'affairaient à sortir les tables des tavernes. Quelque chose se préparait...
— Y a-t-il quelque festivité prévue aujourd'hui ? s'enquit Sylan tandis qu'on leur ouvrait les grilles.
— Absolument, s'exclama le duc. Vous avez choisi le meilleur moment pour venir échouer sur notre contrée !
Tous descendirent de leurs montures, et les chevaux furent emmenés aux écuries tandis qu'ils remontaient l'allée gravillonneuse jusqu'à l'entrée du manoir.
— Ce soir aura lieu le Baptême de Renaissance du Prince Dély. Je vais d'ailleurs informer notre bien-aimée reine de votre présence.
— Qu'est-ce donc ? demanda Aline. Vous ne m'en avez point parlé !
— Veuillez m'excuser pour cette offense, Aline. Il me paraissait déplacé de vous parler de cet évènement alors que votre frère était encore porté disparu.
Aline ? Sylan cligna des yeux. Le duc osait appeler sa sœur sans son titre ?
— Non, vous avez raison. Vous avez fait preuve de délicatesse, je vous en remercie.
Je vois, songea Sylan en comprenant de quoi il retournait. Voilà qu'ils se courtisaient.
Un majordome les accueillit, et les quatre compagnons pénétrèrent dans le vestibule, bien plus étroit que dans les manoirs de campagne.
— Peut-être voudrez-vous prendre un peu de repos et vous rafraîchir, avant de déjeuner et nous raconter vos aventures ? suggéra le duc.
— Volontiers, répondit Sylan en promenant son regard sur les boiseries des murs.
L'endroit était tout à fait charmant.
— Je vais informer que nous sommes rentrés, et faire porter un message à la Reine. Reposez-vous bien. Pas toi, ajouta-t-il à l'intention d'Ashleigh qui s'apprêtait à également suivre le majordome à l'étage. J'ai à te parler.
— Et je n'ai pas le droit de me reposer ? fit mine de s'offusquer le prince.
— Tu. Viens.
Ash leva les yeux au ciel avant de croiser ceux de Sylan. Ils échangèrent un petit signe pour se saluer, et Sylan se laissa guider jusqu'à une chambre accolée à celle de sa sœur.
— Bien, je t'aurai à l'œil comme ça ! plaisanta-t-il.
— C'est moi qui t'aurai à l'œil ! Qui s'est perdu dans la forêt ? Certainement pas moi.
— Tu ne sais même pas si j'étais perdu.
Elle le suivit à l'intérieur, et il se laissa tomber sur le lit moelleux en poussant un soupir de contentement. Quel bonheur.
— Allons, raconte-moi !
— Ne puis-je pas me reposer ?
Aline lui servit sa moue déçue qui lui permettait d'obtenir tout ce qu'elle voulait de lui.
— Diablesse ! Très bien, comme je te l'ai dit, nous avons affronté une chimère. Mais ce n'était pas une chimère.
— C'est-à-dire ? demanda-t-elle, perplexe.
— Eh bien, nous avons eu l'idée de faire un petit duel à l'épée avant le déjeuner, et Ash m'a blessé.
— Où donc ? s'inquiéta-t-elle.
— A l'épaule, mais tout va bien. Et ensuite...
Il chercha ses mots, pour expliquer que le sang versé avait provoqué la colère de la forêt, qui avait envoyé un dragon à leurs trousses, mais les mots moururent sur sa langue.
— Euh...
— Oui ?
— Et une chimère est apparue, réussit-il à dire.
Le secret de la magie.
— Mais à quoi ressemblait-elle ?
— Elle était immense, et noire, avec des dents et des griffes tranchantes ! Comme ces... chimères... qui volent et crachent du feu dans nos livres de contes, te souviens-tu ?
— Des dragons ?
Il se redressa et tapa dans ses mains en acquiesçant vivement. Bénie soit sa sœur d'être si perspicace.
— Exactement ! Un...e chimère. Je n'arrive pas à le dire. C'est à cause de la magie, mais je ne saurais te l'expliquer.
— Mmh... Et vous l'avez vaincu ?
— Oh, oui ! Tu nous aurais vu, dit-il en bombant le torse pour fanfaronner.
— Arrête dit-elle en lui donnant une petite tape sur le bras. Je parie qu'ensuite, vous vous êtes perdus !
— Non, répliqua Sylan en mentant sciemment. Nous avons dormi à l'auberge des Enfants Perdus car les chevaux ont pris la fuite. Et nous avons marché, marché, marché... Puis une mage nous a accueilli chez elle pour la nuit, voilà pourquoi j'ai l'air de porter un patchwork.
— Chez une mage ? Quelle chance.
— Elle nous a donné... commença-t-il.
Encore une fois, il se trouva bloqué.
— Donné quoi ?
— Un... euh...
Il leva les bras en signe de désarrois. De toute façon, peu importe qu'il puisse le dire ou non, il ne savait pas ce que c'était. Quelque chose qui, vraisemblablement, pourrait l'aider à faire tomber les barrières qu'il dressait entre Ashleigh et lui. Devait-il s'en saupoudrer la tête avant de lui parler, la prochaine fois qu'ils seront en tête à tête ? N'était-ce pas dangereux ?
— Je vois... Les mots d'un mage sont parole secrète. Bon, alors, avec le Prince Ashleigh ? Ou devrais-je plutôt dire Ash ?
Elle ne perdait pas le Nord, voilà qui était certain. Sylan devint cramoisi, et Aline se pencha en avant pour lui montrer qu'elle lui accordait toute son attention.
— Peux-tu me laisser me reposer ? Je suis fatigué, et j'aimerais aussi me laver.
— Sylan ! Ne me fais pas ça.
— Je n'ai pas envie d'en parler. Et toi, le duc t'appelle par ton prénom ? C'est nouveau ?
— Oh ! Alors, toi, tu te moques du monde. Je te parlerai de Garethy quand tu me parleras d'Ashleigh.
Elle haussa un sourcil pour appuyer ses propos, et Sylan ne broncha pas. C'était de bonne guerre ; et il ne se sentait pas tout à fait prêt à exprimer quoi que ce soit à voix haute au sujet de ce qu'il pensait du Prince Ashleigh.
Voyant qu'il ne dirait rien, Aline tourna les talons pour quitter la chambre, et Sylan se sentit coupable.
— Plus tard, c'est promis. Mais il n'y a pas grand-chose à dire, tu sais...
Non, juste un baiser tût depuis plusieurs semaines, puis des échanges malicieux, des papillons dans le ventre... Vraiment, pas grand-chose.
— Très bien. Quand tu seras prêt.
— Merci. Et... Sœurette ?
Elle se retourna, la main sur la poignée.
— Je t'aime. Merci d'être partie à ma recherche. Tu es vraiment une guerrière.
Aline rit, et Sylan fut heureux d'avoir au moins réussi à lui décrocher un sourire malgré son silence sur le tumulte qui l'habitait.
Enfin seul avec ses pensées, le prince finit par trouver un peu de repos, même si ce n'était chose aisée. Un sentiment de morosité grandissait en lui au fur et à mesure qu'il voyait sa relation avec son père s'émietter au fil du temps. D'abord, il avait découvert que son roi n'était pas aussi juste qu'il l'estimait. Le sentiment de rejet l'avait ensuite gagné, lorsqu'il avait compris que son père le traiterait différemment s'il avait le malheur d'aller à l'encontre de ses étroites convictions. Et enfin, il le réalisait, l'abandon. L'abandon, et l'absence totale d'intérêt pour son sort, à cause de ses croyances bien plus stériles qu'un mariage d'amour.
C'était un coup dur pour Sylan, qui fut reconnaissant à Ashleigh et au Duc de Chêne de lui permettre de s'accorder un sursis d'une journée, avant de faire à nouveau face à son géniteur.
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Comment allez-vous, ce week-end ?
La photo d'illustration est le château d'Eltz en Allemagne, qui est aussi le château d'Austhone 😊🍁
Je vous le remets ici car je le trouve vraiment magnifique ❤
Et juste parce que ça me fait rire, un gif d'Ashleigh dépité de subir l'interrogatoire de son cousin, au lieu de suivre Sylan jusqu'à sa chambre 🤭