Haru fermait ses yeux avec un léger soupir de bien être puis les rouvrit pour redécouvrir l'ambiance tamisée que créent les bougies avec leurs flammes vacillantes dans la petite salle de bain de sa chambre. Son regard parcouru la fresque peinte au mur, de petits meubles de bois clair et sa modeste baignoire qui lui offre ce petit moment de détente. Elle avait travaillé toute la journée à l'épicerie de ses parents, située au coin de la rue, à quelques pas de la maison familiale. Haru se redressa pour sortir du bain car l'eau commençait à se faire froide. C'est avec de petits gestes calmes qu'elle prit sa serviette qu'elle mit autour de sa taille et détacha ses cheveux blonds pour les laisser retomber à la hauteur de ses épaules. Haru passa sa main sur le miroir pour effacer la buée qui s'y était déposée. Une fois son reflet visible, elle peigna délicatement sa chevelure.
« Haru à table ! »
C'était l'heure du dîner et la présence de Haru était demandée. Cette dernière s'empressa donc de s'habiller pour se joindre au repas. Arrivée dans la salle à manger, son père, sa mère et sa petite sœur l'attendaient autour d'une grande table sur laquelle était disposée une faible quantité de nourriture. Haru s'assied.
— Pardonnez mon retard, dit-elle, gênée
Ils commencèrent à manger dans un certain silence. Seuls le sifflement du vent et le bruit des couverts s'entendaient avant que Philys ne casse ce silence.
— Pourquoi personne ne parle ? Il y a un problème ?
— Un habitant du village a récemment disparu sans laisser de traces.
— Une nouvelle disparition ? Pourquoi n'en as-tu pas parlé plus tôt papa ? demanda Haru.
— Ton père pense que ce n'est pas une simple disparition. À vrai dire, nous pensons qu'il y a un lien avec le Bois Willow.
— Vous connaissez l'histoire des sept enfants perdus ? questionna le père
— Non, répondirent Philys et Haru.
— Il y a de cela vingt ans, commença la mère, sept enfants originaires d'ici, de Crow Hill, ont mystérieusement disparus... Trois jeunes filles et quatre petits garçons. Lorsque cela s'est produit, les parents de ces mômes se sont immédiatement rendus au poste de police. Là-bas, ils demandèrent à ce que des recherches soient lancées pour retrouver leurs petits. Très vite, ces sept malheureux furent surnommés "Les disparus de Crow Hill".
— Quand l'enquête sur leur disparition fut ouverte, poursuivit le père, toutes les maisons du village furent fouillées. Ça n'a rien donné. Alors, les enquêteurs étendirent leurs recherches. Ils ont bien fait car ils ont pu retrouver l'un des disparus. Mais ils sont arrivés trop tard. Le pauvre a été repêché dans le puits du village, il s'était noyé, sûrement après avoir fait une mauvaise chute. Durant les jours qui ont suivis, un second corps a été trouvé, celui de l'une des fillettes, sa tête avait heurté un rocher. Ces deux morts ont vite été classées comme "accidentelles".
— L'enquête commençait à piétiner, enchaîna la mère, seuls deux des enfants avaient été retrouvés... Les mois passaient et les enquêteurs étaient presque harcelés par les parents dont les mômes étaient toujours disparus. Après plus de six mois sans nouveaux éléments, l'affaire fut classée "irrésolue"...
— Mais un jour, une personne s'est rendue au poste de police, dit le père.
— Cette personne avait trouvé quatre corps d'enfants au cœur du bois Willow lors d'une promenade ordinaire, reprit la mère. Je suppose que vous savez que le Bois n'a pas toujours été interdit d'accès alors c'est pour cela que ce monsieur se promenait là-bas. Enfin bref, quand les enquêteurs se sont rendus sur place, ils n'ont pas vraiment su comment déterminer quelle était la cause de leur mort. Aucun ne possédait une quelconque blessure physique. Une fois ramenés à la morgue, les familles furent contactées. Il s'agissait bien des enfants des disparus de Crow Hill. Étant donné qu'ils ne présentaient pas de blessures ou de maladies, leur décès est resté un mystère...
— Cependant, après plus de deux années passées, beaucoup se posaient des questions sur cette enquête. Moi et votre mère y comprit. On suppose toujours que l'enquête qui a été menée garde encore une grande part d'ombre... Mais pour en revenir à ce qu'a dit votre mère, c'est pour cette raison que de nos jours le Bois Willow est interdit d'accès.
— Mais... L'un des enfants n'a jamais été retrouvé ? demanda Haru.
— En effet, l'une des familles est restée sans réponse car leur fils est encore à ce jour porté disparu, répondit le père.
— Ça veut dire qu'il est encore en vie ? demanda Philys.
— Peut-être que oui, peut être que non. Nul ne le sait. Vous savez les filles, quand ce petit garçon a disparu, il était très jeune... Si personne n'a prit soin de lui entre temps, il n'est probablement plus de notre monde depuis longtemps, répondit la mère.
— Mais il y a quand même une chance qu'il soit encore en vie non ? insista Philys.
— Ma chérie, cette histoire date d'il y a déjà vingt ans... Tu n'étais même pas encore née, dit la mère.
— Je m'en fiche ! Je suis sûre que le garçon vit encore et j'irai voir moi-même !
— Non. Aucun d'entre nous n'ira dans le Bois c'est compris ? C'est dangereux alors personne n'ira d'accord !? s'exclama le père avant de reprendre son calme. Bon allez ça suffit Philys, va dans ta chambre, ordonna-t-il.
Agacée, Philys quitta la table et partit bouder dans sa chambre.
— Pour en revenir à la récente disparition, vous pensez que la personne serait elle aussi allé dans le Bois Willow ?
— On est sûrs de rien avec ton père mais c'est fort probable...
— Et pour les autres qui ont disparus récemment, ce serait aussi en lien avec tout ça ?
— Tu sais Haru, personne n'a su démontrer que la mort des disparus de Crow Hill était réellement en lien avec le Bois. Certes les corps ont été découverts là-bas mais leur histoire est encore terrée dans l'obscurité du Bois Willow... Personnellement, je pense que la cause de leur décès n'a rien d'étrange, qu'ils sont tout simplement morts de faim et de fatigue.
— Sottises, grimaça le père, ce Bois est maudit. Ces pauvres gosses ont été frappés par la malédiction, voilà tout.
— Maudit ? Pourquoi ça ? Et quelle malédiction ? questionna Haru.
— Tu ne le savais pas ? La malédiction du bois Willow est en lien avec ce...
— Stop, coupa la mère. Si cela continue, tu vas finir par l'empêcher de dormir à cause de cette fichue histoire. Et il commence à se faire tard, elle devrait déjà être couchée.
— Mais elle n'a plus l'âge de faire des cauchemars enfin ! rigola le père. Et puis, elle a le droit de savoir non ?
— N'insiste pas. Demain elle doit ouvrir l'épicerie à sept heures, elle doit aller se reposer.
— Ah, oui c'est vrai... répondit Haru en souriant bêtement.
Elle quitta à son tour la table et après avoir embrassé ses parents, elle rejoint sa chambre. Quand elle passa la porte, elle la referma calmement derrière elle avant de s'avancer vers la fenêtre pour tirer le rideau. Haru posa sa main sur le tissu tandis que son regard s'éleva vers la clarté de la pleine lune. Elle esquissa un sourire puis tira le rideau. À ce moment-là, elle crut voir un regard luisant dans les Bois non loin de son jardin. Ses yeux plissés, elle regarda de nouveau à travers la fenêtre. Il n'y avait rien de tel à priori. Tout en haussant les épaules, Haru replaça donc le rideau et alla à la salle de bain pour éteindre les bougies qui éclairaient encore l'espace. Cette pièce est effrayante quand rien ne l'éclaire hormis la lune...
Maintenant allongée sur son lit, Haru réfléchissait à ce qu'avaient raconté ses parents au repas, elle s'étonnait de ne jamais avoir entendu parler de cette terrible histoire. À l'extérieur de la maison, on entendait le craquement des branches sous le vent... À l'intérieur, Haru entendait encore ses parents discuter dans la salle à manger. Ils parlaient maintenant de l'épicerie, comme d'habitude. Philys quant à elle semble dormir. Un peu plus tard, le calme revint dans la maison, plus aucun bruit ne résonnait, tout le monde doit être endormit. Cependant Haru ne ferme toujours pas ses yeux, plongée dans ses pensées elle se tortille sur son lit, incapable de trouver sommeil. Dehors, la pluie commença à tomber. Le regard de la jeune femme se dirigea alors vers la fenêtre où elle entendait les gouttes d'eau rencontrer le verre. Ces petits bruits qui agacent la plupart des gens plaisent à Haru, pour elle, c'est comme une mélodie qui vient la bercer. Alors, en quelques minutes, elle réussit à s'endormir, ne pensant plus qu'à ces cliquetis répétitifs.