Adam et Éria accourent vers moi, alors que les autres continuent de me fixer comme si j'étais un véritable alien. Ils doivent tous se demander d'où me provient cette puissance physique. Les Sorciers Blancs sont dotés de plus de force, plus d'habileté, plus de rapidité. Voilà l'explication. Je suis peut-être allée un peu trop loin. Peut-être que j'aurais dû mesurer mes gestes, et peut-être même me laisser faire. Mais tant pis. On ne peut de toute évidence pas déduire l'identité de quelqu'un par un seul duel qui n'a duré que quelques minutes.
Ma tête se met à tourner. Je titube alors sur le sol du gymnase, vois des étoiles scintiller devant mes yeux. Un bourdonnement retendit dans mes oreilles.
— Lana ? Ça va ? m'interpelle Adam dont la voix semble progressivement s'éloigner.
Je hoche la tête, ne voulant pas ameuter les autres élèves qui me fixent déjà. J'essaie de dissimuler mon malaise.
— Tout va bien. Je vais juste aux toilettes me passer de l'eau sur le visage.
Mais Adam m'attrape par le haut du bras, pour me stopper dans mon élan.
— Merci Lana, d'avoir pris ma défense. Tu n'aurais pas dû le faire.
J'adresse alors un sourire de politesse à mon ami.
— Je ne me voyais pas faire autrement, Adam. Ils ont largement abusé.
Je m'éloigne d'eux, quitte le gymnase et gagne les toilettes. Par chance il n'y a personne. Je sens mes jambes vaciller, mes bras trembler. Alors je me maintiens au lavabo, prenant ma tête dans mes mains brûlantes. J'ignore ce qui m'arrive. Je sais que parfois, quand je force trop lors de mes entraînements, j'ai la tête qui tourne. Mais là, c'est tellement plus fort, plus intense. Je me mets à tousser, tellement fort qu'une goutte de sang coule sur ma main. La toux ne s'arrête plus.
Mes mains sont dorénavant couvertes de sang. Je sens que je vais tomber au sol. C'est comme si j'avais des morceaux de verre incrustés tout le long de l'œsophage. Je rassemble le peu de force qu'il me reste, me dirige vers les toilettes pour me faire vomir. Du sang coule en abondance de ma gorge, et recouvre une bonne partie de l'intérieur de la cuvette. Je me laisse tomber au sol, contre le mur, complètement livide après avoir tiré la chasse d'eau. Ma toux se calme alors et je ferme les yeux.
J'ignore complètement ce qu'il vient de m'arriver.
***
J'hésite à en parler à Kal.
Si je ne le fais pas, je risque de mettre en péril ma santé. Mais si je le fais, il risque de me renvoyer chez moi pour inaptitude à la formation. Et je ne peux pas y renoncer, pas après tous mes efforts pour en arriver jusque-là.
Après de longues minutes clouée au sol, je me relève péniblement. J'ouvre le robinet, mouille mon front et bois un peu d'eau. Je suis extrêmement pâle. Je retourne alors dans le gymnase, en priant que le cours n'ait pas recommencé. Et heureusement, je remarque que la pause touche tout juste à sa fin.
Le cours reprend, et j'essaie comme je peux de masquer mon état chaotique. Kal m'ignore complètement durant toute la durée de l'entraînement, ne me faisant aucun commentaire, même si je sens parfois son regard se poser sur moi. Ce n'est pas plus mal. J'entends les critiques qu'il adresse à mes camarades. Il est cassant et impitoyable. Je me demande combien de temps je vais réussir à tenir.
*
Le cours se termine à dix-neuf heures.
On est tous épuisés, incapables d'encaisser ou de donner le moindre coup supplémentaire. Kal est donc obligé de stopper l'entraînement, ne cachant pas sa déception et son mépris à notre égard. Cet entraînement avait plutôt l'allure d'une torture, et ce n'est que le début : le pire reste encore à venir et il nous l'a bien fait comprendre.
Après le cours, on retourne dans notre chambre avec Éria, et on y invite Adam, bien que la présence d'un garçon dedans soit strictement interdite. Un peu d'écart dans le règlement ne peut pas faire du mal après l'humiliation que Kal nous a fait subir.
— On ne devrait pas faire ça. Kal doit avoir les yeux partout, lance Adam, pas rassuré du tout de se savoir dans une chambre féminine.
Éria hausse les épaules d'un air amusé.
— Il n'a aucune raison de se pointer là. T'as peur de lui, Adam ? sourit-elle d'une voix malicieuse.
Son interlocuteur hausse les épaules et secoue la tête.
— C'est juste qu'on ne sait pas de quoi il est capable. Ce mec a des snipers à la place des yeux. Il sait tout, réplique le garçon.
Il s'assoit sur son lit, à côté d'elle, juste en face de moi. Je replie mes genoux contre ma poitrine et m'adosse au mur. Une douleur au niveau de l'estomac me dérange. Les nausées reprennent.
— Tu as mal quelque part ? me demande Éria, comme si elle lisait dans mes pensées.
Je secoue la tête, en essayant de lui accorder un maigre sourire.
— Ça va passer.
— En tout cas, merci encore d'avoir pris ma défense, Lana. Je ne voulais pas que tu combattes à ma place, tu sais... me confie Adam, visiblement embêté que j'ai été amenée à prendre sa place.
— Aucun problème, Adam. Il n'avait pas à te rabaisser de la manière dont il l'a fait.
— Où as-tu appris à combattre de cette manière? me demande la jolie rousse en plongeant son regard dans mes yeux pour m'analyser.
— Seule, la majorité du temps, même si j'ai pris quelques cours.
J'ai répondu sans émotion dans la voix. Éria plisse les yeux et secoue légèrement la tête.
— Ça me paraît bizarre. Tu as tellement de talent, ça crève les yeux. Tu as quand même réussi à frapper Rudis au visage. C'est quand même assez... déroutant.
Je sens qu'elle doute de moi. Mais pourtant, ce que je dis est vrai. Mon entraîneur principal jusqu'à hier a été moi-même. J'ai en effet pratiqué des sports de combat en loisirs pour perfectionner ma technique, mais les cours étaient loin d'être au niveau de ce que demande Kal.
Je hausse les épaules.
— J'ai toujours aimé combattre et m'y suis intéressée très tôt. Avec de la motivation et de la détermination, on arrive à de bons résultats.
Éria finit par hocher la tête dubitativement. Elle poursuit alors la conversation avec Adam.
— Et toi ? Tu as appris à combattre ?
— Bah oui. Mon père m'a payé des cours.
Peut-être qu'il sait se battre, mais en réalité, il est évident que sa force physique est insuffisante. Les autres garçons du groupe sont bien plus robustes et musclés que lui, et je crains que cela ne lui porte rapidement préjudice.
— Et toi, comment tu es arrivée là ? lancé-je à Éria.
Elle n'a que très peu parlé d'elle depuis le début et je la trouve bien mystérieuse. Elle pose beaucoup de questions mais ne répond pas beaucoup aux nôtres.
— Hum, disons que c'était ma destinée.
Elle ne semble visiblement pas vouloir se livrer plus que ça sur son passé. Après tout, c'est son choix. Je ne souhaite pas le faire non plus de mon côté.
— Qu'est-ce que vous avez pensez de Kal ? nous demande alors Adam.
Éria hausse les épaules.
— Talentueux, arrogant, antipathique. Ce sont les seuls mots qui me viennent. Il va nous faire bien bosser, ça c'est sûr...
— Pourquoi est-il aussi peu... humain ? Je le trouve à la limite du sadisme, murmuré-je, déconcertée.
Adam hoche la tête.
— Ils le sont tous plus ou moins ici. C'est comme ça qu'on sort de la formation de l'ISEM. On est formé pour ne plus rien ressentir. Mais par-dessus tout, Kal est une personnalité tellement particulière et complexe à la fois. On connaît très peu de choses de sa vie privée. On sait juste que la majorité des prisons sont remplies par lui, qu'aucun homme n'a réussi à gagner un duel de magie contre lui et qu'apparemment, c'est un Sorcier Blanc... L'un des seuls à être encore en vie.
Un point commun entre Kal et moi. Et sûrement le seul.
— Et son enfance ? On sait quelque chose de ça ? répliqué-je attentivement.
Adam hausse les épaules.
— Certains disent qu'il est orphelin. Je ne sais pas si c'est vrai.
Orphelin ? Me revient alors en tête l'entretien que j'ai passé avec lui. Il est vrai que l'on a uniquement abordé ma situation familiale. Je me demande alors quel était son but de creuser sur ce sujet. Il a prétendu que ma situation ne me permettrait pas de réussir dans l'Armée. Pourtant, lui, s'est mené jusqu'au succès. Est-ce qu'il essayait en réalité de me tester ? Sûrement.
— Peu importe sa situation familiale. Tant que son but premier est de zigouiller les Sorciers Noirs, poursuit Adam.
— Qu'est-ce que vous connaissez d'eux ? demandé-je alors.
Il est vrai que c'est un sujet très tabou. On ne nous en parle pas à l'école, ni dans les médias. Finalement, les seules informations que j'ai pu acquérir viennent de ma grand-mère. Et encore. Traumatisée par ce qui est arrivé à mes parents, elle n'a jamais voulu véritablement rentrer dans les détails.
— Hum... Que ce sont des combattants hors pairs et très dangereux qui usent de la Magie Noire pour renverser le Gouvernement, afin de faire appliquer leur propres lois sur Sheyton. La plupart cherchent aussi à éliminer les Sorciers Blancs, répond le jeune blond.
Visiblement, il a l'air d'en connaître beaucoup à ce sujet. J'en déduis qu'avoir un père au Gouvernement rend plus éclairé. J'en profite pour en apprendre plus.
— Comment se manifeste la magie noire ?
— Par des incantations, des rites dangereux. Elle se produit grâce à une communication avec les enfers. Elle a été créée justement par des Élémentaires jaloux des facultés des Sorciers Blancs. Leurs pouvoirs sont équivalents. Vous voulez un conseil ? N'y touchez pas, si vous ne voulez pas en payer les conséquences toute votre vie. La Magie a toujours un prix... articule Adam, le regard sombre.
— Donc si Kal est un détenteur de Magie Blanche, l'école ne risque rien tant qu'il est là ? demande Éria.
— Tant que Sergeï Beregovoï, détenteur de Magie Blanche lui aussi, et directeur de l'école mais aussi ancien mentor de Kal, est encore en vie, on ne risque rien. Mais si Tanway et les siens parviennent à l'éliminer, on ne fera pas long feu, réplique Adam, l'air sérieux.
— Sauf que Sergueï Beregovoï a des problèmes vu qu'il ne s'est pas présenté à nous. C'est quand même lui qui dirige cet institut, relève Éria, pensive.
— Je ne sais pas ce qu'il se passe actuellement dans l'école. Mais une chose est sûre, il faut rester sur nos gardes. Les sorciers noirs peuvent être partout, lâche le jeune homme.
Certains d'entre eux peuvent-ils déjà être infiltrés dans l'enceinte du site ? Ce que vient de révéler Adam retient de toute évidence mon attention. Alors que la discussion se poursuit, les nausées s'intensifient. Je me lève brusquement.
— Je vais aller à l'infirmerie, lâché-je en sentant les vertiges recommencer.
Adam se lève à son tour et me maintient par l'épaule, pour m'aider à me mouvoir.
— Ça va, Lana ? Tu es toute blanche.
— Je crois que c'est le combat de ce matin qui m'a mise dans cet état-là, j'étais un peu trop stressée. Je dois faire une chute de tension. Ça va aller, ne vous inquiétez pas.
— Tu veux qu'on t'accompagne ? propose Éria.
— Pas la peine. Allez vous coucher, il faut que vous soyez en forme pour demain. On a notre premier cours de magie élémentaire.
Ils n'insistent pas et je me mets en chemin pour l'infirmerie. En espérant qu'elle soit ouverte, à cette heure-ci.
*
La porte est fermée, mais je toque quand même, le cœur battant et la main plaquée sur mon estomac d'où provient une douleur paralysante. Elle s'ouvre au bout de quelques secondes, et un jeune homme blond foncé, à la peau très claire, au visage angélique et en blouse blanche apparaît devant moi.
— Bonjour. Je peux faire quelque chose pour toi ? demande-t-il en m'adressant un sourire très doux.
Cette ambiance chaleureuse me met pour la première fois à l'aise dans cette école austère. Son aura est tellement rassurante que la douleur qui m'animait jusqu'alors semble légèrement s'atténuer.
— Bonjour. J'aimerais consulter un médecin, si c'est possible.
— Je suis Seeno, le guérisseur de l'ISEM. Tu peux me tutoyer. Rentre, réplique-t-il en m'invitant avec convivialité dans l'infirmerie.
Son sourire est lumineux et tellement naturel. Wow. Si le personnel médical est à ce point gentil, je reviendrai plus souvent, c'est certain. Il me fait signe de m'assoir devant son bureau d'un geste élégant, et je lui accorde un sourire de politesse à mon tour.
— Merci...
Il pianote alors sur son ordinateur avant de poser de nouveau ses yeux azurs sur moi.
— Est-ce que je peux te demander ton nom ?
— Sokova. Lana Sokova.
Il pianote de nouveau.
— Qu'est-ce qui t'amène ici, Lana ?
Je me racle la gorge et me redresse.
— Voilà... J'ai des nausées et des vertiges depuis ce matin et j'aurais voulu savoir si je pouvais avoir un médicament pour y remédier.
— D'autres symptômes ? demande-t-il d'une voix immensément douce.
Je secoue la tête.
— Juste ça.
Je préfère ne pas lui parler du sang. Je sais qu'il tiendra un rapport détaillé à Kal, et je n'ai pas envie que cela me porte préjudice. J'attends de voir. Si les médicaments calment les symptômes, je ne vois pas l'intérêt de tout dire. C'est sûrement un simple virus de passage.
Seeno hoche la tête, me fait assoir sur une chaise dans le coin de la pièce et me tend un verre d'eau et un cachet. Je le remercie et verse le contenu poudreux dans le récipient, et remue la mixture avec le dos d'une cuillère, en faisant la moue. Je déteste les médicaments.
Alors que je touille machinalement l'air pensif, la porte de l'infirmerie s'ouvre soudainement. Je lève la tête et me rends compte que c'est Kal qui vient d'entrer. Il se rue sur Seeno, sans avoir remarqué ma présence.
— J'aurais besoin d'Amarante, c'est urgent ! lui lance l'entraîneur.
Seeno lui fait alors remarquer ma présence d'un jeu de regard discret, et au moment où Kal me voit, il se calme subitement. et je vois sur son visage se dessiner une émotion de réprobation, comme s'il n'avait pas souhaité qu'un inconnu l'entende prononcer ces mots.
J'évite alors son regard, en lui faisant croire que je n'ai pas prêté attention à ce qu'il vient de dire, tout en continuant de remuer ma mixture, en tendant discrètement l'oreille.
Seeno lui tend un petit flacon et une seringue que j'arrive tout de même à percevoir. Je remarque dans les yeux de Kal qu'il n'est pas dans son état normal.
Je ne sais pas ce qu'il lui a donné, mais ça m'a l'air bien douteux.