- J'ai l'impression que je resterais coincée dans cette folie pour toujours.
Il me sourit tristement.
- Je sais. Je te promets que c'est éphémère.
Je baisse les yeux. J'en ai marre de ces promesses qui ne se voient jamais le jour. Tout le monde promet toujours des tas de choses, mais si on se pose cinq minutes et qu'on y réfléchit bien... Combien de ces promesses sont vraiment tenues ?
- J'aimerais bien te croire...
- Pourquoi tu n'y arrives pas ?...
- Parce que tu es un être humain. Et j'ai pour principe de ne pas faire confiance à l'être humain...
- Mais tu sais, Caresse... »
Il est interrompu par sa petite sœur, qui crie d'en bas :
« ...Sa' ! Sa' !
- Qu'est-ce qu'il y a, Hina ?
- J'ai faim !!
- Tu n'as pas pris de goûter ?
Il descend pour la rejoindre, et me fait signe de le suivre, en souriant.
- Mo' m'en a pas fait.
- Quoi ?... Pourquoi ?...
- Il a dit qu'il avait bientôt un rendez-vous avec une « kanojo » et qu'il ne pouvait pas se tacher avec des miettes de biscuits...
- Kono kuso yarō...
(Cet enculé de merde...)
Sasha soupire.
- Bon, je vais faire ton goûter... Tu restes bien sage, d'accord ?
Il me regarde.
- Ça te dérange de rester un petit peu avec elle ?...
- Non !...
Je souris.
- Bien sûr que non...
Il me sourit, puis se dirige vers sa cuisine.
- Tant mieux... Merci, Miri.
Hina s'assoit sur le canapé, et me fait signe de m'assoir à côté d'elle. Elle me regarde avec d'adorables yeux ronds.
- Est-ce que Sa' et toi vous êtes namoureux ?
- Hein ?... Heu non...
Je lui souris. D'ordinaire, je n'aime pas particulièrement les enfants, puisque ceux que je rencontre sont en général les bruyants amis de mes frères, ou les bébés qui pleurent dans le bus. Mais Hina a l'air vraiment mignonne.
- Pauvre Sa' !... Tu as un autre namoureux alors ?
- Non... Tu sais, les garçons sont bêtes... Il vaut mieux ne pas trop rester avec eux...
Elle rit et ses petites couettes brunes s'agitent dans tous les sens.
- Et toi, tu as un amoureux, Hina ?
- Oui ! Il s'appelle Macéo !
- Ah oui ?
- Il est super beau ! Il est blond, et il a des yeux verts ! Et puis à la récré, il m'avait donné trois bonbons alors que les autres en avaient eu qu'un ! Du coup on est namoureux maintenant !
- Je suis contente pour toi, alors !...
- Merci !
Sasha tend à sa petite sœur un sachet de mini BN's.
- Merci, Sa' ! »
Elle l'ouvre, ce qui m'impressionne pour une petite fille de son âge.
Nous entendons Motsure descendre les escaliers, et nous retournons tous vers lui. Il porte une chemise violet très pâle ouverte sur un t-shirt blanc, un jeans clair et a mis un peu de gel dans ses beaux et légèrement trop longs cheveux bruns.
« Elle s'appelle comment ?
- Mia.
- Depuis combien de temps ?
- J'en sais rien moi !...
- Tu l'as déjà « piégée » ?
- Ça finira par arriver...
- Courage à elle...
- Courage à toi, Assistant. Je suis comment, Miri-chan ?, dit-il en faisant un petit tour sur lui-même.
- Très bien...
- Aww !... Merci Miri-chan~ ! Bref, j'y vais...
Je passe légèrement ma main dans mes cheveux encore mouillés.
- Tu t'occupes d'Hina, Assistant ! Et si Ōji-chan demande, je dors chez un copain ! Bye !
(Le vieux (surnom affectueux et non moqueur))
- Bye... »
Sasha soupire.
« Pourquoi tu dis que Mo' piège les filles ?
- Parce que... Comment dire... Il fait semblant d'être amoureux d'elles, pour obtenir quelque chose qu'il aime beaucoup, puis après il les laisse tomber. Donc c'est méchant.
- C'est quoi cette chose ?
Sasha est un peu embarrassé par les questions de sa sœur.
- Heum... Disons que c'est un bisou... Il veut faire un bisou aux filles.
- Oh... Pourquoi il ne leur demande pas simplement ?
- Tu accepterais, toi, si un garçon qui n'est pas ton amoureux voulait te faire un bisou ?
- Beurk ! Bien sûr que non !
Sasha sourit doucement de l'innocence qu'ont les enfants, et la sonnette retentit.
- Ne me dis pas qu'il a oublié un truc...
Sasha s'apprête à se lever, mais Hina le retient par la manche.
- Et si c'était un méchant ?
- Ce n'est pas un méchant, Hina !... C'est juste Motsure !
- Je veux que tu me protèges, Sa'.
- Hum... Miri, tu veux bien aller lui ouvrir s'il te plaît ?... Les clés sont sur la porte...
- D'accord... »
Je me lève et avance vers la porte. Je l'ouvre, et me retrouve nez à nez avec Gustave Paris, un garçon de la classe d'Ada que je ne connais pas très bien.
« Miri ?...
Il louche sur mes cheveux humides et le pull de Sasha que je porte.
- Qu'est-ce que tu fous chez Sasha ?...
Sasha se lève et vient à côté de moi, aussi surpris que je le suis.
- Vous venez de... ?...
- ...
- Je passais pour jouer à Call Of, mais je vous laisser continuer vos petites affaires !
Il fait un clin d'œil à Sasha.
- Bonne chance, mec !
Il part en nous faisant un petit signe de la main.
- Quoi ?... Non !... Attends Gus' ! »
Gus ne se retourne pas et continue sa route. Sasha referme la porte, légèrement choqué.
« Un de mes meilleurs amis, qui est accessoirement dans notre lycée, vient juste de croire qu'on couche ensemble, ou c'était juste un rêve ?...
- Je... Je crois que tu n'as pas rêvé...
- Kami-sama...
(Littéralement « Maître Dieu » mais dans ce cas-là, veut plutôt dire « Oh mon Dieu »)
Je déglutis. La petite voix naïve d'Hina s'élève :
- Ça veut dire quoi « coucher ensemble » ?
Sasha soupire.
- Pas maintenant, Hina, s'il te plaît...
Elle se tait.
- Je vais y aller moi, de toute façon...
- Tu es sûre ?...
Je hoche la tête.
- Merci beaucoup en tout cas... Pour tout..,
Je retire le sweat-shirt de Sasha pour le lui rendre, mais il me fait signe de le garder.
- Tu vas crever de froid sinon.
- Je laverais tout, et je te les rendrais... Merci beaucoup...
- Non... Tu peux garder les vêtements pour fille... Mon frère me les a donné, et ce n'est pas comme si j'allais m'en servir...
- Tu... Es sûr ?...
Il sourit.
- Évidemment.
Je remets le pull et attrape le sac contenant mes affaires mouillées.
- À demain, Miri Aaron...
- À demain, Sasha Tauarii... »
Je sors en faisant un petit au revoir à Hina. Je retourne vers ma maison. À cette heure-là, mon frère Hoani doit être rentré du collège...
Je toque à la porte, et il vient m'ouvrir.
« 'Lut...
- Salut... »
Je rentre et ferme derrière moi. Je monte dans ma chambre, et change de pull pour que mes parents ne suspectent rien, avant de m'allonger devant Netflix, comme n'importe quel ado de mon âge en rentrant des cours, non ?...
Je ne sais même pas combien je regarde d'épisodes avant que la voix de mon père m'appelle :
« Miri ! À table !
- J'arrive !
Je finis juste ma scène, quand même...
- Miri !
- Oui ! J'arrive !...
Ils sont sur le point de résoudre le mystère installé depuis le début de la saison !...
- Miri !!
Putain !!! J'éteins violemment mon téléphone et descends les escaliers, énervée. J'arrive dans la cuisine et m'assois à la place que j'occupe depuis toujours, en faisant la tête. J'attrape ma fourchette et mange une bouchée de la purée dans mon assiette, un air énervé collé au visage. J'étais de bonne humeur, mais je déteste qu'on me dise dix mille fois la même chose. C'est bon, j'ai compris, je vais le faire ! Pas la peine d'insister, bordel...
- Alors, Teiki, comment était ta journée ?...
Ce petit chouchouté raconte sa vie banale et inintéressante, tandis que mange lentement et silencieusement. Puis le repas se passe, sans que je ne prononce un seul mot. J'ai plutôt l'impression d'être spectatrice de ma propre vie, à cet instant précis. Pas d'en être le personnage principal.
Je finis de manger, et me mors la lèvre.
- Je peux sortir de table ?...
- Pourquoi ? Pour aller parler avec ton amoureux ?
- J'ai pas d'amoureux...
- D'ailleurs... Tu ne nous as pas parlé du gars chez qui tu as dormi, la dernière fois...
- C'est juste un ami...
Mon frère me jette un regard taquin, qui me donne envie de lui enfoncer ma fourchette dans la main, juste pour voir.
- C'est un ami, au même titre que Lemon, Will ou Marcus... Mais je peux sortir de table, du coup ?
Mon père hausse les épaules, et je sors en mettant mon assiette et mes couverts au lave-vaisselle. Je remonte dans ma chambre et me mors la lèvre. Je me dirige, hypnotisée, vers mon miroir et vois un bouton. Je le perce, puis en perce un autre, un autre, et encore plein d'autres. Mais j'en tombe sur un plus difficile à percer. Alors je m'acharne, jusqu'à en saigner énormément.
J'ai envie d'arrêter. J'ai vraiment envie.