Noah en média
Je papillonne des yeux et les ouvre grands en m'apercevant que le décor m'est inconnu. D'une télévision accrochée au mur blanc nacré en face de moi, des machines à ma droite, mon corps recouvert par une couverture et une odeur caractéristique qui flotte dans l'air. Sans compter les petits bip-bip incessants.
Attendez une seconde...
Une couverture ?
Une télévision ?
Des bip-bip ?
Quelqu'un m'explique, s'il vous plaît ?
Mon rythme cardiaque s'accélère. Je me creuse la cervelle pour deviner comment je suis arrivée jusqu'ici mais il m'est difficile de réfléchir correctement. J'ai une migraine affreuse et l'odeur ambiante n'y arrache rien.
Réfléchis, Kendall... tu n'es pas devenue amnésique quand même ?
Avec une lenteur mentale aberrante, je rassemble toutes les pièces du puzzle : le type ivre qui m'a agressé.
Merde, merde, merde !
Des larmes de panique me montent aux yeux sans que je ne puisse les retenir. Il me semble que... Noah est arrivé, après ? Mais où est-il ? Et où suis-je ? Je repousse les draps, l'appréhension remplissant peu à peu mon corps. À ce moment là, une femme fait irruption dans la pièce et je sursaute violemment.
— Bonjour ma grande, tu es réveillée ! Comment te sens-tu ? chantonne-t-elle.
Son accoutrement laisse à croire que c'est une infirmière. Je serai donc à l'hôpital ? Pourquoi ? Mon évanouissement en serait-il la cause ? Je sais que j'ai fait un malaise, mais je ne me rappelle plus comment. Un gémissement franchit mes lèvres face à toutes ces questions qui accentuent mon mal de crâne.
— J'ai mal à la tête, me lamentai-je en remontant les couvertures sur moi.
Une palpitation horrible pulse sur mes tempes et derrière mes yeux et les bip-bip des machines n'y arrangent rien. L'infirmière compatit et plante un thermomètre dans mon oreille.
Arrête d'angoisser, Kendall. Tu es à l'hôpital, tout va bien.
— Combien de temps suis-je restée inconsciente ? demandai-je tandis qu'elle prenait ma température.
— Lorsque les urgences sont arrivées sur les lieux, ça faisait six minutes exactement, puis tu es restée vingt minutes dans le coaltar ici. C'est ton copain qui les a appelés ; d'après lui, tu t'es faite agressée. Je suis si désolée pour toi ma grande, n'importe quoi traîne dans les rues de nos jours, c'est infâme ! Il faut dire que tu as fait une sacrée chute, on a d'abord cru à un traumatisme crânien avant de vérifier ton état mais tu as perdue une infime quantité de sang ! Il y a une bosse plutôt conséquence à l'arrière de ta tête mais il y a plus de peur que de mal — physique, j'entends. En fait, tu vas devoir être examinée puisque nous ne pouvions pas te faire de test durant ton état d'inconscience. On laissera entrer ton copain juste après nous être assurés que rien ne cloche.
Je n'écoute même plus l'infirmière tant mon cerveau reste bloqué sur le mot « copain ». Quel copain ? J'espère du fond de mon cœur qu'elle parle de Noah. Ou alors s'est-il fait tabassé par ces deux mecs bourrés ? Et que celui qui m'a agressé se faisait passer pour mon copain ?
Non, tu regardes trop de série télévisée, me rassure ma conscience.
Mais qui ? Qui ? Qui ? Qui ? Qui ?
Ces questions me martelèrent le crâne, si bien que j'en grimace.
— Puis on appellera tes parents, poursuit l'infirmière. Ton copain n'a pas su nous donner leurs coordonnées.
— Mes parents ? Non !
Ma mère va littéralement faire une crise de panique si l'hôpital l'appelle ! Puis elle va me demander de tout raconter et là, ça sera le drame.
— Eh, doucement, me conseille l'infirmière surprise. Qu'est ce qu'il y a ? Nous devons contacter tes tuteurs légaux, c'est la procédure.
— On ne peut pas faire en sorte que ma mère... ne soit pas au courant ? supplié-je.
— Ce n'est pas dans mes compétences, ma grande. Il faut en discuter avec le médecin. Il ne devrait pas tarder.
Le médecin généraliste arrive quelques instants plus tard. C'est un grand homme aux cheveux grisonnants et au regard perçant. Il ne semble pas aussi compréhensif que l'infirmière. Le docteur Wilde — c'est son nom — me fait plusieurs contrôles tels que que « lève la jambe » ou « plie le bras ». Il teste mes réflexes, vérifie si je parviens à marcher correctement et me demande de secouer la tête avec vigueur. Lorsque je l'informe que c'est douloureux, il dit :
— C'est normal. Tu as subi un TCCL, c'est un traumatisme craniocérébral léger. C'est plutôt fréquent lorsque ta tête se heurte à des surfaces dures, en l'occurrence un mur de béton, dans ce cas-ci. Tes facultés d'élocution sont inchangées et ton état est stable mais je pense qu'il vaudrait mieux faire une radio. Il n'y aucune raison de s'inquiéter, affirme-t-il lorsqu'il se rend compte que j'ai pâlie. Je ne constate aucune lésion, c'est juste un moyen d'être sûr.
— Il est... obligatoire d'appeler ma mère ?
Ses sourcils fournis se froncent.
— Lorsqu'on pratique des soins sur les mineurs, leurs responsables légaux sont censés être mis au courant.
— On ne peut pas faire une dérogation à cette règle ? insisté-je avec désespoir.
— C'est possible. La personne mineure peut demander à ce que ses parents ne soient pas tenus au courant. Quel âge as-tu ?
— Dix-huit ans.
— C'est d'accord. Mais seulement si les résultats de la radio ne montrent aucun dommage. Dans le cas contraire, nous serons dans l'obligation de contacter ta mère, affirme le docteur Wilde.
Soulagée, je le remercie, puis il s'en va, me laissant seule avec l'infirmière.
— Je vais t'emmener en radiologie, sourit-elle. Ton copain peut nous accompagner. Je vais le laisser entrer puis je vais voir si il y a une salle de libre pour toi. J'arrive de suite.
Un frisson d'appréhension terrasse mon échine. J'ai vu bien trop de films pour me faire une idée précise de la suite. Est ce que ce sera mon agresseur ? En finira-t-il avec moi pour de bon, détruisant ainsi mon vie ? Ou cela sera Noah ? J'espère du fond de mon être que ce sera lui.
Un instant plus tard, c'est un brun aux yeux bleu ciel qui pénètre la pièce.
Oh mon Dieu, merci.
Un souffle à peine perceptible s'échappe de ma bouche. J'ai l'impression de respirer à nouveau.
— Qu'est ce que tu fais ici ?
— C'est cool de me remercier de t'avoir sauvé d'une agression sexuelle, ironise-t-il crûment.
Je déglutis. Une agression sexuelle. Je n'arrive pas à croire que c'est ce qui a failli m'arriver.
— Alors, ça va ? continue-t-il en s'asseyant sur le lit.
— J'ai l'air d'aller bien ?
— Toujours dans l'agressivité ! s'exclame le brun avec mépris. Apparemment, tu vas faire des radios.
Il balaie la chambre du regard, l'air maussade.
— Ouais.
— Tu pourrais me témoigner un peu plus de reconnaissance. Je passe ma fin d'après-midi dans un putain d'hôpital. Tout compte fait, j'aurais dû te laisser là-bas avec ces deux abrutis.
À l'entente de mes mots, le visage de Kendall se décompose. Je soutiens son regard blessé avec une froideur mauvaise. Je n'ai aucune pitié pour elle. Après tout, elle va bien, non ? C'est moi qui l'air tiré de sa situation merdique et elle joue à la fille méchante. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que je suis un expert à prendre du plaisir pour causer du tort aux gens donc c'est un jeu dangereux pour elle d'essayer de rivaliser contre moi.
— Pas la peine de tirer cette gueule.
C'est moi qui devrait faire la gueule, tiens. Je déteste cet hôpital, c'est le pire endroit du monde.
— Et toi, pas la peine de te montrer aussi insensible, crache-t-elle.
Un sourire dédaigneux se dessinant sur mon visage, je me penche vers elle pour faire face à son visage colérique.
— Oh, mais je ne te suis pas insensible, beauté. Je te suis tout, sauf indifférent, murmuré-je près de sa figure.
J'entends le rythme de sa respiration s'accélérer au même rythme que les bip-bip retentissante des machines. Le bleu de ses yeux me fixe avec un mélange de stupeur et de frayeur.
— Bien, conclus-je en me redressant. Allons faire ces foutus radios.
Et barrons nous de cet endroit de malheur.