— Jales avait raison de vous faire venir, comme il le supposait, vous avez le vertige paroxystique positionnel bénin. C'est un déplacement de cristaux dans l'oreille interne, ce dernier est généralement déclenché par un choc physique ou psychologique.
Nous sommes vendredi 13 et comme Jales m'avait promis, la prise de rendez-vous a été rapide. Deux jours seulement, je considère même cela comme un miracle !
Je réfléchis longuement à la phrase du docteur Mason. Les chutes, ce n'est pas ce qui manque dans ma vie et dans tous les sens du terme. Alors pour trouver la responsable...
— Bon, nous allons procéder autrement, déclare le médecin en posant son stylo sur son bureau. Quand vous êtes-vous véritablement évanouie ?
— Après avoir vu mon père transféré aux urgences, réponds-je aussitôt.
— Malaise dû au choc émotionnel. Bien et maintenant, le premier vertige ?
— C'est quand mon amie est... Oh attendez, m'exclamé-je, je crois savoir ! J'ai eu un accident de voiture récemment. Ça a été assez violent et ma tête a heurté le volant. Est-ce que c'est possible que ce soit à cet instant que...
Je ne termine pas ma phrase car la suite est évidente. Maintenant que j'y repense, je suis arrivée au boulot avec du sang sur la tempe. Le coup a été rude. En plus d'avoir eu peur, j'ai eu mal.
— Avez-vous fait des examens après votre accident ?
— Oui, j'en ai fait. Mais nous nous sommes contentés des plus basiques. Je n'ai pas pensé une seule seconde que cela puisse... Enfin j'ai eu plusieurs vertiges mais je me suis dit que c'était parce que je m'étais levée trop vite ou des choses du genre. Puis il faut dire que j'ai passé un moment durant lequel j'ai peu dormi. Donc j'ai mis cela sur le coup de la fatigue ou d'une petite carence en fer ou en vitamines.
— Bon, nous allons tenter de remettre en place les cristaux. Il arrive que sur certains sujets, ça récidive simplement à cause de chocs émotionnels. Si c'est le cas , nous ferons une rééducation vestibulaire auprès d'un kinésithérapeute.
Je hoche la tête, un peu inquiète.
— Donc ce n'est rien de grave du genre tumeur cérébrale ou je ne sais quoi ? demandé-je.
Le jour après le pré-diagnostique de Jales, je me suis ruée sur mon ordinateur pour chercher les causes de vertige et je suis tombée sur des tonnes de forums, dont certains qui m'ont un peu inquiétée, je dois l'avouer. Étant dans le service hospitalier, j'ai bien conscience que je n'ai pas eu la bonne réaction, mais quand il s'agit de soi, on a vite fait d'abandonner les règles ou raisonnements habituels.
— Ce n'est pas mon secteur, je m'occupe simplement de la sphère ORL. Mais si vous désirez vraiment avoir certitude que tout est en ordre de ce côté-là, alors je vous conseille de passer des examens auprès du service de neurologie.
Oui, bon je ne suis pas plus avancée !
— Si vous voulez bien vous allonger sur le côté...
Je m'exécute en silence, priant pour que les manipulations du docteur Mason me délivrent de mes tournis et ainsi que de mes maux de tête.
***
Lorsque j'arrive chez moi, l'air est devenu glacial.
Je ne m'attarde pas dehors et suis accueillie avec joie par Happy. Mon chien roule sur le dos pour m'offrir son petit ventre tout blanc et ses grandes oreilles touchent lourdement le sol.
— Maman va être soignée, murmuré-je en lui caressant le poitrail.
Depuis les manipulations du docteur Mason, j'ai des nausées mais il m'a expliqué que c'était normal et que cela devrait passer d'ici quelques heures, ou d'ici demain dans le pire des cas.
Je croise le regard de mon chien et soupire.
Alors que certains rentrent chez eux et peuvent poser les pieds sur leur table basse, perdus devant leur série télévisée préférée, je dois m'occuper de mon toutou. Mais après tout, je ne suis pas la seule, beaucoup d'autres parmi mes collègues ont des enfants et les devoirs à vérifier, un mari à écouter, des animaux à nourrir, la maison à nettoyer et plein d'autres choses encore. Je pourrais presque dire que ma vie d'adolescente me manque mais ce serait faux, car je suis heureuse désormais en faisant le boulot qui me plaît, en ayant mes amis près de moi et surtout Jales.
Je croise d'ailleurs ce dernier quand je sors de chez moi. Non je corrige, je le trouve devant mon pas de porte lorsque je pose un pied dehors. Emmitouflé dans son long manteau gris anthracite, il me regarde comme s'il cherchait à décrypter un message secret sur mon front.
— Bonsoir, souris-je en résistant aux coups de laisse imposés par Happy, je ne t'ai pas vu aujourd'hui à l'hôpital.
— C'était ma journée de repos, lance-t-il simplement, comme si cela était une évidence.
C'est vrai. J'avais oublié que c'était aujourd'hui l'enterrement d'Alaric. Que Jales n'en parle pas me laisse un peu sur mes gardes. Est-il en train de se renfermer ? Ou peut-être au contraire, avance-t-il ? Je me rends compte, une fois de plus, que mes interrogations me bouffent.
— Je vois, soufflé-je.
Jales s'approche de moi et mes yeux se perdent aussitôt dans les siens. La température extérieure a encore plus chuté en l'espace d'une demi-heure. La buée que ma respiration fait dans les airs frôle sa joue.
— Qu'est-ce qu'a dit Alan ? demande-t-il en me regardant intensément et je perçois de l'inquiétude dans ses yeux.
— Alan ? répété-je en levant un sourcil.
— Le docteur Mason.
— Oh oui, bien sûr ! m'écrié-je, ce qui me vaut une petite douleur rapide à la tête. Tu avais raison, il s'agit bien de déplacement de cristaux. Le docteur Mason s'est chargé de les remettre en place. Mais il y a un risque qu'un quelconque choc entraîne une récidive. Si c'est le cas, on devra se pencher vers une...
Jales chasse ma mèche rebelle du bout des doigts et son parfum remplit mes narines, si bien que je bute sur mon mot.
— Réééééédu-ca-tiiiiiiiion vestibu... Non, vesti... Roh, vestiblai...
Je dois fermer les yeux pour me concentrer sur mon discours.
— Vestibulaire avec un kiné, terminé-je.
Je n'ai même pas rouvert les yeux que la bouche de Jales capture mes lèvres. Sa main m'attire vers lui et je suis tellement transportée par son contact que mes jambes sont prêtes à lâcher. Alors que je m'attendais à un baiser fougueux, ce dernier est doux et sage, ce qui ne me déplaît pas pour autant. Je ne pensais pas qu'un baiser « d'adolescent timide » puisse me faire chavirer à ce point.
Je rouvre les yeux et un sourire naît au coin de mes lèvres tandis que la bouche de Jales se pose sur ma joue.
— Je t'accompagne.
— Où ça ? demandé-je, encore sur mon petit nuage.
— Tu vas bien promener Happy non ?
Oh oui mon chien ! Je l'avais oublié pour le coup. Un peu plus et je rentrais chez moi en annulant la balade.
Jales me prend la laisse et mon cœur se réchauffe en voyant Happy lui demander des caresses. J'attrape la main libre de mon amoureux et me colle contre son bras. Pendant quelques secondes, je regrette mon geste, appréhendant une réaction froide de sa part mais mes craintes s'évaporent rapidement.
— Tu me permets de dormir chez toi cette nuit ? demande-t-il au bout de plusieurs minutes de marches durant lesquelles seuls les craquements de la neige poudreuse sous nos pieds rompent le silence.
Je lui offre un coup d'œil méfiant. Quand il parle de dormir, est-ce au premier ou au second degré ? Depuis l'autre soir où je lui ai dit que je comptais rendre notre première fois inoubliable, nous n'avons pas réabordé le sujet.
— Pour dormir Belle, répète-t-il en voyant ma mine sceptique.
— Ah... non mais... ce n'est pas que... non mais c'est... parce que tu vois.... je... fatiguée... et puis... je suis oui fatiguée. Et je...
— J'ai compris, rigole-t-il et je souris en voyant son visage s'illuminer à cause de ma réaction. Comment fais-tu pour être aussi craquante quand tu t'embrouilles dans tes propos ?
— C'est... Euh hum. Et bien, ah ah ! rigolé-je à mon tour, de stress cependant.
Est-ce que Jales vient bien de dire que je suis craquante ? Je ne pensais pas être aussi heureuse de l'entente d'un simple compliment.
— Si tu continues, ça va être difficile pour moi de tenir parole.
Je fronce les sourcils avant de comprendre où il veut en venir et manque de recommencer mon charabia. Notre conversation a eu le mérite de me faire oublier la notion du temps puisque lorsque nous nous retrouvons à nouveau devant mon pas de porte, j'ai l'impression que nous ne sommes partis seulement cinq minutes. Pourtant l'heure qu'affiche mon horloge lorsque je rentre dans le couloir, m'indique le contraire. Pire encore, le souvenir de ma soirée cinéma avec mon cousin me revient en tête.
Jales ne peut pas dormir ici ce soir ! Maxime doit passer. Je ne peux pas annuler au dernier moment. Je me demande même ce que fait ce dernier car il devrait déjà être là.
— Euh et bien quand tu as demandé toute à l'heure si tu...
Ma phrase est coupée par la sonnette de ma porte d'entrée. Jales me regarde surpris tandis que je lui fais signe de ne pas bouger et que j'accours vers la sortie.
— J'ai pris une compile de films vraiment top pour ce soir la naine, tu vas a-do-rer ! Non non non voyons je t'en prie, ce n'est pas la peine de me baiser les pieds, je sais déjà que je suis génial et que c'est souffrance pour les autres de voir tant de perfection en un seul homme ! s'écrie Max en se frayant un passage dans mon couloir. D'ailleurs, j'ai aussi prévu une petite séance de... Oh bonsoir Jales ! Putain crotte de bique de merde, je tombe mal, c'est ça ?
— Non, je m'apprêtais justement à partir, répond le concerné avant de lui serrer la main pour le saluer.
Maxime m'envoie un regard désolé tandis que Jales dépose un baiser sur mon front. C'est après un léger sourire qu'il sort de chez moi.
J'espère que le chapitre (qui est en deux parties) vous a plu ! On a eu le droit à une visite médicale et un moment douceur entre Annabelle et Jales, de quoi bien commencer la journée de publication xD