Parce que je ne travaille pas aujourd'hui, je décide de rendre visite à mes parents.
À peine ai-je mis un pied dans leur maison, je me sens comme dans un petit cocon. Alors que ma mère, un tablier autour de la taille, court un peu partout en criant qu'elle est débordée, j'aperçois mon père, pieds sur la table basse, télécommande à la main, en train de regarder son programme de foot.
— Dire que tu t'inquiétais qu'il puisse trop pousser, soupire ma mère après avoir dit qu'elle s'accorde une petite pause. Tu étais bien loin de te douter que son opération l'aurait rendu à ce point feignant.
Je me mords les lèvres tandis que mon paternel lève la télécommande en ronchonnant comme quoi le bouton pour le volume ne fonctionne pas.
— Laisse papa, déclaré-je avant de me diriger vers son sofa, je vais regarder.
Il semble surpris de me voir et je comprends désormais qu'il était trop absorbé par son match pour m'avoir entendue arriver.
— Oh bébé ! s'exclame-t-il alors avant de tenter de se lever et de lâcher subitement une grosse plainte.
Tandis que mon visage se fige d'effroi à l'idée qu'il puisse s'être fait mal, ma mère accourt en hurlant et en attrapant vivement sa main pour lui demander où est localisée la douleur. Mais au lieu de répondre, il échappe un petit rire.
— Tu vois, souffle-t-il, ta mère est vraiment à mes petits soins. Au moindre petit truc, aïe !
— Espère de crétin ! lâche cette dernière avant de se relever et de s'éloigner en ronchonnant.
Après dix bonnes minutes de discussion avec mon paternel, Roxanne entre dans la pièce. Ma sœur m'offre un sourire et je m'approche d'elle.
— Comment vas-tu mini-bout ? lui demandé-je à voix basse tandis que notre mère, revenue dans le salon, fait désormais la liste des mauvais agissements de notre père.
— Mini-bout, mini-bout,répète-t-elle en me toisant faussement du regard. On se demande qui fait trente centimètres les bras levés !
C'est sûr que ce surnom me convient mieux qu'à Roxanne.
Je passe une main dans le dos de ma sœur puis l'attire à moi pour la serrer dans mes bras. Si elle n'est pas du genre démonstrative, ce n'est pas mon cas. Ma personnalité haute en couleur a réussi à faire tomber le masque froid et distant de Jales mais il semblerait que celui de Roxy soit plus tenace encore.
— Je suis surpris que tu ne sois pas venue avec ton médecin, m'avoue mon père de sa voix rocailleuse, mettant fin à notre étreinte à ma sœur et moi.
Je me retourne pour le regarder.
— Il travaille aujourd'hui.
— Ouais, c'est ce qu'on dit... Il ne voulait pas voir son beau-père plutôt oui ! blague ce dernier.
— Oh Trevor arrête un peu, lance ma mère qui, subitement plongée dans la consultation de ses messages, n'a pas remarqué le ton de plaisanterie de mon père.
— Si tu étais un peu moins connectée à ce fichu portable, tu aurais compris que je blaguais, ronchonne celui-ci.
La concernée relève la tête et s'approche de mon paternel pour feindre s'excuser dans un tendre câlin.
— Je passe mon temps à faire la bonniche à la maison, alors je crois que deux minutes sur mon téléphone me sont largement accordées, souffle-t-elle dans un sourire hypocrite.
Malgré sa pique, mon paternel ne se vexe pas pour deux dollars et bientôt la main de ce dernier s'aventure même sur les fesses de ma mère. Je roule des yeux, probablement en même temps que ma sœur.
— Eh oh ! Les six semaines ne se sont pas encore totalement écoulées ! Donc abstinence totale vous deux, rappelé-je bien fort pour me faire entendre.
Aucun des deux ne me répond et je soupire.
— On sort ? me propose alors Roxanne.
Nous quittons le séjour pour nous diriger vers la cuisine et l'entente de ricanements taquins dans la pièce d'à côté nous fait secouer la tête en même temps.
La pauvre, je la plains. Je n'ose pas imaginer si chaque fois que je rentre chez moi, je les entendais ainsi.
— Tu es au courant que Ben a une nouvelle copine ? demande-t-elle après avoir fermé la porte.
— Non, je ne savais pas.
C'est plutôt rare que ma sœur parle des potins.
— Oh et Tommy m'a proposé de le suivre cet été durant sa semaine de représentation aux États-Unis.
— C'est sympa ça... Mais ne compte pas sur moi pour te donner un accord, c'est à papa et maman de décider, tu le sais !
Ma sœur fait la moue quelques secondes avant de se reprendre. Puis subitement aphone, elle fixe le saladier de fruits posé sur la table face à nous.
Je fronce les sourcils face à ce changement soudain de comportement. Je remarque que les traits de son visage sont tirés, comme alimentés par une inquiétude. Si elle peut parfois être qualifiée de porte de prison, c'est surtout parce qu'elle ne laisse rien paraître, pas même ses états d'âme. Évidemment, cela m'alerte.
— Roxy ? Qu'est-ce qui se passe ?
La concernée soupire, ferme les yeux puis inspire profondément.
— Il... Il m'a demandée en mariage.
Seigneur ! Je manque lui poser la question débile du « qui ? » mais je sais pertinemment qu'elle parle de Tommy.
— Il sait comme moi que nous sommes trop jeunes pour nous marier alors il veut que l'on se fiance en attendant.
J'aimerais pouvoir être enthousiaste face à son annonce mais je n'y arrive pas. Ma sœur est jeune et la question du mariage est tellement importante que je ne peux prendre cela à la légère. Tommy et Roxanne se connaissent depuis de longues années, mais tout de même !
Ce ne sont encore que des enfants. Enfin des adolescents mais c'est tout comme.
— Je suppose que tu n'en as pas encore parlé à papa et maman ?
Ma sœur fait un signe négatif de la tête avant de cogner le bout de ses chaussures contre le carrelage.
— Je n'ai même pas encore donné de réponse à Tommy, c'est simple, je me suis enfuie telle une fugitive.
La panique dans sa voix me noue le ventre. Je m'avance vers elle afin de lui tapoter le dos pour la réconforter et ma sœur se rue dans mes bras, peut-être pour la première fois de sa vie.
Ma précédente réaction concernant son annonce me saute soudainement à la figure. Moi qui n'ai jamais accepté que l'on dicte ma conduite de vulgaires clichés, voilà que c'est ce que je fais !
— Je l'aime, souffle-t-elle, le menton posé sur mon épaule.
— Mais tu es effrayée, complété-je en lui caressant les cheveux.
— Nous sommes jeunes Anna. Nous sommes trop jeunes pour nous marier. Mais j'ai peur de le blesser, j'ai peur qu'il croit que je le fuis. Je ne veux pas le perdre.
Je défais mon étreinte afin de pouvoir regarder ma sœur. En ce moment, ce n'est pas la jeune danseuse ballerine qui se trouve en face de moi, mais une petite fille, terrifiée à l'idée de perdre ce qu'elle idolâtre le plus.
Je passe une main dans ses boucles disciplinées et souris. Elle est si belle. Elle a tellement à offrir au monde à travers son talent, à Tommy et tous ses proches avec son cœur en or.
— Tu me connais et tu sais que ma réponse ne sera pas exhaustive mais selon moi, l'âge ne compte pas. Pas plus que le nombre de semaines ou d'années que tu le connais. La seule chose qui doit te guider dans ta prise de décision, c'est ce que tu ressens au fond de toi, l'amour que tu éprouves pour lui ainsi que tes valeurs sur le mariage et tes attentes. Il n'y a pas de romance toute écrite et chronométrée. Si tu souhaites te fiancer fais-le, si tu ne souhaites pas le faire, refuse.
Après tout, c'est sa vie et bien qu'elle soit ma petite sœur, je ne peux pas choisir à sa place. Si elle aime Tommy au point de vouloir se fiancer avec lui, qu'elle le fasse. Si elle a des doutes, qu'elle lui en fasse part.
— Écoute ton cœur ma puce, ne te laisse pas guider par les autres. Oublie les parasites extérieurs et parles-en avec lui.
Ma sœur me regarde comme si je venais de résumer quelque chose de grave avec désinvolture. Je suis certaine qu'elle a envie de répliquer que c'est plus facile à dire qu'à faire et elle a parfaitement raison.
— Hum, soupire-t-elle en fourrant les mains dans les poches de son pantalon.
Je lui tapote le dos.
— Va falloir que je m'excuse d'être partie comme si j'avais le feu au derrière si je veux qu'il accepte de discuter avec moi de la situation...
— Oui, grimacé-je en m'accoudant après le comptoir de la cuisine.
J'imagine dans quel état doit être Tommy et mon cœur se serre. Le pauvre, si seulement je pouvais le rassurer et lui dire que c'est la demande qui effraie ma sœur et non pas un soudain détachement !
Mes réflexions sont coupées par le gargouillement d'un ventre. Le mien en l'occurrence.
— Eh dis-moi, il n'y aurait pas quelque chose à grignoter ?
— Malgré ta vie un peu chaotique Anna, t'es plutôt douée pour ce qui est de donner des conseils, déclare ma sœur et je pense que je peux considérer cela comme un compliment.
— Alors, un petit creux ? insisté-je, stressée par son absence de réponse.
— C'est pas Maxime qui t'a acheté un vélo d'appartement ? feint-elle demander et je roule des yeux.
— OK je vois, boudé-je, tu t'es liée du côté de ce taré de Max ! Je m'en fous, je vais me préparer à manger. Il doit bien y avoir quelque chose dans ces tiroirs.
J'en ouvre un et tombe sur des boites de conserve.
— Laisse Anna ! soupire-t-elle devant mon regard qui ne cesse d'alterner entre elle et la nourriture. Tu sais quoi ? Je t'invite, on va aller se poser dans un café et puis on ira faire un tour du côté de Sparks Street ou tiens, le CF de Rideau. On n'y est pas retournées depuis l'affaissement du quartier cet été. Je vais dire aux parents que l'on s'en va.
Je me doute qu'elle est ravie de quitter la maison et mes parents un peu trop bruyants.
— Tu veux vraiment faire du shopping avec ta grande sœur ? Seigneur, ce n'est pas possible, non... sortez de ce corps, étrange créature, plaisanté-je et Roxanne rigole.
Voir son visage détendu fait du bien. Savoir que mon père va de mieux en mieux, me rassure. Entendre que Luke et Zoey finissent par être heureux d'être prochainement parents me réchauffe le cœur.
Si seulement le monde pouvait nous offrir plus de bonnes nouvelles comme celles-ci, c'est certain que la vie serait plus appréciable.
Les parents d'Annabelle sont de grands enfants haha.
L'annonce de Roxanne est surprenante. Vous, à la place d'Annabelle, qu'auriez-vous répondu ?