| Séance Individuelle |
Aeshan
J'arrive devant le cabinet mais n'ose pas frapper. Mon cœur bat vite tellement je suis stressée vis-à-vis de cette séance individuelle. J'ai un peu peur de la tournure que ça va prendre et surtout des sujets que l'on va aborder. Les psychologues ont tendances à aller puiser dans nos souvenirs les plus enfouis et ce n'est pas forcément quelque chose que j'apprécie...
Je respire un bon coup et me décide à frapper. À peine quelques fractions de secondes plus tard, j'entends le Dr. Kim crier : « Entrez ».
J'entre alors et lui dis bonjour tout en me dirigeant vers le canapé vide qui n'attend que moi. C'est nettement plus simple quand je suis avec Yoongi...
- Alors, entame la thérapeute sans attendre. Comment se passe la pause ?
Préférant ne pas évoquer le fait qu'on se soit parlé l'autre jour étant donné que c'était -selon moi- un cas d'extrême urgence, je me contente de simplement dire comment je ressens les choses.
- Mal, ai-je lâché.
Voilà. Bref, et efficace.
- C'est normal, rétorque-t-elle. Ce n'est que le début, ça ira un peu mieux par la suite.
Je souffle un léger : « Si vous le dites », quasiment inaudible. Personnellement, je n'y crois pas une seule seconde.
- Comment vous sentez-vous pour cette séance ? Finit-elle par demander.
- Pas à l'aise du tout si vous voulez tout savoir, avouai-je.
- C'est la première fois que vous voyez une psychothérapeute ? Seule, j'entends.
- Eh bien... J'ai déjà vu un psy autrefois.
- Et ça s'était mal passé ? S'intéresse-t-elle.
Et voilà, elle commence à fouiner...
Je gigote nerveusement avant de lui répondre.
- Non, mais je n'aime pas vraiment montrer mes "faiblesses".
- Ne vous inquiétez pas, sourit-elle. Je ne vous forcerai pas à dire ce que vous ne voulez pas dire. Retenez simplement que si vous refusez de me dévoiler vos failles, je ne pourrai pas les panser avec vous. Je suis là pour vous aider, rien de plus.
Je soupire et acquiesce. Je veux bien coopérer, surtout si à l'issue des choses, je peux retrouver Yoongi et notre relation. Honnêtement, si je suis assise sur ce canapé à l'heure qu'il est, c'est uniquement pour lui.
- Aujourd'hui, explique la thérapeute. Nous allons profiter du fait que vous soyez seule pour recommencer à étudier la situation sans rien craindre puisque votre compagnon est absent. Je sais que vous vous reteniez tous deux de dire certaines choses à cause de la présence de l'autre.
Elle ouvre son éternel bloc-notes et prend son stylo.
- Je vous écoute, dit-elle. D'abord, votre problématique.
Je hoche la tête et me lance en redisant bêtement les choses qu'elle sait déjà. Yoongi veut se marier et avoir des enfants alors que moi, je ne suis pas encore prête pour ça.
- N'ayez pas peur de me dire la vérité, me rassure-t-elle. Rien de ce que vous direz ne sortira d'ici.
- C'est la vérité...
J'affiche une mine perplexe alors qu'elle secoue négativement la tête.
- Je pense qu'il y a quelque chose d'autre. Qu'est-ce qui fait que vous n'êtes pas prête ?
Je hausse les épaules tout en levant légèrement les mains pour montrer que je n'en sais rien. Je ne suis pas prête, c'est tout. Il n'y a rien de compliqué dans cela.
- Est-ce que ça vous fait peur ? Demande-t-elle.
- Évidemment. Avoir un enfant ce n'est pas une mince affaire...
- Et vous pensez ne pas être à la hauteur, c'est ça ?
Je réfléchis quelques secondes, dubitative.
- Ce n'est pas ça... Je pense que si un jour j'ai un enfant, même sans le vouloir, je ferai tout pour être une bonne mère.
- Alors vous pensez que Monsieur Min ne serait pas à la hauteur ?
- Quoi ? Je n'ai jamais dit ni même pensé une chose pareille !
Elle écrit sur son bloc de merde puis redresse la tête vers moi.
- J'en déduis que vous êtes consciente que vous seriez de bons parents si vous veniez à avoir un enfant. Alors, qu'est-ce qui vous bloque ?
Incapable de répondre à sa question, je secoue simplement la tête de droite à gauche.
- Bon, abandonne-t-elle. On va remonter un peu plus loin. Parlez-moi de votre enfance. Étiez-vous une enfant heureuse ?
- Je pense que oui, je n'ai pas spécialement de mauvais souvenirs.
- Avez-vous des frères et sœurs ?
- Non, aucun.
- Vos parents sont-ils mariés ?
Je me fige instinctivement. Je sens qu'elle commence à creuser à un endroit où je ne veux pas qu'elle aille, mais si je me braque, cette thérapie ne servira à rien et je vais finir par perdre Yoongi définitivement. Chose que je ne peux pas concevoir... alors je dois prendre sur moi.
- Ils l'étaient. Ils ont divorcé quand j'étais plus jeune.
C'est à cette période de ma vie que j'ai été voir un psychologue. Suite au divorce de mes parents, ma mère m'y avait forcé, persuadée que je vivais mal la situation malgré le fait que je lui disais que ça allait. En fait, j'ai trouvé que leur divorce était une bonne chose puisqu'ils n'étaient clairement plus heureux ensemble, mais je ne suis pas certaine que cela ne m'ait laissé aucune séquelle pour autant...
- Quel âge aviez-vous ?
- Onze ans, je crois... Peut-être douze.
Elle acquiesce et recommence à écrire.
- Comment l'avez-vous vécu ?
- Plutôt bien. J'étais soulagée que ça se termine enfin.
- Pourquoi ça ?
Pendant un instant, j'ai eu envie de mentir et de répondre quelque chose de banal, comme quoi ils ne s'aimaient juste plus, mais j'ai repensé au fait que je n'étais pas toute seule dans cette thérapie. Je le faisais pour Yoongi, pour notre couple, pas simplement pour moi...
- Parce qu'ils passaient leurs temps à se disputer, ai-je fini par dire. Mon père cassait tout dans la maison à ces moments-là et je restais enfermée dans ma chambre en attendant que ça passe...
- Votre père était violent envers votre mère ?
- Non, pas du tout. Il ne l'a jamais frappé, il cassait juste quelques objets, histoire de se faire entendre et de montrer qu'il dominait, je suppose... Entre nous, il n'avait pas besoin de ça puisqu'il gueulait déjà assez fort, ajoutai-je sur le ton de la plaisanterie.
Madame Kim n'a pas rigolé à ma petite blague et s'est contentée d'écrire, pour changer.
- Est-ce qu'il vous frappait, vous ? Questionne-t-elle.
- Non plus. Mon père n'était pas violent. Il aboyait mais il ne mordait pas.
Elle hoche la tête puis parcourt son bloc des yeux. Je crois qu'elle se relit.
- Quels sont vos rapports avec vos parents à l'heure actuelle ? Êtes-vous en contact avec votre mère ?
- Oui, souris-je en pensant à ma mère adorée. On ne se voit plus très souvent depuis que j'ai déménagé pour vivre avec Yoongi, mais on s'appelle régulièrement et quand je peux, je vais la voir.
- Est-elle au courant de votre situation ?
Ma gorge se noue et je secoue la tête pour dire non.
- Je ne suis pas rentrée dans les détails... J'ai simplement parlé du fait que Yoongi avait évoqué le sujet du mariage et de fonder une famille. Elle était tellement excitée à l'idée de devenir grand-mère que je n'ai pas eu le courage de lui dire que moi, je n'étais pas dans cette optique, et encore moins qu'on était en conflit à ce propos.
- Je vois. Et en ce qui concerne votre père ?
Je hausse les épaules.
- Quoi, mon père ?
- Êtes-vous en contact avec lui ?
Je pouffe doucement, plus un bref rire jaune qu'autre chose.
- Mon père m'a quitté en même temps qu'il a quitté ma mère, ai-je rétorqué.
- Je vois.
Le Dr. Kim ferme son bloc-notes et plonge son regard dans le mien.
- Je comprends un peu mieux votre situation, dit-elle. Les enfants ont tendance à idéaliser leurs parents, en général. Quand ils grandissent, ils s'identifient inconsciemment à eux et lorsque comme dans votre cas, ils sont divorcés et que la relation s'est mal passée, ils craignent qu'il leur arrive la même chose une fois qu'ils sont en couple.
Je détourne le regard, sachant qu'elle a raison. J'ai toujours eu cette fâcheuse manie de me comparer à mes parents... Ils se sont mariés et ont fini par se séparer alors qu'ils étaient supposés s'aimer à vie... J'ai tendance à croire que du coup, l'Amour, ça ne dure pas toute la vie...
En réalité, je suis convaincue que je peux aimer Yoongi jusqu'à la fin des temps. Je n'ai même aucun doute là-dessus.
Ce que je me dis, c'est que ses sentiments pour moi finiront par s'en aller, que c'est éphémère... Je n'arrive pas à me dire que comme moi, il m'aimera pour toujours...
C'est à cause de ça que pour moi, me marier n'a pas d'importance. À quoi bon ? Si c'est pour divorcer un an après...
- C'est tout pour aujourd'hui, annonce la thérapeute. On se revoit la semaine prochaine.
J'accepte et me lève, soulagée que ce soit terminé même si ce n'était pas aussi terrible que ce à quoi je m'attendais.