Le lendemain matin Lucas se réveilla vers 11 h et ne traîna pas trop au lit pour pouvoir se préparer. Son père avait organisé un repas en réunissant sa famille ainsi que ses amis afin de leur dire au revoir. Toute la troupe alla "bruncher" dans un café où José avait réservé une table pour huit. Ainsi Lucas, José, Nathalie, Marc, Yasmina, Sofiane, Rayane et la grand-mère de José mangèrent ensemble. On avait mis les jeunes d'un côté et les adultes de l'autre, la tablée était très joviale. Car curieusement depuis que Nathalie et José étaient divorcés, ils avaient retrouvé leurs complicités d'autrefois, c'était à n'y plus rien comprendre. Ce brusque changement de comportement avait au début beaucoup troublé Lucas, qui avait d'abord espéré que ses parents se remettent ensemble comme au bon vieux temps. Puis il avait compris que ses parents étaient à présent amis, comme lui l'était avec Yasmina par exemple. La frontière semblait pourtant parfois fine et du haut de ses 16 ans, Lucas n'avait pas encore réussi à comprendre ce qui pouvait transformer une relation amicale en relation amoureuse et vis-versa. Il s'était simplement toujours promis de ne pas franchir le pas avec Yasmina, du moins pas temps qu'elle ne le franchirait pas non plus. Et c'était plutôt compromis vu qu'il partait vivre très loin. Quoi que, la distance et la vision d'une séparation imminente pouvait peut-être entraîner une prise de conscience dans la tête et le cœur de Yasmina?
Pour l'instant, celle-ci s'amusait plutôt à gober le plus vite possible un flan, et elle était en compétition avec Sofiane. C'était Rayane qui faisait l'arbitre, il avait toujours eu ce dont fascinant de s'interposer entre les gens pour mettre tout le monde d'accord. Lucas avait souvent beaucoup appris de Rayane, parce qu'il semblait toujours très sûr de lui, dans ses choix et ses actions.
« - Tu veux essayer Lucas ? s'exclama Rayane. Je suis sûr que tu pourrais les battre tous les deux.
- Allez pourquoi pas, passe-moi du flan ! s'égaya Lucas. »
Avec cette bande de pote, c'était bons délires et fous rires assurés ! Et il était terriblement inquiet à l'idée de les perdre et de ne pas rencontrer de nouveaux amis dans son futur lycée.
Au bout de la table trônait Lucie, la grand-mère de José, et par conséquent l'arrière-grand-mère de Lucas. Comme José avait perdu ses parents quand il était très jeune dans un accident de voiture, sa grand-mère était la seule famille qu'il lui restait. La vieille tenait le coup, mais n'avait plus vraiment toute sa tête. José s'efforçait pourtant de lui rendre visite dans la chambre de sa maison de retraite le plus fréquemment possible suite aux recommandations des médecins.
On lui avait en effet vanté l'importance des visites familiales pour lutter contre la perte de mémoire, il s'agissait de la stimuler un maximum. Et puis c'était vraiment la seule chose qui apportait encore un peu de motivation aux vieillards dans leur journée. Lucas avait rencontré Lucie lorsqu'il avait environ 4 ans car José avait perdu la trace de sa famille durant des années, et il se souvenait que déjà à l'époque elle divaguait un peu. On la surnommait la Lulu parce qu'elle arrivait toujours à faire rire la galerie en sortant une phrase qui n'avait rien à voir avec la discussion en cours. Elle commençait également pratiquement toutes ses phrases par « De mon temps ...» comme si une partie de son esprit s'était figé dans une époque lointaine.
Le brunch touchait à sa fin, il était temps de se dire au revoir. Les embrassades furent nombreuses et il y eu quelques larmes. Sofiane et Rayane continuèrent à faire des blagues pour cacher leur chagrin, et Yasmina lâcha une petite larme.
« - Qui est mort ? lança la Lulu devant tant d'émois.
- Personne la Lulu, tu as raison, répliqua Nathalie comme pour relativiser. »
Il ne s'agissait pas d'adieux mais d'un simple au revoir.
« Mais oui ! s'empressa d'affirmer José, j'ai regardé ce matin sur le GPS, en trois heures et des poussières on y sera si je réussis à récupérer l'A6 facilement. Ça veut dire que vous pourrez vous revoir souvent les jeunes, pas d'inquiétude ! »
Les quatre amis se firent un dernier câlin collectif et Yasmina déposa un doux baiser sur la joue de Lucas. Nathalie offrit des pensées bleues à son fils, qu'il devrait planter dans son futur jardin, et Lulu lança un « à demain ! ».
Durant la première heure de trajet, Lucas ne décrocha pas un mot à son père. Il était submergé par ses émotions. Triste de quitter sa mère et ses amis, furieux que son père lui impose cette décision, et tout de même un peu curieux de voir ce qu'allait être sa nouvelle vie. Il resta donc les bras croisés sur son siège, à gamberger dans son coin, puis finit par s'endormir.
Il se réveilla deux bonnes heures plus tard, bercé par les mouvements de la voiture et la douce sensation du soleil sur son visage. Il ne faisait pas trop chaud, juste ce qu'il fallait pour qu'il perçoive les doux rayons du soleil comme des caresses. Cela lui changeait de Paris se dit-il immédiatement. Il ouvrit lentement les yeux et vit son père, une main sur le volant, entrain de chantonner en suivant la musique avec son autre main. Son père était un fan inconditionnel de Debussy, et Lucas n'eut pas de mal à reconnaître le célèbre Clair de Lune que son père avait joué des centaines de fois quand Lucas était petit.
« Ah ça y est tu es réveillé ? ça tombe bien nous sommes presque arrivés dans notre nouveau chez nous, regarde comme c'est beau ! »
La voiture des deux hommes avançait au milieu de splendides paysages sur une route goudronnées, mais bien abîmée, qui semblait les emmener au bout du monde. Ils traversèrent des forêts aux couleurs verdoyantes, des champs de blés dorés, puis passèrent bientôt au bord d'un lac, le lac de Pannecière. La musique s'accordait à merveille avec ce paysage féerique. Mais Lucas n'était pas d'humeur à admirer le paysage, et même si cela était réellement beau, à travers ses yeux d'adolescent, lui voyait plutôt un lieu désert, ce qui commençait à l'angoisser terriblement.
« - Non mais papa tu m'emmènes où là ? y'a rien autour de nous, c'est quoi cet endroit ?
- T'en fais pas mon lutin, tu verras quand on sera arrivé tu vas adorer ! C'est sûr que ça nous change de Paris, mais justement c'est ça qui est génial, tiens prends une grande bouffée d'air, c'est pas merveilleux ? ça sent bon l'air de la campagne, et regarde comme c'est beau ! »
Lucas détestait quand son père l'appelait lutin. Il trouvait ce surnom idiot, même s'il s'avait pertinemment qu'il en était le créateur. Cela datait du jour où à l'âge de 7 ans il avait découvert sur sa carte d'identité qu'il avait un deuxième prénom : Martin. Il avait trouvé dommage de ne pas pouvoir utiliser ses deux prénoms, et avait donc eu l'ingénieuse idée de prendre une partie de chaque prénom pour en faire son nouveau surnom : lu-tin. Ses parents avaient trouvé l'idée tellement brillante pour un gosse de cet âge et le résultat tellement mignon qu'ils s'étaient empressés de l'utiliser le plus souvent possible. Et lorsque ses parents voulaient le rassurer il arrivait encore aujourd'hui qu'ils le surnomment ainsi.
Vraiment agacé par cette situation et sentant qu'il perdait tous ses repères, Lucas décida de prendre en main le choix de la musique en essayant de retrouver la chaîne radio qu'il avait l'habitude d'écouter sur Paris. Mais il se rendit vite compte que perdu au milieu de nulle part, en pleine campagne, il aurait du mal à capter quelque chose. Alors il sortit son portable, ses écouteurs, ferma les yeux et diffusa ses chansons préférées à fond dans ses oreilles, et s'imagina dans sa chambre à Paris. Il ne rouvrit les yeux que lorsqu'il sentit la voiture ralentir.
José arrêta la voiture devant un grand portail vert en fer forgé. Celui-ci ne laissait pas la possibilité de discerner ce qui se trouvait derrière et la route en pente augmentait l'effet. José klaxonna deux fois et un homme d'âge mur sorti des buissons situés de chaque côté du grand portail. L'homme aux cheveux grisonnant devait avoir au moins la cinquantaine, il était vêtu d'un costume noir simple et élégant et était de taille moyenne. Son visage marqué par quelques rides reflétait une certaine neutralité, mais il était impossible de ne pas s'apercevoir de la couleur de ses yeux. Il possédait en effet de magnifiques yeux bleus qui lui donnait un air mystérieux et dénotait avec l'habituelle neutralité que l'on se faisait des majordomes. Il vint saluer le maître des lieux, José.
«- Bonjour monsieur Didier, ravie de vous accueillir enfin, avez-vous fait bonne route ?
- Parfaite oui, merci John, tout est prêt ?
- Oui bien sûr monsieur Didier, je vous souhaite la bienvenue à vous et à votre fils. »
Sur ces mots, l'homme ouvrit le portail et José redémarra la voiture pour aller se garer devant sa nouvelle maison où était déjà garée une petite fiat 500 grise argentée.
« -c'était qui le gars en costume papa ? questionna Lucas en élevant les écouteurs de ses oreilles.
- Notre nouveau majordome, je l'ai pris à l'essai pour le mois, il avait de solides références et semble très méticuleux. J'ai trouvé que ce serait une bonne solution pour m'aider dans mon travail vu que je vais avoir beaucoup à faire. Et la maison est très grande donc il va falloir quelqu'un pour m'aider et recevoir mes clients et collaborateurs quand ils viendront séjourner ici. »
Lucas n'avait écouté la réponse qu'à moitié car il était estomaqué devant la taille sa nouvelle maison. Elle semblait pratiquement neuve, toute blanche et lumineuse. Elle était entourée de verdures et de plantes de toutes les couleurs. Lucas pensa directement à sa mère qui se serait extasiée devant tant de variétés différentes. La maison comprenant au moins deux étages ne laissait pas entrevoir ce qui se situait derrière, mais Lucas sentit monter en lui une grande excitation. Il s'empressa donc de sortir de la voiture et d'escalader les quelques marches qui le séparait de la porte d'entrée. Son père et le majordome le suivirent de près et John tourna deux fois la clef dans la serrure avant d'ouvrir la porte devant Lucas, ébahit.
Il découvrit le hall d'entrée, dans lequel se situait sur la partie gauche un immense escalier en pierres blanches qui montait à l'étage. De là où se trouvaient les trois protagonistes, on pouvait y discerner une grande pièce lumineuse. En face, délimitée par deux grandes colonnes blanches se trouvaient également une grande pièce à vivre donnant sur le jardin qui semblait immense.
« Je vous en prie, installez-vous, bienvenue dans votre nouveau chez vous, dit John. »
Lucas descendit les trois marches qui le séparait du salon en contrebas. Ce dernier se divisait en deux parties de chaque côté de la bais vitrée donnant sur le jardin. Il y avait à gauche un coin canapé avec plusieurs fauteuils blancs et dorés recouverts de coussins possédant les mêmes couleurs. Au centre trônait une table basse blanche et noir très moderne sur laquelle étaient disposés des lys blancs. Le tapis au centre de la salle, possédant des rayures blanches et noirs, rappelait les couleurs du mobilier environnant. Au plafond, un jeu de lumière avait été créé par l'architecte pour augmenter la luminosité de la pièce de manière moderne et épurée. De part et d'autre de la bais vitré des rideaux couleurs or étaient joliment disposés.
Sur l'un des murs de la pièce on pouvait observer un écran plat et une fausse cheminée qui rajoutait à la pièce un côté chaleureux et conviviale. De l'autre côté de la pièce et dans les mêmes tons de couleurs étaient disposés plusieurs fauteuils ainsi qu'une bibliothèque. Lucas s'avança en direction du jardin.
« ohhhh une piscine !!! whaou, mais elle est immense, trop bien !!
- Et oui, c'est l'élément qui m'a fait craquer quand je l'ai acheté, j'étais sûr que ça te plairait, répondit José plein de joie et de fierté. »
Lucas se précipita hors de la maison en direction de la piscine. Elle était située quelques marches en dessous de la maison. L'eau était bleue et claire. Lucas se baissa pour tremper sa main dedans. La température était parfaite. Autour de la piscine on pouvait observer plusieurs chaises longues et de nombreuses fleurs ainsi que des petits palmiers qui venaient se refléter dans l'eau. Le sol en pierres roses avait emmagasiné la chaleur du jour et c'était agréable. Lucas fit le tour de la piscine en bondissant comme un petit enfant. Arrivé de l'autre côté de la piscine il regarda sa nouvelle maison qui semblait encore plus belle de ce côté-ci. De part et d'autre des arbres venaient entourer la maison et créer un véritable havre de paix. Il voulut prendre une rapide photo de cet endroit magique et l'envoya à sa bande pour leur donner des nouvelles, mais surtout, il fallait être honnête, pour les narguer.
« Lutin, vient que je te fasse visiter ta chambre, lança José à l'autre bout de la piscine. Tu verras, elle donne sur la piscine ! »
Inutile de lui répéter deux fois, Lucas avait déjà rejoint son père et montait les marches en direction du salon. Il retourna en direction de l'entrée pour monter les grands escaliers blancs sous lesquels était situé la porte de la cuisine qu'il n'avait pas encore vu. Un bruit le fit sursauter et guida son regard en direction de cette nouvelle pièce. Les mains dans un saladier, une grande rousse à la chevelure chatoyante d'une vingtaine d'année environ salua Lucas qui lui rendit un sourire maladroit et ingénu. Comme il la trouva tout de suite très belle, il s'empressa de partir de la pièce, ne sachant que faire et sentant que ses joues devenaient rouges.