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Le matin, c'est sans enthousiasme qu'Erine se rend à la salle d'entraînement. Dans le couloir, elle croise son père qui discute avec l'un de ses collègues, un jeune arrivé récemment pour enseigner la chimie élémentaire. Un cours qui passionne Miolaine, tant et si bien qu'elle l'a pris en option renforcée alors qu'Erine se contente des leçons de base. Ces dernières arrivant à suffisamment l'amuser grâce aux explosions et aux nuages de particules colorées réalisés, Erine s'est finalement attachée à l'instituteur. Cependant, le voir ainsi échanger avec Malcombe, le fait baisser dans l'estime dans la jeune contrôleuse. Elle les salue poliment et entre dans la salle, croisant les doigts pour qu'ils discutent encore longtemps. Elle s'échauffe en effectuant des petits exercices basiques, ce qui par la même occasion la détend un peu. Quand le Capitaine Malcombe arrive, il ne lui adresse même pas un regard et balance son manteau dans un coin de la pièce.
— Prête ?
Il lui a lancé ce mot sans même prendre la peine de la regarder, comme si ça lui était égal. Durant tout le début de l'heure, il ne lui adresse pas un regard. Il s'est placé devant elle et lui montre des gestes à effectuer et comment se placer pour arriver au mieux à gérer les quatre éléments à la fois. Il lui tourne le dos et ne remarque pas les nombreux regards assassins qu'elle lui lance.
Erine trouve leur comportement absude.
Combien de temps encore vont-ils agir de cette façon ? À cet instant, ils sont élèves et professeurs, leurs problèmes familiaux n'ont pas leur place ici. Leur vie privée ne doit pas intervenir dans l'enseignement ou toutes autres disciplines de la Ligue, le règlement le stipule clairement.
Erine veut le faire réagir. Plus les années passent, plus le manque de considération de la part de son père lui pèse. Elle a envie de lui crier qu'elle existe et que quoi qu'il fasse, elle fait partie de sa vie, mais quel intérêt ? Elle n'a jamais eu de père et ce n'est pas maintenant qu'elle en veut un. En revanche, elle désire un bon professeur, ce qui n'est pas le cas à cet instant. Lasse de leur petit jeu de cache-cache, elle s'arrête. La jeune femme croise les bras sur sa poitrine et le fixe, attendant qu'il se rende compte qu'elle ne suit plus ses mouvements. Cela ne prend pas plus de dix secondes au Capitaine et, enfin, il lui fait face.
— Il y a un problème ?
Il a pris un ton très détaché, comme si sa réponse ne lui importait pas. Erine se retient de l'attaquer, haussant finalement les épaules en le défiant du regard.
— Le professeur Taimer n'apprécierait pas ton comportement, remarque-t-il, calmement.
— Il n'apprécierait pas non plus vos méthodes d'enseignement, rétorque-t-elle presque condescendante.
— Mes méthodes sont égales à celles de tous les autres professeurs de cette école !
— Aucun de mes professeurs ne m'a jamais tourné le dos alors qu'il essayait de m'enseigner quelque chose et encore moins lors de la première leçon. De plus, on ne passe pas directement à la pratique, il y a un important aspect théorique à ne pas négliger. Il est impossible de bien effectuer un mouvement si on n'en a pas au préalable compris le sens ... Nos pouvoirs viennent de nous, de nos émotions et de nos sentiments, ce ne sont pas seulement une suite de mouvements que l'on réalise, mais un ressenti au plus profond de nous que l'on doit apprendre à contrôler.
Son discours de petite fille modèle sur la source de leurs dons exaspère davantage son père, elle le voit à sa mâchoire crispée. Elle lui a ressorti presque mots pour mots ce qui est récité lors de leurs toutes premières leçons concernant la maîtrise des pouvoirs. Sauf qu'elle a employé un ton presque dramatique pour ajouter encore un peu plus d'absurdité à la situation. Une nouvelle fois, elle le fixe. C'en est assez de ce petit jeu de cache-cache. Elle attend quelques secondes qu'il réagisse à ce qu'elle vient de lui dire. Mais rien, il observe tantôt le sol, tantôt le plafond, fuyant les yeux de sa fille. Se dit-il qu'elle a raison et que s'il y a bien un moment où il ne doit pas lui tourner le dos, c'est celui-là ? Erine sait qu'il n'aurait tourné le dos à aucun autre élève. C'est seulement elle.
Erine bouillonne intérieurement, estimant mériter d'être traitée comme tous les autres étudiants. S'il n'est pas capable de la voir comme sa fille, il peut au moins la considérer comme son élève. Alors que ses yeux passent une nouvelle fois du sol au plafond, elle ne retient plus sa colère.
— Regardez-moi ! Pourquoi est-ce si difficile de me donner un minimum de considération ? Me regarder vous rappelle-t-il trop de souvenirs honteux de votre jeunesse ?
Il ne lui répond pas et ne la regarde pas non plus, ce qui l'incite à continuer.
— J'estime avoir assez payé pour vos erreurs, à vous et à maman ! Je suis consciente d'être la plus grande, d'être votre fardeau, seulement vous devez vous dire que ce n'est pas en me rabaissant, en m'ignorant, en me punissant ou encore en me recalant aux examens que vous vous enlèverez mon poids des épaules !
Elle le voit se diriger vers son manteau sans dire un mot. Est-il en train de fuir ? Le Capitaine ramasse sa veste et commence à passer la porte sous le regard ahuri d'Erine. Mais dans l'encadrement, il s'arrête. Interdite, Erine observe cet homme, son géniteur, celui dont elle tient toute sa force, faire l'étalage de ses faiblesses. Où est le grand Capitaine que tous les apprentis de Laorelon rêvent d'égaler ?
Malcombe fait volte-face à ce qui semble être le prix d'un grand effort. Cette fois, il ose la regarder droit dans les yeux. Elle est tellement surprise qu'elle se fige. Ils demeurent silencieux un moment. Erine ne parlera pas en premier. Elle ignore ce qui se joue dans la tête de son père, mais c'est désormais à lui de briser le silence.
Finalement, il repose son manteau sur le rebord de la fenêtre.
— Très bien, on reprend la leçon du début, annonce-t-il, la voix plutôt posée.
Le capitaine attrape un stylet et griffonne des dessins sur l'un des murs de la pièce. Particuliers, il n'est possible d'écrire sur ces derniers que grâce à des outils spécifiques à cet usage. Les dessins se forment en hologramme et semblent flotter dans l'air à quelques centimètres de la cloison. Malcombe esquisse une sorte de schéma des quatre éléments disposés en carré autour d'une personne.
— Lorsque tu veux contrôler les quatre éléments à la fois, tu dois les créer les uns après les autres en commençant par celui que tu maîtrises le mieux et en terminant par celui que tu maîtrises le moins. Le but est de façonner l'un des éléments et d'arriver à le faire tenir en l'air à côté de soi alors que tu donnes vie au deuxième.
Cette première explication est plutôt sommaire, mais Erine comprend là où il veut en venir. Il lui fait alors signe d'essayer, sans lui donner plus de détails sur la façon de procéder, voulant sûrement voir si son instinct la guiderait automatiquement vers les bons gestes.
Dans sa main droite, Erine forme une flamme qu'elle décroche rapidement de sa paume. Il lui paraît alors évident de se servir de sa main gauche pour constituer un second élément. Hors du feu, elle manipule assez bien l'air. Ce dernier présente l'avantage qu'il n'a pas besoin d'être créé, car présent partout. Une légère brise de vent se soulève et la flamme vacille rapidement.
Elle meurt.
Non pas à cause du vent, mais parce que plus rien ne semble l'alimenter. Erine se tourne vers Malcombe. Doit-elle refaire un essai ? Il la regarde avec attention, analysant chacun de ses gestes.
— Sais-tu pourquoi la flamme s'est éteinte ?
— Le vent l'a fait faiblir, répond-elle avec assurance.
— Non.
Il se décolle du tableau pour venir se mettre à côté d'elle et exécute les mêmes gestes qu'Erine a fait quelques secondes auparavant. À la différence que la flamme ne s'éteint pas.
— Tant que le feu est alimenté, le vent l'attise.
La flamme dans sa main, bien que tourmentée par les brises de vents, continue de croître.
— Et qu'est ce qui alimente le feu ? questionne le professeur.
— Moi.
Le Capitaine fait taire les éléments autour d'eux.
— C'est exact. Lorsque tu t'es mise à utiliser l'air, toute ton énergie et toute ta concentration se sont dirigées sur cet élément, délaissant l'autre qui s'est éteint. Il est important que tu gardes ton esprit focalisé sur les deux éléments à la fois. Sans ça, tu en perdras toujours un.
Il s'éloigne et lui fait signe de recommencer. Comme la fois précédente, elle commence par le feu : "Toujours commencer par l'élément que l'on maîtrise le mieux" se murmure-t-elle intérieurement. Erine crée une flamme plus grosse que la précédente et attend plusieurs secondes avant d'animer l'air dans la pièce, voulant être certaine que sa flamme est stabilisée. Et puis, elle lance une première brise. La flamme résiste. Erine intensifie donc la portée du vent. Ses cheveux se soulèvent légèrement et elle sent une rafale sur son visage. Mais, pour la seconde fois, le feu ne résiste pas longtemps. L'apprentie regarde son professeur avec interrogation.
— Ton esprit a perdu la flamme de vue à mesure que tu as fait grossir les bourrasques, l'informe-t-il. Recommence !
Toujours dans le même ordre, elle fait d'abord une grosse flamme qu'elle arrive à maintenir en l'air à côté d'elle.
— Moins grosse la flamme, recommande Malcombe, ne t'encombre pas. Une petite sera déjà suffisamment compliquée à alimenter.
Son intervention la déconcentre et la flamme perd d'elle-même de l'épaisseur.
— Ne te focalise pas sur ma voix, entends juste mes conseils. Le plus important est que tu restes concentrée sur les éléments autour de toi.
La petite boule de feu plane toujours à côté de la jeune Contrôleuse. Elle est stable et les flammes ne vacillent pas. D'une main, Erine soulève une légère brise de vent. Doucement, elle la fait grossir. Ses yeux se portent sur ses doigts brassant de l'air.
— Flamme !
D'un regard, elle voit la boule de feu qui commence à s'éteindre. Rapidement, elle arrive à lui faire reprendre de l'ampleur, tout en gardant son autre main tendue pour maintenir l'air en mouvement. Erine sent l'énergie passer au travers de ses membres, éprouvant une tension désagréable, elle relâche tout.
— C'est mieux, la complimente Malcombe. Cependant, tu maintiens le feu grâce à ton esprit et l'air avec tes mains. J'aurais plutôt imaginé l'inverse.
Il reprend son stylet et se remet à écrire sur le tableau. Un bonhomme se détache du mur. Autour de celui-ci, Malcombe a fait une multitude de points et Erine distingue les symboles des éléments du feu, de l'eau et de la terre au niveau des mains.
— L'air est le seul élément que l'on n'a pas besoin de créer de par son omniprésence autour de nous, lui explique Malcombe. Il est facilement manipulable à l'esprit. Alors que les trois autres, s'ils ne sont pas à proximité, vont devoir être créés, ce qui demande un effort supplémentaire.
Il lui intime de se replacer au centre de la petite salle.
— Maintiens le feu avec tes mains et l'air avec ton esprit.
Erine respire profondément, secoue ses bras pour en évacuer la tension de ses tentatives précédentes et ferme les yeux. Dans sa main droite, se forme une flamme qui, comme les deux autres, se détache rapidement de sa paume. Mais au lieu de laisser retomber sa main contre sa jambe, Erine la tient à proximité de la flamme. Elle imagine ensuite de grosses rafales de vents l'enveloppant alors que le feu résiste et finit par s'y mêler. Grâce à sa force mentale, elle arrive tout doucement à soulever quelques brises de vent ici et là. Machinalement, ses doigts commencent eux aussi à agiter l'air.
— Place tes deux mains à proximité de la flamme. Ainsi tu ne seras pas tentée de les utiliser pour autre chose.
Elle s'exécute. Manipuler l'air seulement avec l'esprit est un exercice bien plus difficile qu'avec l'aide des gestes. Mais peu à peu, elle y arrive. Les brises commencent à aviver la flamme et cette dernière, nourrie par la force d'Erine et attisée par le vent, prend peu à peu de l'ampleur.
— Retire tes mains, lui ordonne Malcombe.
Doucement et un peu maladroitement, elle s'exécute et constate avec satisfaction que les éléments restent en mouvement. Le feu prend de plus en plus d'ampleur et la flamme fouette son visage, faisant voler ses cheveux. La contrôleuse de fend d'un large sourire alors qu'elle découvre de quoi elle est capable.
Erine entend quelqu'un glousser derrière elle. Elle se retourne brusquement et découvre Loan qui, à l'aide de ses pouvoirs, maintient les éléments. La déception peut immédiatement se lire sur le visage d'Erine qui fusille son ami du regard, lui faisant comprendre qu'elle lui en veut énormément.
— Ne sois pas fâchée, fait-il avec son air joueur et charmeur, c'est déjà très bien ce que tu faisais.
— Et je n'avais pas besoin de toi pour me montrer ce que je ne sais pas encore faire.
— Toi-même tu dis « encore », ça viendra, se défend-il.
Erine grogne et veut répliquer, mais la sonnerie annonçant le début des cours retentit dans toute l'école. Elle voit Malcombe récupérer ses affaires et se diriger vers la porte.
— On se revoit bientôt pour la suite de l'entraînement, lance-t-il à son attention.
Il l'observe alors dans les yeux avec beaucoup de bienveillance.
— C'est très bien pour une première fois, je suis fier de toi.
Il s'en va, rejoignant l'aile du bâtiment réservée au cours théoriques où il passera la majeure partie de la journée. Erine reste immobile après ces quelques mots. Loan enroule un de ses bras autour des épaules de son amie et l'entraîne dans le couloir en direction des salles de classes.
Pour la première fois en dix-huit ans, elle vient de passer plus d'une heure avec son père et a réussi à nouer le dialogue avec lui. Le début de la séance s'est mal annoncé mais, ils ont pourtant mis leurs différends de côté pour se concentrer sur l'instant présent. Cet instant où ils étaient élève et professeur. Il a pleinement rempli sa fonction en essayant de lui apprendre du mieux qu'il peut. Cependant, une question s'impose dans l'esprit de la jeune femme : est-ce le père ou le professeur qui est fier d'elle ?
— Était-il sincère ? formule-t-elle à haute voix.
— Évidemment, Erine, c'est ton père et même si tu as toujours refusé de l'entendre et de l'accepter, il est très fier de toi.
— Tu as toujours semblé si proche de lui, répond-elle à Loan, comment fais-tu ?
Elle a toujours su que Loan et son père sont proches et il arrive également à Sehan de passer du temps avec Malcombe. Heureusement, cela n'a jamais interféré dans leurs relations. Les deux frères Harmin ont toujours vu le Capitaine comme un professeur et un membre du cercle d'amis proches de leur famille. Jamais Erine ne pose de questions à Loan et jamais il ne lui en parle.
— Il a souvent été présent dans des moments où j'avais besoin d'une figure paternelle, lui explique Loan. Je le connais bien et je sais ce qu'il ressent par rapport à votre situation familiale compliquée.
— Tu ne m'en parles jamais, tu m'as toujours laissée le détester, se renfrogne-t-elle.
— Parce que tu as grandi en lui en voulant et en cherchant toujours à voir ses défauts plus que ses qualités et il t'a laissée grandir en te montrant une face peu respectable de lui.
Elle ne répond pas, méditant ces paroles pendant quelques secondes. Erine ne peut pas encore comprendre quelles ont été ses motivations à l'abandonner et à la laisser grandir en le méprisant. Mais après cette heure de leçon, elle a presque envie de découvrir cette part que Loan connait et apprécie tant.
— Un jour, vous serez prêts à apprendre à vous connaître et vous appréhender. Un jour, vous serez prêts à rouvrir les blessures du passé et alors vous pourrez envisager votre relation sous un nouvel angle.
À force de marcher, les deux amis sont arrivés à proximité de leurs salles de classe. Plus loin dans le couloir, Erine aperçoit son père, faisant mettre en rang ses jeunes élèves. Il ne la voit pas, trop occupé à jouer son rôle de professeur. Elle repense un instant aux différents cours qu'il lui a dispensés, devant bien admettre que même s'il semblait avoir échoué à l'éducation de ses propres enfants, il veille sur futur de tous ses autres élèves, prenant soin de leur transmettre, avec une patience infinie, le meilleur de ses connaissances.
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Alors cet entrainement ? Je me dis que les émotions, les ressentis d'Erine pourraient être plus accentués, dites-moi ce que vous en pensez.
Sinon, j'espère que vous avez hâte de voir évoluer cette relation au fil des pages.
Et l'intervention de Loan à la fin, on en parle ?
See u ❤️