- ... Je peux te parler ?
- B-Bien sûr...
Dans le silence le plus total, Somin s'était accoudé à côté de son frère alors que celui-ci regardait le paysage sur le balcon. Ces deux-là n'avaient pas eu l'occasion de calmement discuter depuis longtemps, tellement la colère était présente entre eux. Mais désormais, c'était le temps des des réconciliations. Ils devaient oublier leurs petites embrouilles, car ils étaient tous les deux dans le même bateau, c'est-à-dire au chômage, jusqu'à ce que le père de monsieur Lee ne leur trouve du travail. Jackson ne pouvant plus rien faire pour elle non plus, Somin devait impérativement renouer les liens avec son frère.
- Ça fait longtemps... rit-elle légèrement en jouant avec ses cheveux. Donc je ne sais pas par où commencer...
- Tu n'as pas à t'excuser Somin, intervint Changbin en fixant la mer au loin. Je t'ai déjà pardonnée de toute façon.
La jeune fille émit un autre rire gêné.
- Ce n'est pas aussi simple que ça. Je te rappelle que je vous ai abandonnés comme une pauvre lâche.
- Tu étais lâche.
- "Étais" ?
Somin fixait son frère avec incompréhension alors que celui-ci osait enfin affronter le regard de sa jeune sœur.
- Ce que tu as dit l'autre soir, débuta-t-il, avant que l'on ne cherche monsieur Lee... C'était loin d'être lâche.
Ils s'étaient fixé durant quelques secondes, et Somin fut la première à détourner le regard. Comment Changbin arrivait-il encore à lui pardonner, après ce qu'elle avait fait ? Elle se sentait tellement mal de lui avoir fait enduré tout ça, qu'elle ne pouvait y croire. Elle ne voulait pas que son aîné lui pardonne aussi facilement.
- Tu as un nouveau t-shirt bleu on dirait, dit-elle pour changer de sujet tout en se triturant les doigts.
- C'est pas du bleu, mais du bleu roi. C'est monsieur Lee qui me l'a offert...
- Pourquoi tu ne l'as pas rattrapé ?
N'étant pas dupe, Somin avait bien remarqué à quel point Changbin et monsieur Lee étaient proches. Peut-être même bien trop pour un simple maître et son majordome. Et elle savait que son frère était surtout triste de ne plus revoir le roux, pas à cause du fait d'être à nouveau au chômage.
Changbin ne saurait apporter de réponse à cette question. C'était vrai ça: Pourquoi n'avait-il pas rattrapé monsieur Lee ? Peut-être était-ce parce qu'il avait peur de son père ? Peu importe la raison, il n'arrivait juste pas à bouger pour le rattraper. Il l'avait simplement laissé partir, avec le coeur abattu.
- Pour être franc... Je n'en ai aucune idée...
- Ça ne peut pas se finir comme ça Changbin.
- J'ai pensé la même chose avant qu'il ne parte. Mais j'ai rien pu faire quand même.
Finalement, Somin n'était pas la plus lâche de la famille. C'était bel et bien lui, et uniquement lui.
- On devrait préparer nos affaires, dit la jeune fille, une main sur l'épaule de son aîné. N'y pense plus, d'accord ?
Aucune réponse. À la place, ce fut une tout autre voix qui avait résonné.
- Vous avez enfin fait la paix ?
Jeongin avait couru vers eux pour les prendre dans ses bras. Malgré la mauvaise phase qu'ils traversaient, il était tout de même heureux de savoir que sa famille était à nouveau réunie.
- Au moins, grâce à tout ça, on est de nouveau ensemble, sourit la seule sœur en caressant la tête du benjamin. Et vous savez quoi ? Pour moi, c'est le plus important.
- ... Tu as raison, répondit finalement l'ancien majordome en tentant de sourire. Je suis sûr que là-haut, papa et maman sont vraiment fiers de nous...
•°•°•°•°•°•°•°•°•
- Tu ne veux vraiment rien manger fiston ?
Le jeune père était tellement fatigué d'essayer d'établir une bonne conversation avec son fils. Felix n'avait pas cessé de faire la tête depuis leur départ à la maison, que ça en devenait presque fatiguant à la longue. Ils étaient dans un bon restaurant, le roux pouvait commander ce qu'il voulait, et pourtant il ne réagissait pas.
- Felix, tu risques d'avoir faim sur l'hélicoptère.
- ...
- Tu fais vraiment la tête à cause de ces employés ? Bon sang, Felix ! Des employés !
- Tu ne peux pas comprendre !
Au moins, le jeune fils avait enfin ouvert la bouche pour dire quelque chose.
- Ce ne sont pas QUE des employés, rétorqua-t-il. Ce sont mes amis, et les seuls d'ailleurs. Parce qu'après tout, à qui d'autre pouvais-je bien parler dans la maison ?
- Tu ne vas pas remettre ce sujet sur le tapis, grimaça le père en prenant ses couverts en mains. Oublions tout ça, veux-tu ?
Felix était tellement dégoûté de la manière dont son paternel se fichait de sa situation. Qu'il soit triste ou en colère, son père ne voulait pas réagir. Il le savait bien qu'au fond, l'homme d'affaires tenait à lui, parce qu'il était son fils, après tout. Mais monsieur Lee avait l'air d'avoir appris à imposer d'autres priorités avant sa famille, c'est-à-dire Felix, le seul qu'il lui restait.
- Comment un homme sans sentiments comme toi pourrait comprendre de toutes façons ? murmura-t-il assez fort. Tu trompais maman, tu as divorcé deux fois, et tu as envoyé ton propre fils vivre seul.
Blessé de ces paroles, monsieur Lee était bouche bée face à son fils. Il ne s'attendait pas à ce que celui-ci soit aussi direct et cru dans ses propos. "Sans sentiments". Bien sûr qu'il en avait. Il aimait sa première femme, il aimait sa famille, et par-dessus tout il aimait son fils. Alors entendre ce dernier prononcer ces dures paroles l'avait frappé en plein dans le cœur.
- Je te défends de dire ça, s'emporta-t-il. Ce que je fais, je le fais pour toi. Si je veux que tu t'inities à l'entreprise, c'est pour assurer ton avenir. As-tu bien conscience que tu es tout ce qu'il me reste ?
- Alors pourquoi ne pas m'avoir cherché plus tôt ? Pourquoi avoir attendu quatre ans ?
- Je n'arrivais plus à te reconnaître après la mort de Jun. Tu étais entièrement quelqu'un d'autre. Je t'ai envoyé là-bas pour que tu te calmes. Et je me suis dit que je prendrais la peine d'attendre autant de temps qu'il le faudra jusqu'à ce que tu ailles réellement mieux.
- Eh bien c'était un raisonnement débile.
Changbin était sans doute loin, et tout aussi triste que lui, du moins il l'espérait. Il espérait manquer à son majordome, au point que celui-ci vienne le chercher. Mais bien évidemment, c'était impossible. Felix savait que son père ne prendrait pas la peine de trouver un travail où lui et tous ses employés pourraient communiquer à nouveau. Le millionnaire pensait sans doute que ces personnes-là avaient une mauvaise influence sur son enfant. Malgré toutes ces années passées loin de lui, Felix connaissait malheureusement encore bien trop son géniteur.
- Pourquoi je t'ai suivi ? demanda-t-il à son père.
- Je te demande pardon ?
- Tu n'as jamais été là lorsque j'avais besoin de toi. Alors... Pourquoi j'ai choisi de te suivre ? Mes employés, même si j'étais désagréable avec eux, ils sont partis à ma recherche quand je me suis enfui...
- Tu m'as suivi parce que je suis ton père, biologiquement et aux yeux de l'État. Tes employés auraient eu des problèmes si tu étais resté avec eux.
- Gna Gna Gna, Gna Gna Gna...
Le grand homme n'en pouvait presque plus. Pourquoi son fils s'était-il soudainement attaché à des simples membres du personnel ? En réalité, il n'aimait pas le voir ainsi. Felix était censé être heureux de retrouver son gentil père, tel était le plan. Et non broyer du noir de la sorte.
Le problème avait l'air d'être le majordome. Enfin... L'ancien majordome. Ces deux-là semblaient bien proches, et les adieux semblaient plus difficiles que monsieur Lee ne le pensait.
- Ce Changbin... Qu'a-t-il de plus que les autres ?
L'homme d'affaires avait demandé tout en croyant avoir vu un léger sourire traverser les lèvres de son fils à l'entente du prénom.
- Contrairement à toi, il a toujours été là pour moi, répondit le petit roux, fixant la fenêtre la plus proche de lui. Il a toujours eu cette persévérance qui me fascinait. Dans un sens, on n'est pas très différents lui et moi. On a tous les deux perdu des êtres chers et traversé des dures périodes. Mais contrairement à moi, il a su se relever. Et c'est sans doute pour ça que je l'admire... Et que je veux devenir comme lui...
Depuis longtemps, le père n'avait jamais vu son enfant sourire et parler de la sorte. Il en avait un léger pincement au cœur. Avait-il fait une bêtise au final ?
- Tu tiens beaucoup à lui si je comprends bien, dit-il en s'essuyant la bouche avec sa serviette.
- Beaucoup, c'est bien faible. Énormément. Je tiens énormément à lui. Et maintenant, si tu le veux bien, je vais arrêter de sourire parce que je sens qu'on va changer de sujet.
Son fils était redevenu muet comme une carpe. Monsieur Lee la ressentait enfin, cette profonde culpabilité suite à son erreur. S'était-il réellement trompé ? Peut-être que Felix ne serait jamais heureux avec lui, alors que le bonheur de son enfant était tout aussi important que son entreprise, peut-être même bien plus. Comme il l'avait dit, Felix était tout ce qu'il lui restait. Alors si en plus ce dernier devait être en colère contre lui...
- Je vais te commander quelque chose à emporter, dit-il au bout d'un moment, après une longue réflexion. Tu auras peut-être faim pendant le trajet...
Enfin monsieur Lee se sentait coupable...
Peut-être qu'il n'aurait pas dû revenir finalement...