Océane
Réveillée par la douleur dans mon épaule, j'observe le salon. Aaron n'est plus là. J'ai dû m'endormir rapidement, car je ne me souviens pas de l'avoir vu partir. Pourtant, son parfum est encore présent dans la pièce.
Je laisse échapper un long soupir lorsque les souvenirs de la nuit précédente me reviennent en mémoire. J'étais sur le point de mourir ! Léon, les loups, Aaron... Tout s'est déroulé si rapidement. C'est la première fois que je me retrouve aussi proche de la mort.
Je baisse la tête pour sentir le tee-shirt d'Aaron. Sa présence m'a apaisée et m'a procuré un sentiment de sécurité. J'aurais souhaité qu'il reste avec moi.
Je sursaute quand la porte d'entrée s'ouvre. Léon me regarde avec un sourcil levé. Il va me falloir du temps pour me remettre de cette attaque.
— Je suis venu te surveiller, m'informe-t-il en s'asseyant sur le fauteuil.
Je ne le contredis pas, de la compagnie me fera du bien. Seulement, fallait-il que ce soit lui ?
Je l'interroge avec douceur :
— Est-ce que Jason peut te remplacer ?
— Malheureusement, non.
Je grimace. Il allume la télévision en m'ignorant. C'est alors que je remarque les blessures sur ses bras. Je me sens coupable.
— Merci pour hier, je serais morte si tu n'avais pas été là.
Brad a bien fait d'obliger son fils à me raccompagner. Un frisson glacial me parcourt le corps dès que je me rends compte du danger que nous avons affronté.
— C'est mon boulot.
Cette fois, toute trace de culpabilité disparaît.
Je me lève malgré la douleur pour me changer. En montant les escaliers, je perçois le regard de Léon sur le tee-shirt d'Aaron que je porte. Il doit se demander ce qu'il s'est passé pour que je me retrouve à porter ses vêtements.
Une fois déshabillée dans mon dressing, je me tiens en face du miroir. Mon corps est marqué par les blessures. Mon visage porte encore les stigmates de l'incident du sous-sol. Mon épaule est blessée et puis, il y a la cicatrice sur mon dos et toutes les autres...
Je prends une profonde inspiration en mettant des vêtements propres. Ces marques me rappellent tout ce que j'ai vécu. Elles font partie de moi.
En bas, Léon regarde un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale. Après avoir pris un fruit de la cuisine, je le rejoins. Lorsque des images de personnes dans un camp de concentration apparaissent, je lui demande de changer.
— Pourquoi ? La vérité est trop dure à supporter ?
— Non, mais ces images le sont.
— Ces gens ont vécu ce que toi, tu n'arrives pas à regarder.
— Ce n'est pas eux que je n'arrive pas à regarder. C'est de voir à quel point l'homme peut être mauvais.
Il m'observe attentivement, surpris par ma réponse.
Avec un petit sourire, il change de chaîne et lance un quiz de culture générale. J'examine ses gestes en silence. Il ressemble beaucoup à son père avec ses cheveux bruns et son corps musclé. Je suis convaincue qu'il a également hérité de son intelligence.
Il s'allonge, un bras derrière la tête. Alors que je déchiffre un « A » sur ses lèvres, je suis son regard et lis la question.
— C'est la B.
Il tourne sa tête et ancre son regard froid dans le mien.
— Tu te trompes.
C'est à cet instant que le présentateur annonce la réponse. Je souris en voyant le B clignoter en vert. Léon fixe l'écran, surpris. J'en profite pour lui expliquer fièrement :
— Paul Cézanne était un impressionniste et le précurseur du postimpressionnisme et du cubisme. Van Gogh, lui, était inspiré par l'impressionnisme, mais il annonçait le fauvisme et l'expressionnisme.
Devant son regard admiratif, je ne peux m'empêcher de sourire. J'ai réussi à capter son attention.
Durant le reste de l'émission, nous essayons de deviner les réponses. Il s'avère que j'ai eu de la chance, car seul Léon les trouve. Les réponses des joueurs nous font souvent rire.
— Comment les loups se sont-ils introduits sur votre territoire ? le questionné-je lorsque l'émission prend fin.
— Ce n'est pas à moi de te l'expliquer. Aaron le fera, s'il en sent le besoin.
— Il ne va jamais sentir le besoin de me l'expliquer, soupiré-je, frustrée.
— C'est pour ça que je ne dis rien. C'est à lui de décider si tu dois être au courant.
— Je suis son âme sœur ! Je dois savoir tout ce qu'il se passe !
— Selon lui, les femmes n'ont pas leur mot à dire en ce qui concerne les problèmes de la meute.
— Et selon toi ? demandé-je, sur la défensive.
— Elles peuvent faire part de leur opinion, mais sans plus.
Je m'abstiens de lui répondre que la plupart sont plutôt machos dans cette meute. Les femmes peuvent apporter beaucoup dans le monde. Cependant, je comprends que cela ne sert à rien de discuter avec Léon ou Aaron.
Je monte dans ma chambre. Après tout ce que j'ai vécu, dessiner me fera le plus grand bien.
Je cherche mon cahier de dessin dans mon sac, mais ne le trouve pas. Où l'ai-je laissé la dernière fois ? C'est en cherchant parmi mes vêtements que je me souviens l'avoir mis sous le lit. Je n'ai pas encore mes repères ici et c'est l'endroit qui me semble le plus approprié. Je ne peux pas prendre le risque que quelqu'un l'ouvre. Pas une deuxième fois.
Mon carnet de dessin s'apparente à un journal intime. Bien que j'y consigne parfois mes émotions par écrit, c'est surtout à travers mes dessins que je m'exprime. Les démons qui me tourmentent prennent vie sur ces pages, c'est comme un exutoire pour soulager mon esprit. C'est pourquoi il m'est essentiel de le garder à l'abri. Surtout depuis que je sais que nos pensées les plus intimes ne sont rien d'autre que des divertissements pour les autres.
Au moment où je me mets à quatre pattes pour prendre mon cahier, la porte s'ouvre en grand. Honteuse que l'intrus ait une vue sur mes fesses, je m'assois.
Aaron se tient devant la porte, un sourcil levé. Paniquée, je lâche :
— Je cherchais mes boucles d'oreilles.
— Celles qui sont accrochées à tes oreilles ?
Mes mains remontent instinctivement vers mes lobes. En effet, elles y sont déjà. Le rouge de l'embarras me monte au visage. Mentir n'a jamais été mon fort.
Je ris nerveusement.
— Ah, je les ai retrouvées !
Mon rire s'estompe lentement. J'arrive toujours à me mettre dans des situations idiotes !
— On doit parler.
Je me lève pour le suivre. Vu son intonation grave, c'est du sérieux. Du haut des escaliers, je remarque que Léon est parti. Je ne l'ai pas entendu s'en aller.
Je m'assois dans le fauteuil, contrairement à Aaron, qui préfère rester debout.
— Je retire ton autorisation de sortir de la maison. Tu ne quittes pas la maison et tu ne restes pas seule. J'enverrai quelqu'un pour rester près de toi.
Je sais que cela prendra un moment avant que j'ose à nouveau sortir dehors, mais je n'apprécie pas le ton qu'il utilise. Je déteste son attitude autoritaire. Il se comporte comme s'il avait tous les droits sur moi.
Malgré tout, je hoche la tête. Je suis consciente qu'il tente, d'une certaine manière, de veiller sur moi, et c'est la seule raison pour laquelle je n'ajoute rien.
— Pourquoi ont-ils attaqué ?
Son regard se durcit. Léon a beau m'avoir prévenue qu'il ne me dirait rien, j'ai été l'objet de cette attaque. C'est mon droit de le savoir.
— Aaron, un loup m'a presque tuée ! J'ai le droit de savoir pourquoi je suis prise pour cible.
— Non, ça me regarde.
— Ça ME regarde, rectifié-je en me levant. Je failli mourir parce que ta meute n'a pas été capable d'assurer ma sécurité. Et pourtant, vous êtes censés être les plus forts.
Je comprends que j'ai tapé dans le mille en voyant sa mâchoire se contracter. Évidemment, pour le narcissique qu'il est, insulter sa meute revient à le rabaisser.
— Nous sommes les plus forts ! affirme-t-il. Personne n'oserait nous attaquer !
— Ce n'est pas ce que la blessure sur mon épaule dit. J'ai failli mourir, Aaron.
Il se retourne pour se servir un verre au bar, près de la télévision. Comme il semble hésiter à me donner plus d'explications, je comprends qu'il s'agit d'une affaire sérieuse. Ce n'était pas simplement une agression ordinaire, mais plutôt une pièce d'un puzzle plus inquiétant.
— Tu as un ennemi qui peut rivaliser avec toi, constaté-je en me laissant tomber dans le fauteuil.
— Il n'a pas mon niveau, me corrige-t-il, il a juste un avantage.
Son ego est si important qu'il a répondu sans penser.
Il arrête de bouger, toujours dos à moi. Lui aussi semble se rendre compte de l'information qu'il vient de me donner.
— Pourquoi s'en est-il pris à moi ?
— C'est à moi qu'il s'en est pris. Il voulait m'atteindre à travers toi.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?
Il se retourne pour me faire face. Il vide son verre d'alcool d'un trait avant de promettre :
— Je vais le tuer. Je ne vis que pour ça.
Des frissons me traversent.
— Ce que tu as vécu, continue-t-il froidement, c'est ma faute. Ils ont profité d'un moment d'inattention pour rentrer sur mon territoire. Ils ont eu de la chance, car c'est très rare que je coupe toute connexion avec mon entourage. Sache que ça ne se reproduira plus jamais.
Qu'il admette son erreur me surprend. Je hoche la tête en lui souriant légèrement. Je le crois. Il fera en sorte que cela n'arrive pas une deuxième fois.
Je me lève pour m'approcher de lui.
— Tout le monde commet des erreurs, murmuré-je doucement. Le plus important, c'est de les reconnaître pour avancer. Je sais que ça n'arrivera plus.
Ses yeux descendent vers mes lèvres. Instinctivement, je lui rends son regard. Je me retrouve à désirer ses lèvres. Cependant, je ne me laisserai pas humilier comme la dernière fois.
Je quitte le salon pour me diriger vers ma chambre. Je m'apprête à prendre mon cahier de dessin lorsque la porte s'ouvre brusquement.
Aaron se tient devant moi, mon collier suspendu dans sa main. Son regard noir semble prêt à anéantir tout ce qui l'entoure.
— Qui est ce T. B. ?