Un Fantôme de Bon Goût (The S...

By Milishanou

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Lord Aylward a tout pour plaire : il est extraordinairement beau, plutôt riche, (trop) bien élevé, et terribl... More

2. Une bonne nouvelle. Sans doute
3. Quelques non-dits et plein d'espoir
4. Le pas tout à fait fantôme de Penryn Hall
5. Un tea time particulièrement tendu
6. Un vendredi treize
7. Un peu de gymnastique
8. La providence
9. De l'importance des conventions en toute circonstance
10. Une bonne odeur de brioche
11. Confidence pour confidence...
12. L'art de la conversation
13. Le monstre et le héros
14. La vieille renarde
15. Une réalité plutôt décevante
16. Trop d'enthousiasme
17. Nappage à la commère
18. Passons aux choses sérieuses
19. Un voyage qui aurait pu être plus long
20. Il aurait fallu y penser avant
21. Bière et suspect
22. Ça commence bien.
23. C'est tout à fait ce qu'ils voulaient faire
24. Une bonne organisation pour une fois
25. Des explications bien trop courtes
26. Des preuves irréfutables
27. Si seulement on pouvait rentrer à la maison

1. Viens, viens me voir...

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By Milishanou

Les lieux étaient silencieux. Extrêmement silencieux.

En omettant bien sûr l'appel spectral qui s'élevait de temps à autre de la cave et que Benedict était probablement le seul à entendre.

« Hoc adsis, hoc mihi adsis... Tibi magnam arcanam docturus sum scientiamque occoltam. Confide in me... » blablabla. Apparemment, la voix promettait des savoirs occultes, et d'innombrables richesses, à qui viendrait l'écouter d'un peu plus près.

Le tout dans un épouvantable latin de cuisine. Ce genre de marché étant rarement digne de confiance, Benedict fit mine de ne pas entendre, regardant plutôt nonchalamment autour de lui d'un air innocent.

Cette bibliothèque était spacieuse et bien fournie, elle sentait bon le bois ciré et un peu moins bon la concentration. Quant à ses membres, sagement assis, ils obéissaient scrupuleusement au panneau :

« SALLE DE LECTURE : VEUILLEZ RESPECTER LE CALME ET LE SILENCE ».

Un homme distingué et barbu referma doucement son livre. Il se leva ensuite sans un bruit pour s'éloigner d'un pas leste tout en parvenant à ne pas faire grincer une seule fois le parquet. Benedict l'observa faire, impressionné.

Il ne maîtrisait pas cette technique de déplacement. D'un naturel anxieux, il espéra sincèrement qu'il ne s'agissait pas d'un prérequis pour être autorisé à fréquenter les lieux...

Puis la bibliothécaire qui l'avait laissé en plan revint enfin à son guichet.

Oubliant de refermer derrière elle la porte vitrée qui les séparait de la salle de lecture, elle replongea précipitamment le nez dans ses fiches. Elle savait déjà que celle qu'elle cherchait n'était pas là, mais elle avait besoin de retarder le moment où il faudrait l'avouer à voix haute.

Au bord de la crise d'angoisse, elle tourna et retourna nerveusement les petites feuilles cartonnées. Ses doigts de plus en plus moites collaient au papier et à l'encre. Comme pour échapper à ce contact désagréable, un bon tiers du paquet tenta de s'enfuir et finit par s'éparpiller brusquement au sol.

Depuis la salle de lecture, de nombreuses têtes se levèrent pour la foudroyer du regard comme si elle venait de faire s'écrouler une pile de casseroles. Benedict déglutit. Ici, on ne rigolait pas avec le SILENCE.

Pestant intérieurement contre elle-même, la bibliothécaire soupira, s'interrompit pour aller fermer la porte puis revint s'accroupir pour tout ramasser, évitant toujours soigneusement le regard du jeune homme.

Non, elle n'était pas une personne maladroite, encore moins incompétente. Caroline était une excellente bibliothécaire. Organisée, zélée, elle était également dotée d'une mémoire exceptionnelle.

Son seul souci c'était cette terreur inexplicable qui la prenait à chaque fois qu'elle devait interagir avec un inconnu. Voilà pourquoi le directeur l'avait installée à cette section : les ouvrages consacrés au surnaturel n'étaient franchement pas les plus souvent demandés...

Après avoir ordonné une pile de fiches sur le comptoir, elle esquiva à nouveau le regard de Benedict pour consulter une énième fois le registre d'emprunt. Et enfin, résignée, elle prit une douloureuse inspiration pour annoncer :

« J-j-je suis d-désolée monsieur. I-i-il n-n-n'est-n'est pas disponible non plus. J-j-je-je suis désolée... »

Normalement, ce n'était pas grave.

Mais avec les clients on ne sait jamais à quoi s'attendre. Elle connaissait plus d'un sadique qui s'amusait à la mettre mal à l'aise pour pouvoir ensuite se plaindre de son bégaiement, de son incompétence, douter de sa santé mentale ou faire les trois à la fois. Or, elle avait cru remarquer qu'elle en attirait pas mal, des sadiques...

D'instinct, elle rentra donc la tête dans les épaules en serrant les dents. Mais le jeune homme ne grommela pas, ne tapota pas sa montre en argent ni ne fit aucune remarque désobligeante. Étrange.

Elle hasarda un coup d'œil vers lui et tomba sur un inhabituel sourire compréhensif. Très étrange.

Avec un calme olympien, il prononça une phrase qu'elle entendait trop rarement :

« Mais ne le soyez pas mademoiselle, vous n'y êtes pour rien. »

D'un geste élégant, il replia sa longue liste pour la ranger dans sa petite poche. Puis il demanda d'un ton affable :

« Peut-être vous reste-t-il un ouvrage de ce même auteur, qui ne serait ni en consultation ni emprunté ? »

Il avait les yeux emplis d'espoir. Elle hésita avant d'avouer avec appréhension :

« N-n-n-non monsieur... j-je- suis... d-d-désolée. »

Portant la main à son haut de forme, il inclina légèrement la tête puis déclara avec douceur :

« Ce n'est pas grave mademoiselle, vous avez fait de votre mieux et je vous en remercie. Je vais flâner entre les rayonnages. Vous m'avez été d'une aide très précieuse. Vraiment. »

Alors ça, ce n'était pas commun ! Battant des paupières, elle l'observa qui prenait énormément de précaution pour pénétrer très lentement dans la salle de lecture, le plus silencieusement possible. Oui, décidément, c'était un curieux personnage.

D'ailleurs, puisqu'on en parle, c'est vrai que dès le départ, il avait eu un comportement étrange.

Déjà : il ne s'était pas collé à son guichet. Tous les clients se collaient à son guichet quand ils devaient lui demander quelque chose. Une attitude envahissante qui la mettait très mal à l'aise.

Mais pas lui. Non, à peine arrivé il avait reculé d'un pas, respectant son espace. Il ne s'était approché que progressivement, au fil de ses requêtes.

Enfin ! Pas une seule fois il ne l'avait interrompue pour finir ses phrases à sa place.

Et plus elle s'était crispée, nerveuse, plus il avait adouci son ton. Il avait énuméré quatorze titres, tous de Lionel Kurt, tous indisponibles, sans jamais manifester le moindre agacement à son égard.

Honnêtement, on l'avait déjà accablée de reproches injustifiés dans des situations bien moins fâcheuses !

Or, pour une fois, c'était de sa faute si aucun des livres de Lionel Kurt n'était consultable. Au moins cinq auraient dû être encore en rayon.

Mais Mr. Hawkins lui avait demandé s'il pouvait consulter un peu plus que la limite autorisée. Oh, un tout petit peu plus, vraiment rien... et elle avait été incapable de lui dire non.

Bon. Elle n'avait pas dit oui pour autant. Mais elle lui avait rendu son petit clin d'œil complice en hochant la tête, ce qui revenait au même.

Elle faisait du favoritisme. C'était mal. Oh ça, elle le savait très bien.

Mais comment résister au charme du fringant journaliste ? Enfin, fringant futur journaliste. Ou plus exactement : fringant mécanicien préposé au bon fonctionnement des presses du Great London Chronicle, et aspirant journaliste. Presque pareil.

Il était tellement différent des autres abonnés de sa section. Au milieu des vieux barbus louches à moitié fous et des jeunes moustachus louches à moitié fous, il tranchait avec son bagou charmeur, son humour décontracté, ses larges épaules musclées, ses bottes si exotiques, sa chemise jamais repassée, son foulard poussiéreux et sa veste de cuir. Ah, et son absence de barbe ou de moustache.

Il lui faisait tout à fait penser à un aventurier.

Elle l'imaginait volontiers traverser une jungle hostile ou un désert brûlant, enfin... quelque chose du genre vous voyez ? Mais toujours sur fond de soleil couchant. La peau légèrement hâlée, il était en-sueur-mais-pas-trop alors qu'il combattait un ennemi.

Ou alors il prenait des poses, en regardant l'horizon d'un air inspiré.

Éventuellement, il pouvait simplement danser avec des chevaux sauvages quand elle était trop fatiguée pour étoffer un scénario.

Tandis qu'elle l'imaginait à présent en train de dompter une panthère au péril de sa vie, ou peut-être un reptile mais peu importe, Mr. Hawkins était en réalité en train de prendre des notes sur l'empathie chez les fougères.

Les doigts tachés d'encre et d'huile, il tentait maladroitement de remettre en arrière ses mèches - forcément rebelles - à l'aide de son poignet.

En croisant le regard perçant de Caroline, il lui décocha un sourire franc, cachant rapidement ses mains sous la table pour les essuyer contre son pantalon. Elle voulut lui sourire à son tour, mais elle avait déjà détourné les yeux par réflexe. Maudite nervosité.

Ses yeux tombèrent alors sur le client aimable, qui détaillait un rayonnage de sa section. Dans son dos, ses très, très longs cheveux couleur cognac, serrés par un catogan, tombaient aussi raides que sa posture.

À son ton et à son maintien, elle aurait juré qu'il s'agissait d'un aristocrate... mais normalement, il n'y avait pas d'aristocrates ici.

Difficile de le visualiser en train de combattre un alligator celui-là...

Non, elle le voyait plutôt succomber à une piqûre de moustique tropical, son délicat visage aux traits fins pâlissant à vue d'œil pendant que Mr. Hawkins partait lui chercher un remède, la chemise déchirée, pagayant à bord d'une pirogue...

Elle ne se serait pas plainte de le voir s'abonner lui aussi à sa section. Les gens aimables et patients avec elle étaient bien trop rares à son goût.

Elle venait à peine de conclure sur cette pensée qu'il revint vers elle, un livre à la main. Après avoir refermé discrètement la porte derrière lui, il murmura :

« J'aimerais consulter cet ouvrage, si c'est possible bien évidemment... »

Il déposa sur le comptoir le premier volume des Expériences étranges de communication avec le basalte du professeur Nosemann. Souriant plus chaleureusement que toute à l'heure, il ajouta :

« ...et je pense que je vais m'inscrire, si cela est possible et que ça ne vous ennuie pas.

- N-n-non m-monsieur, bien sûr. P-p-puis-je avoir v-v-v-votre nom s'il vous p-p-plaît, Mr... ? »

Il hésita avant de choisir de répondre « Mr. Alden » en lui tendant sa carte de visite.

Ah, elle aimait beaucoup quand ils faisaient ça. Ça lui permettait de ne pas avoir à demander aux clients d'épeler leur nom, ce qui l'embarrassait toujours beaucoup. Elle attrapa la carte et s'étonna de la simplicité de sa présentation qui contrastait grandement avec son contenu.

On avait là, en plus de quatre prénoms et un nom de famille, un titre qu'il avait omis d'utiliser. « Lord » rien que ça ? Ces gens-là possédaient normalement des bibliothèques privées qui n'avaient rien à envier à celle de Westhall...

Mais peut-être n'étaient-elles pas aussi fournies en matière d'études farfelues sur le paranormal ?

Elle tourna vers lui sa fiche afin qu'il puisse signer. Puis elle lui remit le règlement et il la remercia avec beaucoup de sollicitude.

Ensuite, il s'installa devant le beau brun que la bibliothécaire ne cessait de dévisager, et sortit en guise de marque-page une petite annonce découpée dans un journal :

« Groupe de chercheurs anonymes, intéressés par tout phénomène extraordinaire et inexpliqué. Expérimentés, zélés et passionnés, agissant dans la discrétion. Prière de nous écrire à la S.A.I.P.P.M.D.E. (Société Anglaise d'Investigation des Phénomènes Possiblement Magiques et Difficilement Explicables), 37 Marylebone Road. Londres. »

Il avait jugé le texte on ne peut plus loufoque. Pourtant il leur avait écrit, demandant à les rejoindre. Nul doute que son père aurait formellement condamné cette démarche ! Depuis quand était-il aussi déraisonnable ?

Hélas, ou tant mieux, on lui avait poliment répondu qu'il s'agissait d'une entreprise familiale et que les nouveaux membres n'étaient, pour l'instant, pas recherchés. Il aurait dû froisser et jeter l'annonce mais il l'avait soigneusement conservée, au cas où... au cas où quoi, honnêtement ?

« Hoc adsis, hoc mihi adsis. Magnam arcanam docturus sum scientiamque occoltam... »

Pour la énième fois, la litanie du fantôme résonna depuis les profondeurs. Benedict lutta pour ne pas y prêter attention, mais la voix s'acharnait. Est-ce que le spectre sentait qu'une personne capable de l'entendre était présente dans les lieux ?

Benedict n'en savait rien et ne tenait pas à le savoir. Il tâcha de s'intéresser à sa lecture en attendant de pouvoir enfin récupérer les livres de Lionel Kurt, retenus en otage par le bellâtre assis en face de lui qui tapotait de ses doigts sales toutes les pages qu'il prenait en note.

Difficile de rester concentré : Benedict ressentait un profond ennui, mêlé de fatigue ainsi que d'impatience, et aucune de ces émotions n'était à lui. Elles émanaient de l'homme assis à la table de derrière.

Il les distinguait aisément de l'enthousiasme lointain qu'éprouvait la bibliothécaire de l'autre côté de la porte, absorbée par l'une de ses rêveries. En face, on lui envoyait un mélange de perplexité et de doute.

Les émotions des autres lecteurs autour de lui étaient à peine moins lisibles et non moins contradictoires entre elles. Cela lui demanda de redoubler d'efforts pour ne pas se laisser atteindre, ce qui l'épuisait plus que nécessaire.

À grands renforts de longues respirations et de discipline, il parvint enfin à faire le vide quand l'insupportable voix fantomatique tonna :

« HOC ADSIS, HOC MIHI ADSIS ! TIBI MAGNAM ARCANAM DOCTURUS SUM SCIENTIAMQUE OCCOLTAM ! CONFIDE IN ME ! CONVENI MIHI, HAC INTER OMNIS DITISSEMUS ET PUTENTISSIMUS FACTUS ERIS ! HOC ADSIS, HOC MIHI ADSIS !!

- ADES ! C'est ADES, par tous les dieux ! C'est un IMPÉRATIF ! » Ne put s'empêcher de s'écrier alors Benedict, excédé. Il s'adressa au parquet en sifflant entre ses dents : « Ce n'est quand même pas compliqué d'apprendre ses conjugaisons... »

L'ensemble des lecteurs le dévisagea avec fureur, effroi, ou les deux. Les lieux étaient extrêmement silencieux... en apparence seulement. Malheureusement, le lord était le seul à le savoir.

Son visage blêmit.

Il était mortifié et honteux de n'avoir pas su se maîtriser. La journée avait été trop longue, elle lui avait déjà demandé bien trop d'efforts. Il ne resterait pas à Londres ce soir, dès qu'il pourrait, il retrouverait le calme de la campagne pour se concentrer sur d'autres recherches.

Refermant son livre et abandonnant ceux de Lionel Kurt à leur sort, il se leva pour sortir, après avoir offert une expression confuse et dévastée à tous ceux qui lui jetaient des regards assassins.

Après un long silence, une voix s'éleva timidement depuis le sous-sol tandis qu'il gagnait la porte : 

« ... Hoc... ades ? ... Hoc mihi... ades ? »

Benedict soupira, désabusé :

« Huc. Adverbe. Huc mihi ades. »

Avant de refermer la porte derrière lui.

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