[Omniscient PDV]
[Le 3 mars à 14h30]
En ce jour, le soleil coréen toisait la toile bleue de ses rayons dorés. L'astre jaune égayait les rues de couleurs qui paraissaient plus vives, moins ternes. Les briques rouges des vieux buildings teintaient le décor de tons chauds, enveloppant le tout d'une fine couche de poussière brune. De grands bâtiments perçaient ce ciel, certains plus grands que d'autres. Ils dévisageaient les autres, les défiant du regard, imposant leur supériorité due à leurs grandes façades vitrées. La capitale n'avait vraiment rien à envier des autres métropoles mondiales. Ses constructions presque étouffantes dépassaient de loin celles que l'on trouvait ailleurs. Les Hommes n'avaient plus qu'à s'y cacher derrière, perdus au pied de gigantesques tours interminables. Le labyrinthe qu'était Séoul en emprisonnait plus d'un.
Parmi eux, un petit bâtiment de couleur rouge avait une allure presque transparente face au grand National University Hospital qui trônait derrière. Un building aux tons limpides qui abritait plusieurs milliers de personnes toutes enfermées dans les gouffres de la maladie. Certaines, au fil des années, réussissaient à s'y échapper, et reprendre le cours d'une vie que certains pourront juger de "normal", alors que d'autres y étaient condamnés à rester indéfiniment. C'était le cas de Kim Seokjin, jeune homme à la terrible passion pour la mode, ayant vécu une bonne partie de sa vie sur un lit d'hôpital. Toujours un écran posé devant ses yeux, cette vie n'était pas singulière pour lui, cette vie n'était autre que la sienne.
Et ses larmes, ses milliers de gouttes qui perlaient constamment son visage, il s'agissait aussi des siennes. Des cascades salées qui réchauffaient ses joues et gelaient son cœur. Un cœur qui était pour bien d'Hommes, différents des autres, puisqu'il n'était plus attiré par les femmes, mais par les hommes. Les médecins ne savaient pas s'ils devaient qualifié la maladie de Jin comme d'une dépression, d'un choc émotionnel, d'un trouble psychologique. Ils n'avaient jamais vu un cas pareil. Ce n'était pas le fait que l'hôpital était devenu sa maison qui posait problème, bien des personnes y restaient à vie. La seule chose qui inquiétait tout le monde, c'était son âge, qui était précoce, trop précoce pour rester ici sans jamais pouvoir en sortir. Le jeune homme aurait pu vivre tant de choses, découvrir tout un monde, peindre mille couleurs...Mais les médecins avaient peur, peur que sa liberté soit pire que toute, et qu'il ne puisse survivre. Alors, il restait enfermé, prisonnier d'un lieu dépourvu de sentiment. Et il se réfugiait, parmi des bout de tissus au mille couleurs, et à une notoriété de bref inconnus.
Mais aujourd'hui, Seokjin désirait plus que tout combattre ses larmes. Il rabattit l'écran de son précieux ordinateur, posa son téléphone sur sa table de nuit froide, regarda une dernière fois par la fenêtre, souleva les multiples draps blancs posés sur ses jambes, et se leva enfin. Une fois les électrodes débranchées, il ouvrit le plus silencieusement la porte de sa chambre, et se mit alors à courir, courir en direction d'une grande baie vitrée, ouverte, pour y faire entrer un peu de fraîcheur. Le vent du rosé fouette son visage comme il ne l'avait jamais fait depuis bien longtemps. Le jeune homme se retourna une dernière fois, alors que personne, absolument personne ne s'était encore rendu compte de sa fuite...Alors il ne cesserait d'avancer, il désirait courir toujours plus vite. Les paysages de Séoul défilaient sous ses yeux, du moins, c'est ce qu'il pensait. Le soleil vint réchauffer son visage, et la sueur vint perler son front. Il essuya ses larmes, avant de s'écrouler le dos contre un arbre glacé, non loin du centre hospitalier.
Des bruits se mirent à résonner dans ses oreilles. Des bruits de moteurs qui grondaient, des voix qui criaent des ordres, des portières qui claquaient...Et Seokjin continuait de pleurer, étouffé par tous ses bruits. Ses tympans vibrèrent, ils n'étaient plus habitués à une telle vie, et c'est ceci qui effrayait tant le garçon. Lui qui rêvait d'être considéré comme normal aux yeux de tous, avait-il sa place dans un monde où le silence se faisait rare ?
"Euh...Bonjour ?"
Le jeune homme sursauta en entendant une voix lui adresser la parole. Il releva ses yeux du sol et s'aperçut enfin qu'il était dans une station service, une comme des multiples qui décoraient la capitale. Celle-ci était non loin de l'hôpital, alors Jin soupira, s'apercevant qu'il n'avait même pas eu le courage de fuir à plusieurs centaines de mètres d'ici. Ses yeux se posèrent ensuite sur l'homme qui restait intrigué à la vue d'un garçon aux cheveux roses, les yeux embuées, un fin pyjama couvrant son corps frêle. Les tissus étaient faits de tons bleu clair qui contrastaient avec une douce chevelure couleur pivoine. Les manches étaient si longues que les mains de Seokjin pouvaient presque s'y dissimuler. Ce dernier, eut alors soudainement chaud, tandis que l'inconnu s'asseyait à côté de lui. Il gardait les yeux écarquillés, balayant de ses iris les yeux rassurants et la tignasse violette qu'il avait devant lui. Il pouvait voir qu'un tatouage ornait son bras nu, et que son visage comportait quelques traces d'essence. Dans sa tenue de travail, Seokjin aurait pu le prendre pour quelqu'un de banal, mais rien que pour le fait que ce soit la première personne qu'il rencontrait or de l'hôpital, il lui portait déjà une toute autre attention.
"Tu vas bien ? lui demanda le garçon aux cheveux violets
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Jin fronçait les sourcils
- C'est à moi de te poser la question ! il rit. Je travaille ici, à la station service. Mais je suppose que toi tu n'es pas venu ici pour me demander un litre de gazole...
- C'est bruyant ici, Seokjin avait les yeux perdus dans le vague
- Comme partout à Séoul. Tu ne viens pas d'ici, pas vrai ?
- Alors ça y est, je suis déjà bizarre ? Jin tourna son regard vers l'autre garçon
- Tu m'as l'air un peu perdu...
- Non, moi je suis Kim Seokjin.
- Très bien, dans ce cas moi je suis Kim Namjoon !"
Le rosé répétait ce nom dans sa tête. Il déchiffrait chaque lettre de son prénom, essayant d'en oublier aucune. Pourquoi le faisait-il ? Il n'en était pas conscient, mais ce garçon lui inspirait une grande confiance, malgré son look salit, son sourire moqueur et ce regard quelque peu froid. Il ignorait pourquoi, mais il percevait un cœur chaud dissimulé sous cette couche d'essence. Et il avait plus que jamais besoin d'un peu de chaleur. De la sueur perlait encore son front, tandis que ses larmes commençaient à sécher. Son cœur lui, battait de plus en plus vite, alors que ses yeux ne pouvaient plus se défaire de cet homme, de cet homme que lui, Seokjin, trouvait magnifique, presque différent des autres. Alors il restait ainsi à le regarder, alors que le principal intéressé, Namjoon, se grattait la nuque, ne sachant plus quoi faire.
Il avait toujours eu tendance à aider les autres, peu importe qu'il soit proche de la personne ou non. Il avait pris cette habitude de penser aux autres avant de penser à lui. Mais il semblait que cette fois-ci, l'inconnu qui se tenait devant lui n'allait pas lui faciliter la tâche.
"Que fais-tu ici ? Namjoon baissa les yeux. Oh mais...Tu viens de l'hôpital ?
- Je...Jin soupira, oui je viens de l'hôpital. Mais s'il-te-plait, fais comme si tu ne le savais pas.
- Tu es comme moi tu sais, comme ces milliards d'hommes qui couvrent la Terre !
- Tu es bien le premier à le penser.
- Et ta famille ? Elle va penser quoi en voyant que tu n'es plus dans ta chambre ? s'inquiéta le violet
- Ma famille ? J'ai un frère. Un frère qui va partir en vacances avec ses parents. Alors ça m'étonnerait qu'il se préoccupe actuellement de moi. Mais toi, tu as de la famille ?
- J'ai beaucoup de familles. En réalité, j'aime garder des enfants dès que j'ai le temps.
- Mais tu, Jin était intrigué, tu travailles déjà ici, non ?
- Ce n'est qu'un petit boulot pour mettre de l'argent de côté et rembourser mes études. Et ce n'est pas sufisant.
- Alors tu aimes les enfants, son coeur battait la chamade
- Oui ! Namjoon souria d'un air rêveur avant de regarder son interlocuteur. Et toi ? Tu aimes faire quoi ?
- Je crois que tu partirais en courant si tu le savais...
- Non, pourquoi je ferai ça ? On peut bien discuter un peu... Namjoon posa sa main sur celle de Jin, qui l'enleva aussitôt, les joues rougies
- J'aime la mode. Je design des vêtements avec des logiciels, puis je les mets sur des sites...Parfois, on me laisse acheter des tissus. J'ai même créé un blog !
- C'est génial ! Et tu as des retours ?
- Oui quelques uns...Ça m'occupe un peu...ahah...
- Alors pourquoi tu as peur que je te juge si cela te plait vraiment ?"
Seokjin blottit son regard dans celui du jeune homme qui le regardait d'un air protecteur. Et c'est son sourire sincère qui fit pleurer le plus âgé des deux, dont les yeux brillaient d'émotions. Son cœur continuait de danser, tandis que Jin avait la soudaine envie de se pelotonner dans les bras de cet inconnu. Il avait totalement oublié l'hôpital, il avait totalement oublié sa maladie, il avait totalement oublié la raison de sa fugue. A présent, seul le visage parfaitement dessiné du garçon qui flottait tous ses yeux avait de l'importance. Certains auraient mis ça sous le compte du manque d'affection, d'autre auraient appelé cela un coup de foudre, mais à ce moment, Jin ne laissait personne entrer dans son cœur pour essayer de le décrypter. Il n'avait plus ses petits bouts de plastiques collés à sa poitrines qui lui rappelait constamment l'irrégularité de son cœur. Pourtant, juste en cet instant, il pouvait sentir son organe jaillir de sa poitrine, prêt à exploser.
"Je n'ai pas envie de retourner là-bas Namjoon, renifla Jin
- Tu dois faire ce qu'il te plait, l'hôpital ne doit pas t'empêcher de vivre. Namjoon avait beaucoup de compassion pour cette nouvelle rencontre mystérieuse
- Et toi, tu fais vraiment ce qui te plait ?
- J'essaie chaque jour de faire entrer la passion dans ma vie. Mais une chose est sûre, c'est que je ne laisse personne juger ce qui fait de moi ce que je suis. Et Seokjin, je crois que tu devrais faire pareil."
Le rosé pleura de plus belle, mais le cadet vint essuyer ses joues délicatement à l'aide de ses mains. Il ne pouvait plus arrêter les torrents qui déferlaient de ses yeux, et cela amusait presque les deux jeunes hommes qui commençaient sans le savoir à tisser un précieux lien entre eux. Ils se confiaient l'un à l'autre, dévoilant certaines bribes de leur vie...
Mais tout ceci prit fin, lorsque des bruits retentirent à nouveau. Des bruits bien différents de ceux des voitures, ceux des portières ou des ordres. Mais ce son là, Jin le connaissait bien. Il se leva en sursaut en l'entendant, et colla ses mains sur le torse de Namjoon en pleurant encore et encore. Ce dernier, comprenant tout à fait ce qui était en train de se passer, caressa le dos de son nouvel ami pour le rassurer. Les oreilles du plus âgé étaient abasourdies, et sa bouche avait du mal à reprendre de l'air.
"Ne les laisse pas m'emmener..."
Un bleu transcendant perça le ciel aux tons pâles, les ambulances hurlèrent à l'approche du garçon de nouveau pris au piège. Le violet eut juste le temps de sortir son téléphone et de demander le numéro de Seokjin, qu'une portière plus grande que les autres claqua d'un bruit transcendant qui fit retourner les deux hommes. Plusieurs hommes et femmes en blouse blanche se dirigèrent vers le rosé qui continuait de pleurer silencieusement, le regard perdu dans celui de Namjoon. Ce dernier, en appuyant sur la dernière touche qui lui permettrait d'ajouter son aîné à ses contacts, remarqua que le numéro était déjà dans son répertoire.
Alors, tandis que les véhicules aux sirènes bleues, couvertes de plaques rouges et jaunes fluorescentes quittaient la station service aux tons pâles, Namjoon constata que Jin n'était autre que la personne perdue qui avait trouvé son numéro, probablement en cherchant dans l'annuaire qui figurait dans tous les hôpitaux, dans lequel étaient indiqués les lieux dans le périmètre du National University Hospital. Les véhicules qui avaient embarqué ce mystérieux jeune homme étaient loin des tons chaleureux que la ville prenait lorsque les rayons dorés du soleil perçaient les buildings de briques...En réalité, le jaune, le bleu et le rouge n'exprimaient que le froid de Séoul. La chaleur c'était évaporée, et même les rues se couvraient d'une fine poussière qui n'était en fait que noir. Car malgré ces tons chauds que tentait de prendre la capital coréenne, le monde dans lequel vivait Kim Seokjin demeurait glacial.