— Bonsoir.
Kal vient de dire un seul mot, mais il a réussi à captiver à lui tout seul l'attention de tous les élèves. Un seul mot pourtant simple, tellement épris de charisme et de puissance, par sa façon de porter sa voix aux quatre coins de la pièce et sa façon déstabilisante de nous fixer d'un regard muni d'une domination affirmée.
Ce « bonsoir » n'est pas amical. Il est froid, même glacial, et résonne dans nos petites oreilles encore naïves. Il a une incroyable façon de captiver d'un seul mot son auditoire, parce que de lui émane une si grande et puissante aura attractive, mais terrifiante à la fois, qu'elle n'égale celle d'aucun autre homme.
Personne n'a osé répondre. Mais de toute façon, nous n'y sommes pas invités.
— Bienvenue à l'Institut Élitiste de Magie de Sheyton. Je serai votre professeur de défense et de combat, ainsi que votre référent d'étude. À ma droite, Rudis Calov, qui m'assistera durant toute la durée de votre formation.
Un homme aux cheveux blond foncé dressés légèrement sur le devant de la tête avec du gel, et au visage comblé de cicatrices, s'avance près de Kal. J'en déduis que c'est lui, Rudis Calov.
Il me fait aussi froid dans le dos. Les deux hommes arborent une attitude dominante qui détermine presque explicitement la position que nous devons adopter devant eux. Ce sont les boss, et nous, rien. Ça commence déjà bien.
— Référent d'étude, c'est qu'il est hiérarchiquement placé au-dessus de tous nos profs... nous souffle discrètement Adam.
J'observe attentivement Kal. Cheveux noirs, et ébouriffés, yeux clairs, peau blanche, torse développé, bras musclés, regard vide de toute expression... Je sais qu'il est jeune, mais la dureté des traits de son visage me rend dans l'impossibilité d'imaginer son âge. Rudis doit avoir quant à lui vingt-cinq ans à tout casser. Il croise ses bras énormes sur son torse, mettant en évidence les muscles proéminents de ces derniers. Lui comme Kal, ne mettraient sans doute pas longtemps à nous briser les os, et c'en est terrifiant. Ils sont l'un comme l'autre l'incarnation de véritables machines à tuer.
L'expression arrogante qui se logeait sur le sourire des futures élèves a subitement disparu, pour laisser place à une appréhension évidente. Personne n'imaginait qu'ils nous feraient une impression aussi déstabilisante. On comprend immédiatement l'enjeu de la formation.
Bienvenue en enfer... et Kal en est le gardien.
— Ainsi, si vous rencontrez quelconque problème dans vos enseignements, je vous prie de venir m'en faire part, et à l'inverse, si vos professeurs rencontrent, eux, un problème avec vous, ils m'en toucheront quelques mots et dans ce cas précis, vous aurez affaire à moi. Pour des raisons que vous découvrirez bientôt, je vous déconseille d'en arriver jusque-là.
Je frissonne. S'il m'a déjà dans son collimateur, je suis mal barrée.
— Comment c'est possible que Kal Harrow soit notre entraîneur référent ? C'est Sergueï Beregovoï occupe normalement ce poste... nous glisse Adam, un peu trop fort à mon goût.
Kal a des radars à la place des yeux. Il l'entend de là où il est et lui adresse un regard dominant et glacial, mais Adam, ne le voyant pas, continue à se tourner vers nous pour nous transmettre ses petites remarques. Je sens le malaise monter. J'alterne un regard très mal à l'aise entre mon nouvel ami et l'enseignant référent qui, visiblement, n'apprécie pas qu'on ne lui accorde pas toute l'attention qu'il demande quand il parle.
— Chut, Adam ! lui souffle Éria tout bas, en faisant signe à l'étudiant que Kal le fixe.
Sauf que le mal est déjà fait. Je me fige sur place quand je m'aperçois que Kal se dirige vers nous d'un pas décidé. Il s'arrête devant Adam et les étudiants qui se trouvaient devant lui s'écartent pour le mettre sur le devant de la scène. Il plante alors ses yeux déstabilisants et autoritaires dans les siens, tout en l'analysant intégralement. Personne n'aurait aimé être à sa place, à ce moment-là.
— Un pas en avant, lui ordonne-t-il d'une voix glaçante et puissante.
Adam s'exécute et devient blême de honte. Il se met à trembler de peur, et parvient difficilement à soutenir son regard, au bord du malaise. Lui qui faisait le malin tout à l'heure, se retrouve dans la position la plus inconfortable qui soit. Moi aussi, je tremble. Kal et toute la réputation qui le précède se tiennent à quelques centimètres de nous. D'autant plus qu'il doit se souvenir de mon comportement impulsif durant les entretiens. Il vient directement de nous associer tous les deux, comme il a vu qu'il me parlait, nous mettant dans une position vraiment compliquée par la suite. Je n'ose même pas lever les yeux vers lui de peur de croiser son regard. Faire profil bas n'a jamais autant pris tout son sens. Adam paraît tellement petit et frêle devant lui, qui possède une carrure si imposante. Une crevette. Une crevette qu'on pourrait broyer avec seulement deux doigts. Voilà ce qu'il paraît être devant Kal.
— C'est quoi ton nom ? demande fermement le référent, en le fixant dans les yeux de son éternel regard dominant et affirmé.
— Adam. Pears, répond une voix tremblante.
— Adam. Crois-tu que la valeur à quatre chiffres des vêtements que tu portes te donne le droit de ne pas écouter et de parler en même temps que l'un de tes professeurs ?
Adam baisse les yeux. Il est mort de honte, mais je sens aussi qu'il est piqué dans son ego. C'est quelqu'un de fier. Se faire afficher devant tout le monde de cette manière-là le premier jour est quelque chose qu'il n'est pas près d'oublier.
Le ton employé par Kal est ferme et glacial. Il ne crie pas, il n'en a pas besoin de toute façon pour se faire entendre.
— Tu n'es rien ici. Ton devoir est de respecter tes mentors et de la fermer quand on ne t'invite pas à parler. Par expérience, je sais que les merdeux de ton genre ne vont pas très loin, et je ne me priverai pas de te renvoyer chez toi si tu ne la boucles pas quand c'est demandé.
Il se tourne alors vers le reste des étudiants, devenus blêmes.
— Cet avertissement vaut pour tout le monde ici ! Vous n'êtes plus au lycée. Vous vous apprêtez à intégrer la formation la plus prestigieuse du pays, alors faites-y honneur, sinon je n'hésiterai pas à vous transmettre à la place de votre emploi du temps un billet départ de l'ISEM, sans retour. Est-ce que c'est clair ? lance-t-il sur un ton si cinglant que personne n'ose répondre.
Adam n'ose pas regarder son interlocuteur. Il se contente juste d'hocher la tête doucement, dont le teint adopte subitement une couleur pivoine qui se met alors à habiller la blancheur de ses joues.
Son avertissement prononcé, Kal fait demi-tour et se replace à l'endroit même où il avait commencé son discours avant cet incident.
— Quel enfoiré... marmonne tout bas Adam une fois qu'il a le dos tourné, visiblement piqué dans sa fierté.
Kal vient de l'humilier devant tout le monde et c'est, par la même occasion, une manière pour lui de nous initier à ce qui nous attend durant les prochains jours.
— Si vous avez accepté d'intégrer d'ISEM, vous vous devez de respecter le règlement intérieur, poursuit-il. J'attends de vous que vous soyez irréprochables. Un seul faux pas pourra vous coûter un retour express chez vous. Si certains trouvent ces règles trop strictes, c'est qu'ils ne sont pas faits pour cette formation. La rigueur et le sérieux seront vos principaux alliés dans vos études de magie, parce que ces dernières doivent être impérativement prises au sérieux. Les cours commencent à sept heures précises tous les matins et leur fin dépendra de la qualité du travail que vous aurez fourni. Aucun retard ne sera toléré. Une alarme sonne tous les matins à six heures. Vous avez donc une heure pour vous préparer et prendre votre petit-déjeuner, après cela, vous serez attendus dans nos salles de classe. Si, par tout hasard, certaines de vos questions n'ont pas été répondues, mon bureau se trouve au neuvième étage, et reste ouvert en dehors de mes heures d'entraînement. Votre emploi du temps pour l'année vous sera distribué dans vos chambres. Tâchez d'y porter une attention soutenue. Je vous remercie de votre attention. Je vous attends demain à 7 heures dans le gymnase pour votre première séance d'initiation au combat. Soyez prêts et à l'heure. Bienvenue à l'ISEM.
Son discours une fois prononcé, Kal disparaît de la salle avec le reste de son équipe pédagogique et les conversations fusent. Je jette un coup d'œil vers Adam et je m'aperçois que son visage est resté fermé. Ses yeux assombris semblent lancer des éclairs. Moi, je ne bouge pas, encore sous le choc de ce que je viens d'entendre.
— C'est un vrai connard, ce type. Il n'avait pas à me parler comme ça. Je ne lui ai pas non plus manqué de respect à ce point, fulmine Adam, visiblement très indigné par ce qu'il vient de se passer.
— Ce n'est pas toi qui avait les yeux qui brillaient d'admiration quand il est entré dans la salle ? « Une légende », tu disais ? se moque alors Éria.
Adam lève les yeux au ciel.
— Ok, ce mec est sans doute bourré de talent, mais il n'en est pas moins le stéréotype du type pédant et imbu de sa personne. Croyez-moi, ça risque de ne pas le faire avec lui, rétorque-t-il froidement.
— Ça ne le fait déjà pas avec moi... lâché-je, un peu ailleurs et le regard lointain.
Éria et Adam se tournent subitement vers moi.
— Quoi ? s'exclament-t-ils.
— Ça te rappelle rien la salle 974, Adam ? C'est le mec qui m'a fait passer les entretiens et je ne lui ai pas très bien parlé, je dois dire, et je me suis même barrée avant la fin en claquant la porte, tellement les propos qu'il a tenu à mon égard étaient déplacés.
— Oh bah merde, Sokova ! Moi qui pensais être le premier étudiant sur sa liste noire, lâche le garçon.
— Comment ça se fait alors qu'il t'ait retenue si tu lui as manqué de respect ? demande Éria en fronçant les sourcils d'incompréhension.
— Les admissions, c'est tout un ensemble. Il suffit qu'elle ait cumulé suffisamment de points avant les autres étapes pour qu'elle devance même après ça d'autres candidats. Il n'a juste pas refusé sa candidature, explique Adam.
Éria laisse échapper un petit soupir de satisfaction.
— En tout cas, si c'est lui qui va assurer nos entraînements physiques, je ne dis pas non. Qu'est-ce qu'il est beau ! s'exclame Éria en adoptant une attitude minaudeuse.
Adam arbore alors une expression de dégoût.
— Oh pitié, Éria ! Ne sois pas stupide. Pas un type comme lui, non !
La jeune fille hausse les épaules.
— Bah il a des cheveux noirs magnifiques, des yeux verts à tomber par terre et un teint pâle presque mystique. Sans compter ses muscles parfaitement développés au niveau de son...
— Stooop ! s'exclame Adam. Je ne veux plus entendre ne serait-ce qu'un compliment sur ce triple bâtard à l'égo surdimensionné, sinon je mets fin au début de notre amitié naissante après t'avoir fait bouffer son règlement pathétique !
Éria lève les yeux au ciel.
— Pfff... T'es jaloux, c'est tout. S'il ne t'avait pas affiché comme il l'a fait, tu ramperais devant lui à l'heure qu'il est pour avoir un autographe, lâche-t-elle.
Adam laisse échapper un petit soufflement hautain et dédaigneux. Il remet en place son long manteau noir en place et toise d'un regard méprisant la porte par laquelle Kal vient de sortir.
— N'importe quoi.
— Je ne pense pas que les filles soient franchement sa première préoccupation. À mon avis, c'est le genre de mec qui ne se laisse pas approcher aussi facilement.
Puis je renchéris.
— Je ne suis pas sûr qu'il ait non plus une horde d'amis, en essayant d'analyser tout ce que j'ai pu voir de lui jusqu'alors.
Adam décide de mettre fin à ce sujet de conversation en exécutant un geste réprobateur de la main.
— Arrêtons de parler de lui. On va déjà devoir se le coltiner tous les jours pendant plusieurs mois. On devrait faire comme les autres autres et aller trouver nos chambres, suggère l'étudiant.
J'acquiesce.
— Allons-y, alors.
— Une dernière chose... poursuit Éria.
— Quoi ? soupire Adam.
— Tu as dit que c'était un certain Sergueï Beregovoï qui devait occuper le poste de Kal Harrow ?
Le garçon hoche succinctement la tête.
— Oui. Ce qui est bizarre, c'est que Kal assure ses cours. Ce devrait être Beregovoï. Il avait ce poste depuis près de vingt ans. Kal a été formé à l'ISEM, a travaillé pendant plusieurs années dans l'armée pour traquer les sorciers noirs, mais Kal n'a jamais été professeur ni entraîneur.
— Tu penses qu'ils nous cachent quelque chose ? murmuré-je.
— Si Kal est retourné à l'ISEM, c'est que Sergueï Beregovoï le lui a demandé.
— Ou qu'il a été écarté, coupé-je.
— Mais pour quelle raison ? demande Éria en fronçant ses sourcils fins.
— Reste à savoir... Kal n'est pas un mec fait pour enseigner. Ce n'est pas son métier. Ce type remplit chaque jour les prisons de Sheyton. S'il est ici au lieu d'être sur le terrain, c'est qu'il se passe quelque chose à l'ISEM qu'on ignore.
— On devrait mener l'enquête, renchérit Éria.
— On devrait surtout regagner les dortoirs, avance Adam pour changer de sujet. La journée de demain va être longue.
Sur ces dires, on se dirige vers les chambres. Je me débrouille pour être dans celle d'Éria. On décide ensuite de s'endormir tout de suite. De toute façon, on est déjà épuisés par la soirée.
La journée de demain va être très longue. Un peu de sommeil ne sera pas du luxe.
***
Prison du Milieu, 00h12.
La lune éclairait partiellement la haute tour de la Prison du Milieu, la prison la plus sécurisée de Sheyton. Remplie en majorité par le célèbre Sorcier Blanc Kal Harrow, elle renfermait les criminels les plus dangereux du monde de la magie, y compris Tanway, l'ancien chef des Sorciers Noirs. C'était d'ailleurs Kal qui l'avait capturé. Il avait été le seul à pouvoir mettre la main sur lui et le maîtriser, ce qui avait fait de lui l'un des guerriers et sorciers blancs les plus légendaires de tout Sheyton.Il avait été en effet formé pour ça. Il avait étudié durant des années le mode opératoire des sorciers noirs, pour pouvoir plus facilement les traquer. Trouver Tanway n'avait pas été chose facile mais quand on est entraîné comme Kal, ce n'est qu'une case supplémentaire à cocher.
Tanway gisait actuellement dans la cellule la plus protégée de la Prison du Milieu, enchaînée par de lourdes chaînes autour de ses quatre membres et de son cou. Une potentielle évasion relevait de l'impossible.
Et pourtant...
Les gardes, aussi nombreux soient-ils, s'étaient livrés comme chaque soir à des rondes plus vigilantes les unes que les autres dans chaque couloir de l'établissement jugé haute sécurité. Mais alors qu'ils patrouillaient machinalement près de sa cellule, une explosion retentit. Ils se ruèrent vers la cellule de Tanway, mais restèrent pétrifiés quand ils se rendirent compte que cette dernière demeurait vide.
Tanway venait de s'évader. Et il était déjà en route pour assouvir ses objectifs sombres.
...c'est-à-dire tuer tous les Sorciers Blancs, à commencer par celui qui l'avait enfermé pendant quatre ans dans une cellule, puis trouver celle qui lui avait échappé des mains huit ans auparavant. L'Élue.