Le lendemain, alors que je sors de chez moi en portant Happy dans les bras pour qu'il ne se mouille pas les pattes, Jales referme derrière moi.
L'air frais de l'hiver que j'affronte me gifle aussitôt le visage. Ma jolie robe n'était peut-être pas le meilleur choix, même si je voulais me la jouer féminine et non pas gamine. Je regrette mes gros pulls, autant pour leur chaleur que leur confort. Je crois que je ne ferai jamais partie des femmes qui préfèrent l'esthétique au bien-être. Mais bon, ce n'est pas très grave étant donné que Jales a dit lui-même qu'il aimait ma différence.
— Tu ne crois pas que tu te compliques la vie à vouloir prendre ton chien ?
Je m'apprête à répondre, pas le moins du monde irritée par sa pique plus que percevable, quand Happy se met à gigoter. Je tente de le garder dans mes bras mais c'est plutôt difficile puisqu'il gesticule comme s'il avait reçu du deux-cents-vingts volts.
Ah formidable, maintenant grâce à lui je ne vois même plus où je vais !
Rater la marche devant chez moi serait quand même bien honteux... Sentir la main de Jales se poser dans mon dos pour me guider me rassure un peu. Il abandonne ensuite mon dos quelques secondes plus tard pour ouvrir la portière de sa voiture et je ne peux réprimer un sourire devant sa galanterie, que j'avais déjà remarquée dès nos premières sorties.
Je m'installe sur le siège passager, le tout en essayant de tenir Happy confortablement contre moi en même temps que je m'attache puis Jales referme la portière et je le regarde faire le tour de son véhicule.
— Tu es sûr que ça va aller pour conduire ? lui demandé-je tandis qu'il s'installe derrière son volant.
Le flocon de hier soir n'était pas solitaire. Il a été rejoint par une colonie toute entière et la route est désormais blanche. Même si visuellement, c'est magnifique, je sais que la poudreuse est traître puisque j'en ai fait moi-même l'expérience il y a quelque temps !
Jales passe la première puis me donne une œillade. Contrairement à moi, il ne paraît pas du tout angoissé à l'idée conduire sur la neige. Je souffle un bon coup pour me détendre puis dépose Happy à mes pieds.
Je reste silencieuse durant une bonne partie du trajet. Les doigts tenant fermement mon manteau, je regarde par la vitre, si bien que lorsque la main de mon petit ami attrape la mienne, j'en sursaute.
— Tu as les doigts glacés, râle-t-il avant d'allumer le chauffage.
Mon cœur grossit aussitôt, car même si c'est une véritable épreuve pour lui de sortir en ville, il reste à mes petits soins et que cette âme blessée est bien plus bonne qu'elle ne veut le laisser paraître.
***
Une demi-heure plus tard, nous sommes enfin arrivés à Ottawa et je vérifie que Jales se gare correctement, même si je n'ai aucun doute sur ses compétences là-dessus.
Une fois ceci fait, il coupe le moteur et Happy s'empresse de sauter sur mes genoux, comprenant que cela signifie l'approche de la ballade. À peine suis-je sortie du véhicule, ce dernier tire sur sa laisse et je manque de truffer par terre.
Ce n'est pas un Saint Bernard me direz-vous, mais quand celui-ci s'élance dans une course folle totalement imprévue, qu'il fasse plus de soixante-dix kilos ou bien seulement une dizaine ne change pas grand-chose. Car sur le moment, c'est l'effet de surprise qui a raison de moi.
Remuée comme un prunier, je sens ma cheville craquer et me rattrape tant bien que mal après la carrosserie de la voiture de Jales. Le boucan que je fais n'alerte pas le conducteur et fort heureusement, car je galère avec mon chien qui semble se prendre désormais pour un Husky ou un Malamute, moi dans le rôle du traîneau à tirer, bien évidemment.
Après avoir lâché une réplique à Happy, je rentre dans un mini combat avec avec lui en donnant à mon tour un coup sur la laisse. Ce dernier me coule un regard surpris et en voyant mon air mécontent, mon petit corgi tire les oreilles en arrière et m'offre un regard triste digne des plus grands chiens hollywoodiens. Non mais oh ! Ce n'est pas lui qui va faire la loi ici. Il ne l'a jamais véritablement fait depuis que je l'ai alors ce n'est pas aujourd'hui que cela va commencer.
Une fois les choses à nouveau maîtrisées, je serre mon écharpe autour de mon cou. Malgré la neige, les rues piétonnes sont peuplées de monde et la vue qui nous est offerte est ravissante. Évidemment, la traversée est déneigée, enfin en partie du moins mais heureusement, cela n'enlève aucunement son charme. En faisant mon observation panoramique, je réalise que Jales avance les mains dans les poches de son manteau et fronce les sourcils. Il pourrait m'attendre tout de même !
Après un soupir, je me mets en marche pour le rattraper quand patatras, je dérape sur le verglas. La semelle de ma chaussure glisse, loin, très loin. Mon pas s'agrandit et je serre les dents, anticipant ma chute à venir. De pire en pire, mon coude va cogner dans le dos de Jales que je venais tout juste de rattraper. Je me fige en me rendant compte que je viens de faire l'inverse de ce que je prévoyais, quand je songeais à le rejoindre avec élégance.
Décidément, après l'accident dans la neige quand je traînais avec Maxime l'autre fois, voilà que je renouvelle l'expérience avec Jales !
Ce dernier se retourne et m'attrape aussitôt par la taille. Contrairement à mon cousin, il a plus de réflexes en tout cas. Ma danse endiablée sur la plaque de verglas prend fin, pour mon plus grand bonheur et pour le plus grand malheur de Happy qui se faisait une joie de taper un sprint.
— Seigneur merci, soufflé-je.
Mon visage me brûle à cause de la frayeur que je viens de me faire et du ridicule dont je viens de me couvrir, pour ne pas changer. Pas facile d'avoir pris un abonnement à vie à la salle de la honte ! Une chose est sûre, je suis contente que Jales ait raté la scène précédente. Ça fait au moins une maladresse camouflée.
J'essaie de regagner un peu de dignité en passant un coup de main dans mes cheveux mais je ne gagne qu'un râlement de Happy car je viens de tirer sur sa laisse. Je grimace légèrement en me rendant compte qu'une fois de plus, ma tentative de rattrapage échoue. Jales m'observe puis lâche un sourire en coin avant de défaire son étreinte. Je le regarde alors, interdite, reprendre la route. Je fronce les sourcils et le rattrape, en faisant attention où je mets les pieds cette fois-ci.
Eh oui mesdames et messieurs, je ne vous ferai pas le plaisir de refaire le clown dans cette rue. Vous pouvez tous rentrer chez vous, ou repartir faire les boutiques !
Je fais désormais si attention au sol que je ne remarque pas l'homme devant moi et lui rentre dedans de plein fouet. Le choc me sonne quelque peu et je recule en chancelant. Décidément ! Jales va finir par me fuir si je continue ainsi et je pourrais dire adieu à notre journée en amoureux.
— Annabelle ?
Je croise le regard de Ben, le frère du copain de ma sœur et je suis contente que ce soit lui plutôt qu'un inconnu qui veuille me refaire le portrait pour lui avoir foncé dessus.
— Tiens ça alors Ben ! Comment vas-tu ?
Son sourire est si semblable à celui de Tom que j'ai l'impression devoir ce dernier. Happy grogne lorsque le frère de mon beau-frère s'approche et celui-ci recule aussitôt en se rendant compte de la présence de mon petit garde du corps. Il a beau être court sur patte, sa belle dentition ralentit toujours les gens.
— Je vais bien et toi ? Tommy m'a dit que tu n'avais pas pris de semaine de vacance pour les fêtes, pas trop fatiguant le boulot ?
Je m'apprête à lui répondre quand des doigts attrapent ma main. Je tourne la tête sur ma gauche pour y découvrir Jales. Lorsque je reporte mon attention sur Ben, je remarque le malaise de ce dernier. C'est comme s'il venait de voir son pire ennemi. L'atmosphère devient tout à coup tendue et je lâche un rire nerveux.
— Ben, tu te souviens de Jales ? Vous vous êtes vus au spectacle de danse de Roxanne.
Aucun des deux ne répond et je me racle la gorge, à mon tour mal à l'aise. Le silence qui s'installe est désagréable. J'ai l'impression de me ramasser une rafale de vent en pleine figure.
— Bon et bien je pense que je vais vous laisser ! déclare Ben en se grattant l'arrière de la tête. Ça m'a fait plaisir de te revoir Annabelle, toujours aussi jolie, finit-il par dire en baissant le ton en envoyant un coup d'œil vers Jales.
J'aurais aimé parler avec lui plus longtemps. Je suis certaine qu'il a plus de nouvelles de ma sœur que moi-même. Je crois que j'ai déjà dit que Roxanne est assez secrète, non ?
— À moi aussi Ben, passe le bonjour à Tommy et ta famille !
Je tire sur la laisse de Happy qui, toujours en grognant, cherche à s'approcher des chevilles de mon interlocuteur. Ben me contourne et je souris avant de tourner la tête vers Jales mais le visage tendu de ce dernier retire toute ma joie. Je lève un sourcil puis baisse la tête vers nos mains entrelacées. C'est alors le retour du sourire pour moi.
— Il vaut mieux que je te tienne la main au lieu de prendre le risque que tu glisses une nouvelle fois sur du verglas, lance Jales avant de redémarrer.
Évidemment, s'il a reconnu l'autre fois qu'il était un peu jaloux, il ne va pas le chanter sur les toits tous les jours. Quoi qu'il en soit, il n'était pas obligé de faire référence à mes prouesses sur la glace, en plus qu'en temps ordinaire, je suis une bonne patineuse !
Jales tourne la tête vers moi et tend son autre main. Je fronce aussitôt les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il veut.
— La laisse de Happy, m'informe-t-il au bout d'un moment.
— Ah oui, pardon !
Je m'exécute et nous continuons notre progression dans la ruelle.
— Bon, où veux-tu aller ?
— Là où tu désireras aller. Tant que je suis avec moi, tout me va ! réponds-je aussitôt avant de lui offrir un immense sourire.
Ma réponse ne semble pas beaucoup l'aider puisqu'il roule des yeux et soupire.
Pourtant quelques secondes plus tard, son regard se pose sur moi. Son pouce vient caresser ma peau, le tout sans lâcher ma main. Ce simple petit geste suffit à me rendre vraiment heureuse. Je ne peux que remarquer les efforts qu'il fait et le féliciter.
Finalement je l'aurais eue ma promenade en amoureux !
Annabelle la boulette est toujours là pour nous faire rire, n'est-ce pas ? Au moins, ça détend l'atmosphère xD