Le chant des mouettes tira Dorothy de ses songes terrifiants. Encore fatiguée par sa folle course de la veille, elle étira péniblement ses membres endoloris. Elle bailla à s'en décrocher la mâchoire, regardant lentement tout autour d'elle. Elle savait très bien où elle était. Elle refusait simplement de l'admettre.
C'était le jeu du moment. Un effet de mode stupide. Un escape game au bord de la plage, caché derrière la façade innocente d'un parc de jeux pour enfants. Il fallait réussir une série de dix énigmes via une application précise pour trouver son emplacement exact. Autant dire qu'ils n'étaient pas très nombreux dans le dédale de manèges désertiques. Seul le cri de détresse de l'un d'entre eux venait parfois briser le silence de ce no man's land enchanteur. Et dire que personne ne s'inquiétait qu'un parc soit fermé au beau milieu de l'été, si proche d'une plage largement fréquentée...
Accroupie dans la piscine de boules, Dorothy se risqua à jeter un coup d'oeil. Personne ne pourrait la trouver ici si elle ne bougeait pas d'un pouce. Du moins voulait-elle s'en convaincre elle-même. Elle avait perdu la trace de son ami Nick peu après leur arrivée, après avoir entendu d'effroyables cris de douleur non loin de la cafétéria. Courageux, il était parti voir de quoi il retournait, en lui intimant de ne surtout pas bouger. Elle avait obéi, trop peureuse pour le rejoindre. C'est alors que le rugissement d'une tronçonneuse lui retourna l'estomac. Sa raison lui ayant fait faux bond, elle s'était mise à courir comme une dératée pour trouver la cachette parfaite. Les traces de sang l'avaient profondément convaincue qu'elle risquait sa peau en ces murs...
Il n'y avait aucun plan, aucune issue. Elle ne se souvenait pas du chemin qu'elle avait emprunté. Quelle idiote ! Peu rassurée à l'idée de déambuler seule dans cet enfer, elle repensa à son ami Nick. Allait-il bien ? Etait-il toujours en vie ? Prisonnier de cet enfer coloré ? Ou alors déjà évadé de ce piège mortel, sans même avoir cherché à la sauver ? Le coeur serré, elle lutta contre ses sombres pensées. Elle devait avoir foi en lui et partir à sa recherche. C'était forcément ce que lui aurait fait. Il avait un grand coeur... Et beaucoup plus de courage qu'elle !
Scrutant les alentours, elle ne vit personne. Pas un bruit. Soulagée, elle se releva doucement pour sortir de la piscine et fut surprise de voir que la porte était verrouillée. Prisonnière comme un oiseau dans une cage, elle secoua frénétiquement les barreaux de sa prison. Les boules s'entrechoquaient au moindre de ses mouvements, accentuant sa panique. Savaient-ils qu'elle était là ? Bien sûr, sinon ils n'auraient pas fermé le cadenas...
Les larmes aux yeux, elle se retint d'appeler à l'aide. Elle ne voulait pas offrir une proie facile à d'éventuels prédateurs qui passeraient dans le coin par hasard. Désarmée, elle ne pouvait qu'espérer de l'aide. Soudain une odeur âcre lui provoqua un haut le coeur. La pièce se remplit peu à peu de fumée, obscurcissant totalement sa vue. Elle toussa, remonta son tee-shirt devant son visage. Une musique de carrousel se mit doucement à résonner dans la pièce, suivi d'un petit rire moqueur. Il était là. Elle voulut crier, supplier, mais la fumée engourdissait déjà ses sens. Elle ne voulait pas mourir ici. Pas comme ça... Qu'allait-il lui faire ?
Elle regretta d'avoir suivi Nick jusqu'ici... Elle détestait ce genre de jeux. Elle n'aimait pas sortir du tout. Elle avait fait l'effort pour lui. Pour lui faire plaisir. Et son geste allait très certainement lui coûter la vie. La gorge en feu, elle réprima une montée de bile. Elle n'en pouvait plus. Sa tête lui tournait, comme si elle venait de sortir d'un manège à sensation. Les yeux irrités, elle cligna plusieurs fois des paupières. Cette fumée s'attaquait directement à son organisme !
Une nouvelle quinte de toux lui révéla qu'elle crachait du sang. Horrifiée, elle secoua les barreaux une nouvelle fois, de toutes ses forces, mais celles-ci la quittaient déjà. Abattue, elle se laissa tomber mollement parmi les boules colorées. Elle n'en pouvait plus... Si Nick ne venait pas à son secours, elle ne pourrait pas s'en sortir seule. Elle releva la tête une dernière fois pour tenter d'apercevoir son ravisseur. Personne à droite. Personne derrière elle. Lentement, elle pivota sur la gauche et réprima un cri. Son ami la toisait de l'extérieur, une machette à la main.
Telle était sa volonté ? Ecoeurée, Dorothy s'abandonna à son désespoir. Trahie par son ami, celui pour lequel elle craquait en secret depuis des années. Elle accepta son sort et se laissa aller sur le sol. Plus rien n'avait d'importance : elle allait mourir de sa main. Elle ne voulait pas être consciente pour assister à ce sombre gâchis. Qui irait dire qu'être adolescent n'était pas compliqué après cela ? Personne ne pouvait savoir. Et c'était mieux ainsi...