Le bal commence à peine, que déjà je croise la route d'un petit con ! Je déteste ce genre de mec arrogant et trop sûr de lui ! Non, mais, il croit quoi, celui-là ? Il s'imagine qu'il suffit de proposer à une fille d'aller faire un petit tour pour que ce soit dans la poche ? Quoique... ça doit marcher avec certaines... Mais ce n'est pas mon trip du tout. Je ne suis pas adepte des coups vite faits et des one shot. Ni même des « coups » tout court, pour être honnête. Je peux compter sur les doigts d'une main les mecs avec qui j'ai eu une histoire.
Tout d'abord, Magnus le beau Suédois de mes dix-sept ans, un amour de vacances avec qui ce n'est pas allé très loin, et qui n'a duré que le temps d'un été. Ensuite, Philippe mon premier véritable petit ami en première année de fac. On s'est fréquenté pendant un an avant qu'il ne déménage sur Lyon. Et puis, en dernier, il y a eu mon erreur de jugement : Lionel. Autant dire que ça ne date pas d'hier, car je l'ai connu alors que j'étais encore à l'ESPE. Je suis sortie avec lui, pensant avoir affaire à un gars sérieux, et lorsque nous avons enclenché la vitesse supérieure, j'ai découvert qu'il était fiancé depuis deux ans ! Apparemment, il trouvait très confortable de retrouver sa petite amie officielle à Grenoble quand il rentrait dans sa famille pendant les vacances et d'avoir une petite amie officieuse à Aix-en-Provence durant l'année scolaire. L'enfoiré ! Bien évidemment, j'ai rompu illico presto. Ce qui ne l'a pas empêché de me harceler pour essayer de me récupérer, allant même jusqu'à promettre de rompre ses fiançailles. Mais que dalle ! Il ne faut pas me prendre pour une imbécile non plus ! De son propre aveu, ce n'était pas la première fois qu'il lui était infidèle et, à mon avis, sûrement pas la dernière ! Les types volages, très peu pour moi ! J'ai toujours eu un problème avec les cornes, je ne trouve pas ça seyant alors je laisse aux autres le privilège douteux de les porter. Ma grand-mère Ida disait toujours : « Mieux vaut être seule que mal accompagnée. » Cela fait donc cinq ans que je ne suis pas mal accompagnée, vu que je suis célibataire !
Pour résumer, en vingt-sept ans d'existence — si je ne compte pas les flirts des années collège — je ne suis tombée amoureuse que trois fois. Autant dire que je ne suis pas expérimentée niveau relation sentimentale. Je suis peut-être trop difficile ? Quoique... Je pense que Solène est encore pire que moi dans ce domaine. Et pour cause...
Nous partageons la même mauvaise expérience. Nous nous sommes fait avoir en beauté par des salopards qui avaient l'air bien sous tous rapports. Toutes les deux, nous avons cru avoir trouvé des perles rares, des mecs intelligents, sérieux et cerise sur le gâteau... mignons. Nous avons chacune pensé avoir trouvé l'homme idéal, avec qui partager notre vie sauf que... nos enfoirés de mecs avaient un gros contentieux avec la notion de fidélité. Et je dois avouer que Lionel n'était pas le plus salaud des deux ! Le fiancé de Solène était encore pire. Non content de la tromper, ce connard lui a posé un ultimatum quand elle s'est retrouvée accidentellement enceinte : soit elle avortait soit il se barrait. Évidemment, égale à elle-même et fidèle à ses convictions, Solène a choisi de garder son bébé. J'imagine qu'elle espérait que Julien finirait par accepter l'idée de devenir père, mais cette ordure l'a plaquée avec perte et fracas. Elle a tellement mal vécu cet abandon qu'elle a fait une fausse couche trois semaines plus tard.
Depuis, elle est plus que méfiante avec les hommes et ça se comprend. Comme le dit le proverbe, « chat échaudé craint l'eau froide » ! D'ailleurs, Solène et moi avons développé une théorie : plus un mec est mignon, plus il est con ! Et pour l'instant nous n'avons pas encore trouvé un homme qui soit l'exception qui confirme la règle, donc nous avons tendance à zapper direct les beaux gosses. Entendons-nous bien... on ne se prive pas de reluquer – après tout, si on a des yeux c'est pour s'en servir ! – mais on ne cherche pas à faire connaissance, voire on fuit carrément quand le danger se rapproche.
Solène et moi arrivons donc bonnes dernières en ce qui concerne la drague. Cécile nous devance de peu tandis que Camille et Marion sont loin, très loin devant, seules en tête dans la course aux beaux gosses. Évidemment, Marion en a déjà repéré et nous fait partager ses « trouvailles » :
— Vous les avez vus ? s'exclame-t-elle tout excitée.
— Marion, il y a au moins deux mille personnes ici, alors il va falloir être un peu plus précise ! je m'agace.
— Non, mais sérieux vous n'avez pas vu ce qui vient d'arriver ? Une cargaison entière de beaux mecs !
— Pfff... mais oui c'est ça ! grommelle Solène en haussant les épaules.
— Non, mais je suis sérieuse les filles !
— Marion a raison, il y a une forte proportion de beaux gosses dans ce groupe en uniforme, insiste Camille.
— Ah non ! Pitié, pas d'uniforme ! je ronchonne aussitôt.
Marion lève les yeux au ciel, comme si j'avais dit une ânerie plus grosse que moi.
— J'ai jamais compris pourquoi tu zappes les gars en uniforme. Purée, c'est le fantasme de toutes les filles !
— Pour commencer, ce n'est pas vrai et ensuite...
— Bien sûr que si ! me coupe Camille.
— Les filles n'ont pas tort. Tu as vraiment un rapport particulier avec les uniformes. Tu fuis les mecs qui en portent et pourtant... Ne nous dis pas que tu n'aimes pas ça, tu es fan de séries sur les militaires, les flics ou les pompiers. D'ailleurs, je crois bien que c'est la seule chose que tu regardes à la télé ! renchérit Cécile.
Aussitôt sur la défensive, je tente de me justifier :
— Je n'ai jamais dit que je n'aimais pas les hommes qui portent des uniformes. Je suis comme vous toutes, je les kiffe. Et j'admets que je n'échappe pas au fantasme bien connu. Il faut reconnaître que bien souvent ils sont bien foutus, mais...
— Alors c'est quoi le problème ?
— Laisse-moi finir, Marion ! Le problème, c'est que justement c'est un fantasme pour la majorité des filles et les mecs en profitent. Ils en jouent et beaucoup se conduisent comme de véritables connards.
— Pas forcément, tente Camille.
— Tu oublies que mon père était militaire. J'en ai donc côtoyé un certain nombre. Je connais le milieu, et je peux te dire que c'est loin de me faire rêver. Toutes les filles se jettent à leurs têtes et ils ne se gênent pas pour exploiter le filon.
— Je suis d'accord avec Alex, me soutient Solène. Pour ce qui est des mecs infidèles et instables, on a déjà donné. Inutile de retenter le diable avec ce genre de gugusses !
— OK ! OK ! Je comprends vos angoisses, mais on ne vous demande pas de vous marier avec ! Simplement de vous éclater un peu pour changer. Vous n'en avez pas marre d'être toujours des filles sérieuses avec une petite vie bien rangée ? Ça ne vous tente pas un peu d'imprévu, une petite aventure pimentée ?
Camille se porte à la rescousse de notre obsédée du caleçon et enchaîne aussitôt :
— Marion a raison, vous devriez profiter de la soirée pour vous éclater et faire ce que vous n'avez jamais osé faire jusqu'à présent. Au lieu d'attendre de rencontrer un mec pour construire une vie de famille avec les 1,8 gosse, le chien et le chat de la famille lambda, vous devriez plutôt étendre votre expérience sexuelle. Sérieux les filles, vous n'avez plus couché avec un mec depuis combien de temps ?
Gênée, je jette un coup d'œil en coin à Solène qui pique un fard en grommelant :
— Je sais plus.
— Oh si, ma cocotte, tu le sais parfaitement ! Tu n'as plus baisé depuis cet enfoiré de Julien, ce qui veut dire que tu es en panne sèche depuis quatre ans !
À peine Camille a-t-elle fini de s'occuper du cas de Solène qu'elle se tourne vers moi. Je me raidis instinctivement, car je sais que je vais en prendre plein la figure à mon tour.
— Et toi Alex ? Je crois que c'est encore pire... Tu n'as plus eu de mec depuis cet empaffé de Lionel, j'me trompe ?
— Non, mais y a pas de quoi en faire tout un plat ! C'est rien, il y a des choses plus importantes.
— Ah tu trouves ? Cinq ans sans grimper aux rideaux c'est rien pour toi ? Moi, à ta place, je serais morte de faim ! se moque Marion.
— Au cas où vous ne vous en seriez pas aperçu, les hommes ne courent pas les couloirs des écoles maternelles – mis à part les pères d'élèves qui sont mariés.
— Y en a bien des divorcés, non ?
— Oui, mais s'ils sont divorcés c'est pas pour rien la plupart du temps !
— Ça t'en sais rien, ma grande. Si tu ne testes pas, tu ne peux pas avoir de certitude.
— Bien dit, Camille ! assène Marion avant de me prendre par les épaules pour m'obliger à me retourner.
— Regarde un peu tous ces beaux mecs, Alex. Beaucoup sont peut-être des queutards qui ne sont là que pour baiser, mais il y a aussi des gars « biens ». Si tu ne te lances pas, tu ne pourras pas le découvrir et tu passeras à côté de belles occasions.
— Sauf qu'avec ma poisse habituelle je vais piocher le mauvais numéro, je ronchonne.
Cécile passe son bras autour de ma taille et agit de même avec Solène avant de nous faire la morale :
— Écoutez les filles, on est conscientes que vous êtes un peu méfiantes avec les mecs. C'est normal vu votre vécu, mais il faudrait vraiment passer à autre chose. Tous les hommes ne sont pas des connards en puissance et...
— Tu as raison, plus ils sont mignons, plus ils sont cons et infidèles, donc on va juste éviter les beaux gosses ! assène Solène.
— Quoi ? Ah, mais non ! s'offusque Camille. Pas question d'aller à la pêche aux thons !
Cette discussion m'agace et je le fais savoir sans ambages :
— Laissez tomber les filles ! On est là pour passer une bonne soirée, alors ne commencez pas à nous prendre la tête en voulant nous caser avec des mecs !
— Mais il n'est pas question de vous caser ! Le but est que vous vous amusiez et que vous profitiez un peu de la vie, explique patiemment Cécile.
Camille hoche aussitôt la tête avec véhémence.
— Oui et profiter de la vie, ça veut dire oser lâcher prise, faire ce dont on a envie sans se préoccuper du lendemain. Vivre l'instant présent. Carpe Diem, ça vous dit quelque chose ? Solène ce n'est pas toi qui as vu Le cercle des poètes disparus au moins quatre fois ?
— Six.
— Eh bien voilà ! C'est le moment ou jamais de mettre les idées en application ! Allez, c'est une soirée exceptionnelle, la nuit idéale pour tenter de nouvelles expériences. Ouvrez vos esprits, vos chakras et... éclatons-nous toutes ensemble !
Marion secoue la tête d'un air dégoûté avant de nous provoquer :
— Pfff ! Elles sont tellement coincées dans leur petite vie bien rangée qu'elles vont être incapables de prendre la moindre initiative.
Solène se rebiffe aussitôt :
— Qu'est-ce que tu insinues exactement ?
— Tout simplement que vous vous fermez à toutes les opportunités, vous êtes incapables de vivre l'instant présent sans penser au lendemain.
— Tu penses vraiment que nous sommes aussi rigides ? je demande, un tantinet énervée.
— Oui. Je parie que vous n'arriverez pas à vous laisser aller cette nuit.
Solène, encore plus vexée que moi, me jette un regard rapide avant de demander sur un air belliqueux :
— Tu paries quoi ?
— Le prochain restau. Si vous parvenez à vous lâcher ce soir, je paie la note chez le Japonais.
— Qu'est-ce que tu appelles « se lâcher » ? je demande, soupçonneuse.
Connaissant Marion, je m'attends à ce qu'elle nous conseille de nous envoyer en l'air avec deux ou trois mecs différents, alors je préfère rester prudente et savoir exactement à quoi nous nous exposons avant de relever le challenge.
— Simplement que vous acceptiez de boire un peu plus que d'habitude, histoire de vous détendre et que vous ne repoussiez pas tous les types qui viendront vous aborder, que vous acceptiez de discuter ou de danser avec. Bref, que vous arrêtiez de vous conduire comme des filles timides, revêches et coincées. On ne vous demande pas de lever un mec et de coucher avec ce soir — je sais que c'est au-dessus de vos forces — on vous demande juste de renouer avec un concept qui fait du bien à l'ego : le flirt ! C'est plus qu'un pari, c'est un défi que je vous lance, les filles ! Je veux que vous réappreniez à vous amuser et à flirter comme lorsque nous avions vingt ans !
Cécile approuve d'un hochement de tête frénétique avant de conclure :
— Ce soir, on vous demande de vous affranchir de vos barrières habituelles. Vous devez être en mode no limits et ouvertes à de nouvelles expériences.
Camille me plante alors son index dans la poitrine et ordonne :
— Et toi, ma belle, t'as pas intérêt à refouler les beaux gosses en uniforme. Si t'en veux pas, tu nous les présentes. On saura quoi en faire, nous !
Solène ne me consulte même pas avant de répondre :
— On relève le défi ! On va vous prouver qu'on n'est pas coincées et qu'on peut aussi être no limits !
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai le sentiment qu'on va être dans la mouise avant demain matin...
*********** Notes de bas de page **********
ESPE : École Supérieure du Professorat et de l'Éducation.