Après que nous ayons mangé, et que Maeha ait installé un matelas pour moi dans la chambre de Sasha malgré notre opposition, elle nous souhaite bonne nuit et va elle-même se coucher.
« Je vais me mettre en pyjama...
Je hoche la tête, et il sort de la pièce. Délicatement, j'ouvre la porte-fenêtre de sa chambre qui mène à un petit balcon couvert et m'y assois, pour regarder tomber la pluie. Quelques fois, c'est un éclair qui fend le ciel, et même si je sursaute à chaque fois, je trouve ça magnifique.
Je regarde la pluie tomber, en en profitant pour faire tomber quelques larmes.
Il faudrait que j'aille voir un psychologue ?... J'ai besoin d'aller mieux...
C'est éprouvant de se sentir visée quand on parle de folie, de maladie ou de troubles compulsifs. C'est vraiment... Mauvais pour le mental.
Savoir que je suis étiquetée comme une « malade mentale »... Ça me fait mal... Ça me fait sincèrement mal... Ça me fait encore plus mal que mes doigts blessés, que mes lèvres ensanglantées ou que mon corps couvert de cicatrices.
Ce genre de choses, on croit que ça n'arrive qu'aux autres. Que ça n'arrive que dans les films.
« Devenir une malade mentale et développer un trouble obsessionnel compulsif... »
On dirait juste un synopsis de film. Pas le résumé d'une vie.
Mais la pluie est belle, ce soir. Même si l'air est glacé, le bruit des gouttes qui tombent sur le sol et la terre me relaxe. Comme si d'un coup, il pouvait effacer tous mes problèmes. Même si malheureusement, ce n'est qu'un subterfuge.
Quand je me lèverais et que je rentrerais, la réalité me frappera au visage d'une claque si gigantesque que je m'en évanouirai.
J'aimerais rester ici pour toujours.
Regarder les étoiles et la pluie, les éclairs parcourir l'immensité bleu nuit, et entendre le tonnerre me surprendre à chaque fois.
Mais c'est impossible. Je ne peux pas fuir. Où que j'aille, elle me suivra. Elle me suivra et me traquera jusqu'à broyer mes os.
La dermatillomanie.
Je sens quelque chose se poser sur mes épaules. Je me retourne, et aperçois Sasha, qui s'assoit à côté de moi après m'avoir entourée d'un sweat-shirt, qui lui appartient probablement.
- Merci.
Il se met à regarder le ciel.
- Il fait un peu froid pour un tahitien comme moi, mais j'aime bien le ciel. Je l'adore même.
- C'est réconfortant de se dire que tous nos problèmes ne sont rien face à la grandeur de notre ciel.
Il pose sa main sur la mienne, et me l'attrape, en souriant tendrement.
Je veux bien qu'il me prenne la main. Mais...
Il va le sentir. Sentir le manque de peau au bout de mes doigts. Je ne veux pas lui montrer cette face pitoyable de moi. C'est compréhensible non ?... Quand quelqu'un nous plait, on a envie de faire le maximum pour lui plaire aussi ?... Mais malheureusement... Il va sentir mes peaux.
Et je vais devoir tout lui expliquer.
Avouer que je suis différente. Que je suis malade. Que je suis rongée. Mais je ne veux pas qu'il le sache.
Mais j'aime bien lui tenir la main... Ça a l'air... Vraiment bien...
Mais ça ne... Ça n'est pas... Ce n'est pas normal de tant se poser de questions juste pour une main... Il ne m'a même pas embrassée !... Il a juste posé sa main sur la mienne...
Tout va bien... Tout va bien Miri...
Pas moyen. Je n'y arrive pas.
Je retire ma main, doucement.
- Pardon !... Pardon je suis vraiment désolé !...
- Je sais que je te dis ça à chaque fois, Sasha Tauarii, mais... Ce n'est pas de ta faute...
Je soupire.
- J'aimerais vraiment te tenir la main. Parce que... Je crois que tu me plais, toi aussi... Mais... Comment dire...
Je regarde le ciel, et ça me réconforte. Je le sens. Je vais lâcher prise...
Je ferme les yeux, comme pour accuser le choc.
- Je suis folle.
- Oui enfin tout le monde est...
- ...Tu te souviens quand je t'ai parlé des maladies orphelines ?... Il en existe une, qui s'appelle la dermatillomanie. C'est un Trouble Obsessionnel Compulsif. C'est une maladie horrible. En fait, tu t'arraches la peau. Genre... Toi-même. Et ça te soulage, en quelques sortes... Tu le fais car tu stresses, que tu es triste ou en manque d'attention... Mais c'est dans ta tête. C'est toi qui t'inflige ça. Tu es conscient que c'est mauvais, que c'est débile, que c'est stupide. Mais tu ne peux pas t'arrêter. Tu n'y arrives pas, même si tu fais tout pour. C'est comme une addiction, mais c'est encore pire. C'est comme si je te demandais d'arrêter de respirer. C'est impossible.
Je soupire.
- C'est classé dans les troubles mentaux, dans les maladies mentales. Et j'ai ça. Je suis une malade mentale. Je m'arrache la peau volontairement. Même si j'aimerais arrêter. Mon corps est couvert de cicatrices, et je ne veux pas les montrer. Je fais tout pour cacher que je suis folle.
Je rouvre les yeux, sans oser regarder Sasha.
- Je me perce les boutons pendant des heures, jusqu'à en avoir le visage rouge et sanglant. Je me gratte la peau, et j'ai des traces horribles. J'ai des doigts horribles car ils n'ont presque plus de peau. J'ai les lèvres et l'intérieur de la bouche couverts d'aphtes et de sang car je me mors. Voilà pourquoi je ne veux pas qu'on me touche le visage, le corps ou les mains. Ou qu'on m'embrasse. Car j'ai peur qu'on apprenne la vérité sur moi.
Je regarde le sol.
- C'est ça, mon secret. Raphaël le savait car sa sœur est dermatillomane. Voilà. Voilà qui est réellement Miri Aaron. La fille qui te plaît est folle. Enfin... Qui te plaisait, j'imagine.
Je n'ose vraiment pas le regarder. J'en ai vraiment parlé à quelqu'un ?... Vraiment ?...
- Je ne m'attendais pas à ça...
- Tu sais quoi ?... Ne dis rien, c'est mieux. Je préfère que tu fasses une croix sur moi. Tu avais bien fait, d'ailleurs. Je sais bien que ma maladie est dégueulasse. Que je suis dégueulasse.
- Miri Aaron je...
- ...Il vaut mieux que tu te taises. Tu ne dois pas prendre ça légèrement, Sasha Tauarii. C'est une véritable pathologie qui occupe mes pensées nuit et jour. Alors tu n'as qu'à réfléchir, cette nuit, à si je suis toujours intéressante. Tu pourras me dire demain que tu ne veux plus me parler. Mais avouer pour ma maladie et être ignorée par le seul gars qui me plaît dans la même journée... Ça fait un peu beaucoup à supporter.
Je rentre dans sa chambre et m'allonge sur le matelas. Je me recouvre de la couverture et sors mon téléphone en dessous. Je suis vraiment... Pitoyable.
Si seulement je l'avais laissé me tenir la main... Il n'aurait rien senti, de toute façon... Il n'aurait pas pu savoir... Et tout se serait bien passé. Et tout irait bien. Je suis ridicule.
Putain de dermatillomanie... Ça me donne envie de pleurer.
J'entends Sasha s'allonger dans son lit pendant que j'ouvre Instagram.
- Bonne nuit, Miri Aaron.
- Bonne nuit, Sasha Tauarii.
Je swipe et tombe sur différentes publications, et je continue de scroller. Ça me fait un peu penser à autre chose. À autre chose que le fait que je viens d'avouer à seul gars qui me plaît depuis des années lumières que je suis complètement folle. Il va partir, c'est sûr.
Au bout d'une, deux, ou peut-être trois heures à traîner sur Insta, je range mon téléphone. Je sors délicatement ma tête de la couette et essaye de dormir, en frissonnant. Putain... Moi qui dors toujours avec sept couvertures et six pulls...
La voix éraillée et presque endormie de Sasha brise le silence nocturne :
- Tu as froid ?...
- Hum.
Je hoche la tête. Il se lève doucement et me tend un sweat-shirt.
- Désolé, je n'ai pas de pulls de filles... J'espère que ça ira...
- Merci... »
Il sourit, une fois de plus, comme si je n'étais pas folle, puis retourne dans son lit. J'enfile le sweater, et il est tout tiède, et sent bon comme le parfum de Sasha...
Est-ce que... Il était en train de le porter ?... Je rougis rien que d'y penser, et prends une grande inspiration de ce parfum masculin qui sent merveilleusement bon... Une odeur musquée et... Douce à la fois... Complètement géniale. Le genre d'odeur qui vous retourne la tête rien que d'y penser...