Sasha sort un trousseau de clés de la poche arrière de son jeans, et ouvre la porte. Il me fait signe d'entrer.
- Voilà... C'est chez moi... »
Je rentre et regarde un peu partout, comme fait toute personne normalement constituée quand elle va chez quelqu'un pour la première fois.
Et bien la maison de Sasha Tauarii est étrangement normale, figurez-vous. Non, il n'y a pas de couteaux partout, de corps gisants sur le sol, ou de pièces entièrement recouvertes de plastique blanc. C'est une maison assez spacieuse et moderne, et très bien rangée. Le genre de maison qu'on pourrait vendre facilement dans un magazine Ikea sans avoir à faire trop de déco.
« Sa' !
« Hina », la petite fille que j'avais vu au parc la dernière fois, arrive et court vers son grand frère puis le serre dans ses bras.
- Sa' est rentré ! Sa' est rentré !
Elle le lâche puis me regarde avec d'adorables grands yeux ronds.
- Oh... Sa' a ramené une vahine...
- Une vahine ? Sérieusement ?, dit une voix de garçon qui semble venir de l'étage.
Le garçon en question descend les escaliers en trombe et arrive devant nous. Il doit avoir... Peut-être est-il déjà majeur... Il est brun, avec des cheveux lisses, et a les yeux bridés. Il a de beaux traits et ses yeux sont, contre toutes attentes pour un asiatique-métisse, vert clair. Il porte une belle chemise bleue ouverte sur un t-shirt blanc et les manches remontées jusqu'à ses coudes, laissant voir ses bras musclés, et un jean noir vraiment classe.
En un mot, ce garçon est... Sublime.
- Wah... Sérieusement, Assistant... Tu as vraiment ramené une fille à la maison... Ça m'en laisse sans voix...
- Hé bien heum... Miri, voilà mon grand frère, Motsure... Motsure, Miri...
- Enchanté, Miri-chan~ ! Kanojo desu ka ?
(C'est ta copine ?)
- Iya ! Kanojo janai ! To-mo-da-chi desu, tako-kun.
(Non ! Ce n'est pas ma copine ! On est a-mis (bien articulé), petit poulpe)
- Mō ii... Kawaii ne.
(C'est bon... Elle est mignonne, hein.)
- Iya... Sore wa... Sono...
(Non... C'est... Enfin...)
Le grand frère de Sasha sourit, d'un air taquin. Mais honnêtement, je n'ai rien compris à ce qu'ils ont dit. C'est du japonais, non ?... Je n'en sais rien... Mais mon instinct me dit qu'ils sont sûrement en train de se disputer à mon sujet. « C'est ta petite-amie ? » - «Non ! », ce genre de choses...
- Kawaii desu, ano onna...
(Elle est mignonne, cette fille...)
- Nani ?...
(Quoi ?...)
- Si elle n'est pas tienne, je serais ravi de la prendre. Hein, Miri-chan~ ?...
Je rougis.
- Je crois que Sa' et Mo' se disputent à cause de la vahine de Sa' ! Est-ce que c'est parce que vous êtes tous les deux amoureux de la fille ?
- Tako-san, laisse-la tranquille... Et toi, Hina...
Il se radoucit et lui caresse doucement le haut de la tête.
- Ni moi, ni Tako ne sommes amoureux de Miri, d'accord ?... La vahine, qui n'est pas « ma » vahine, s'appelle « Miri ».
- Oh...
- Tu dis bonjours à Miri, Hina ?
- Bonjour Miri !
Il sourit, et se redresse.
- Miri, je te présente donc Hina, ma petite sœur.
- Salut, Hina !
Elle me sourit de sa bouche d'où il manque quelques dents de lait. Sasha se retourne vers Motsure.
- Bon. Assez de présentations pour aujourd'hui, hein... À l'origine, Miri est là pour qu'on fasse un exposé... Mais à cause de cette famille bizarre, on n'a même pas pu commencer...
Matsure rit.
- D'accord... Vous allez dans ta chambre ? Parce que je vais jouer à la Play dans le salon...
Sasha me regarde, et je lui signifie d'un mouvement d'épaules que ça m'est égal.
- Ouais, d'accord...
- Tu laisses la porte ouverte hein, Assistant ?...
- Hentai no Tako... »
(Le poulpe est pervers...)
Sasha monte dans les escaliers, et je le suis, tandis que Motsure nous regarde monter, en riant.
« Excuse-moi, mon frère est... Quelque peu...
Il s'assoit sur son lit, dans sa chambre qui est incroyablement bien rangée, contrairement à la mienne...
- Intrusif.
Il soupire.
- Alors, voilà ma chambre heum..., dit-il après un rire nerveux.
- Ton frère est plutôt « protecteur » je crois... Il se soucie de tes relations, c'est plutôt un bon point, non ?
Il rit.
- Je dirais plutôt qu'il se soucie de ma vie sexuelle honnêtement, et qu'il commence à s'inquiéter car je ne lui ai jamais présenté de copine...
Il continue de rire, et je ris avec lui.
- Enfin bref, assez parlé de cet idiot et avec cet idiot... On commence ?...
Je hoche la tête, et il sort un ordinateur. Il crée un PowerPoint vierge, puis se tourne vers moi.
- Du coup ce serait bien si...
Puis nous commençons à parler du sujet, à ajouter des photos et à écrire un document sur Word, assis à son bureau. On passe bien une heure à trouver les bonnes images, en riant, et même si on passe plus de temps à blaguer qu'à travailler, on avance quand même.
- Hé, tu as un cil sur la joue, Miri Aaron...
Je frotte ma joue gauche pour l'enlever.
- Non, l'autre joue...
Je frotte alors celle de droite. Il semble embêté.
- Non... Plus haut... À droite... Non, l'autre droite !...
Bordel, où est ce cil de malheur ?... Sasha soupire.
- Je fais le faire alors...
Il approche doucement sa main de mon visage, pour bien me laisser le temps de dire « non » si ça me dérangeait. Et ce n'est pas le cas. Je n'ai quasiment que des amis garçons, Lemon, Will, Marcus... Et ils m'ont déjà touché la joue. Alors je ne suis plus vraiment gênée par les contacts physiques des garçons. Le problème c'est juste que je n'aime pas trop ça.
Alors, sa main touche ma joue, et l'effleure pour faire tomber mon cil.
Puis il se rapproche de moi, et m'embrasse tendrement.
Non, je plaisante. Pensiez-vous vraiment que ça allait arriver ? Ah, ah. La réalité est toute autre. Non, je me rends juste compte de ma peau imparfaite.
Il est en train de toucher ma peau imparfaite. Toutes ces imperfections qui sont posées sur mon visage comme des météorites sur la Lune. Il les touche en ce moment. Il s'en rend compte, c'est sûr. Il voit combien ces boutons sont affreux. Et mes cicatrices... Celles des anciens boutons percés qui sont devenus des creux... Non...
Ne t'en fais pas, Sasha s'en fout...
Non !... Il ne doit pas voir ça !
De toute façon, ce n'est qu'un ami...
Ta peau est rugueuse Miri. Rugueuse comme du papier à ponçage. Et c'est cette peau que Sasha effleure en ce moment.
Et alors ? Tout le monde n'a pas une peau parfaite !
Sûrement. Mais tu ne peux rien faire contre cette imperfection ?... Tu es destinée à demeurer imparfaite ?...
Et donc ?... Ce n'est pas grave !...
Et si il racontait à tout le monde combien tu es imparfaite ?... Et s'il comprenait ta maladie face à ces cicatrices ? Si il disait à tout le monde que tu es folle ?...
Il ne comprendra pas. Personne ne connaît cette maladie. Et même. Sasha ne ferait pas une chose pareille...
Tu n'en sais rien... Il est instruit non ?... Peut-être qu'il s'intéresse à la médecine... Peut-être même à la psychologie ! Et puis, tu ne le connais que depuis cette année... Tu ne sais pas encore ce dont il est capable...
Arrête ça.
Que j'arrête quoi ?
De me contrôler. Arrête. Arrête de me parler.
Mais je suis toi Miri. Alors toi, arrête-toi, si c'est si facile.
A... Arrête...
Je me crispe sous le contact de la main de Sasha. Et il le remarque, évidemment. Il retire sa main, lui qui ne voulait que m'aider en me débarrassant d'un cil... Le pauvre... Il rougit et baisse les yeux, ne sachant pas vraiment où se mettre, ni quoi dire.
- E... Excuse-moi...
- Ce n'est... Pas de ta faute... Je...
Il sourit. Il... Il a vraiment un magnifique sourire...
- C'est pas grave. Ne t'en fais pas. Je n'aurais pas dû, excuse-moi.
- Non !... Ce n'est pas ça... Enfin...
Comment lui expliquer sans lui dire que je suis une psychopathe ?... Comment lui faire comprendre qu'il n'a rien fait de mal sans lui dire que je suis malade ?...
- Disons que... J'ai quelques complexes... Au niveau de mon acné... Alors je...
- Oh. Je comprends alors. Pardon.
Il ne comprend pas. Pourquoi tout le monde dit qu'il comprend, alors que personne ne peut comprendre ? Pourquoi tout le monde s'obsède à faire comme s'ils étaient omniscients alors qu'ils ne savent rien ?!
- On continue dans ce cas ?... »