Chapitre 1 : L'entretien
- Je suis navré Madame Machour du décès de votre petite chienne mais sa maladie la faisait trop souffrir et il valait mieux qu'elle s'en aille au paradis. Ses souffrances se sont éteintes mais les vôtres se sont accrues, je l'entends bien.
Je n'apprécie pas ce nouveau boulot, annoncer de mauvaises nouvelles aux gens dans l'unique objectif de leur vendre un produit. Mais que puis-je y faire, l'animalerie a fermé à cause de sa perte de rentabilité. A l'instar des jeux vidéo, la seule façon d'obtenir des animaux* est désormais de s'en procurer en grande surface ou par commande dématérialisée. Bien que nous soyons des animaux, la disparition des animaleries a de nouveau élargi le fossé entre l'humain et l'animal, convaincus que les animaux n'étaient que des marchandises.
- Mais peut-être avons-nous un remède à votre souffrance, dis-je avec un faux enthousiasme, puisque dans notre service nous proposons un moyen de faire revivre votre brave toutou. Pour réaliser ce miracle, il vous suffit de signer ce contrat qui aura pour effet la souscription d'un prêt à hauteur des frais dont nous aurons besoin pour faire ressusciter votre compagnon canin.
Elle répondit avec un certain entrain qu'une de ses amies avait accepté le deal et que notre compagnie avait tenu parole puisque une semaine plus tard, elle reçut un nouveau petit chat à l'identique de celui décédé, dans une forme olympienne. Ainsi, Madame Machour accepta d'adhérer à la « réanimalisation ».
* Ce qui est désigné comme animaux ne concerne que les animaux véritables.
Chapitre 2 : La démission
- Bonjour Patron !
- Bonjour Noé, je tiens à te féliciter pour l'adhésion de Mme Machour à la « réanimalisation ».
- Mais qui pourrait refuser ? Les personnes attachées à leurs animaux de compagnie sont prêtes à dépenser des sommes folles pour leur bien-être. Imaginez le jour où celui-ci disparaît, il est normal de pleurer leur décès. Nous proposons une alternative à cette disparition. Mais qui pourrait refuser ?
- Voilà pourquoi tu es mon meilleur employé, tu comprends tout à fait notre philosophie. Et puis nous sommes les seuls à proposer ce genre de service.
Malgré son manque d'éthique et son écrasante autorité, Luc est un génie. Voilà cinq ans qu'il a finalisé le projet de sa vie. Après 15 ans de conception, il lança la « réanimalisation ».
- Patron, puis-je vous mettre en garde ?
- Comment ça ? Que pourrait-t-il se passer de si mal ?
- Certaines personnes sont au courant de l'existence de la « réanimalisation » et ils pourront bientôt divulguer le secret.
- Par quel moyen ? me répondit-il.
C'est un brillant inventeur mais il reste néophyte en matière de business.
- Eh bien, le contrat de confidentialité et le brevet expirent dans six mois. Les répercussions seront, à n'en point douter, catastrophiques.
- Noé, tu veux dire que les fouineurs ayant découvert notre secret pourront à leur tour utiliser la « réanimalisation » ?
- Dans ce cas de figure, seul notre chiffre d'affaires serait affecté mais il est probable que ce ne soit pas le cas. Les fouineurs, comme vous dites, ne vont pas se gêner pour dévoiler à la presse que tous les animaux miraculés ne sont que ersatz mécaniques. Notre réputation va en prendre un coup et nos futurs concurrents risquent d'aller plus loin encore que nous.
- Quelle réputation ? Nous sommes les seuls à fournir ce genre de miracle !
- Plus pour longtemps, comme je l'ai dit, la concurrence va s'ouvrir et les gens prendront conscience de l'artificialité de nos animaux.
- Mes artificiels sont meilleurs que les animaux authentiques, ils sont moins exigeants et possèdent une bien meilleure longévité, dit-il en haussant le ton.
- Mais ils ne sont pas naturels ! L'humain ne peut pas se considérer suffisamment supérieur au point de détruire d'autres espèces, par simple confort. Nos produits ne devraient servir qu'à soulager quelques vieilles dames en pleine souffrance après la mort de leur animal.
Après des années de travail avec Luc, je réalise pour la première fois à quel point nous sommes différents. Luc est étriqué et borné et ne se rend pas compte de l'impact que la « réanimalisation » va avoir sur le monde. Marre de devoir réconforter des gens par pur mercantilisme. Je démissionne de ce boulot d'hypocrite. Cependant je crains le pire pour la suite...
Chapitre 3 : Les chevaux
Une année s'est écoulée depuis ma démission. Je suis retourné voir Luc depuis et comme prédit, la concurrence s'est démultipliée, la « réanimalisation » a fait faillite et cette innovation a atteint un niveau sans précédent. Tout le monde sait que désormais il est possible de créer des animaux artificiels, semblables aux originaux et meilleurs en tout point. Beaucoup de mon entourage se procurent de ces animaux mécaniques en raison de leurs fonctionnalités intuitives. Des personnes plus radicales transforment même leurs animaux de chair et de sang en des versions mécaniques. Mais tout ceci ne reste que les balbutiements d'une société en pleine mutation à la suite d'une révolution industrielle.
J'ai toujours apprécié les courses hippiques. Je voue une véritable fascination envers les jockeys poussant toujours plus à bout leurs chevaux pour qu'ils donnent le meilleur d'eux même. Mais bientôt, avec la première course de chevaux mécaniques, cela se résumera à qui dépense le plus pour optimiser sa machine à l'apparence chevaline. Cela me répugne. Pourtant, je me résigne à y assister par pure curiosité. Après une heure d'attente interminable, les courses débutent enfin.
Le commentateur se met à beugler :
- Et Torpedo prend la tête de la course et distance ses concurrents. Quelle formidable course s'achevant par la victoire du destrier de M. Bolloré.
Les craintes que j'avais se matérialisent, les chevaux sont désormais bien trop rapides pour des stades si restreints et comme je m'en doutais, c'est le plus riche qui gagne pour s'engraisser davantage mais au vu de son âge, ce gros porc ne devrait plus tarder à crever. Je sais pertinemment que je ne vois que le négatif dans cette prouesse technique mais comme toujours l'objectif est toujours l'argent, générer des bénéfices au profit d'hommes d'affaires véreux comme ce Bolloré. Les hommes ne cherchent toujours le gain et c'est encore une fois, au détriment des animaux.
Chapitre 4 : La rencontre
- Veuillez découvrir le catimini, un chaton affectueux disposant de nombreuses fonctionnalités comme le café ou le ménage et tout ça pour une somme modique.
Un autre vendeur tonitrue :
- Mon Auto-Dogo est encore plus adorable et moins cher !
Qu'est ce qui me prend à me flageller ? J'assiste impuissant à la prolifération de ces engins de malheur pour lesquels j'ai été l'un des instigateurs.
- Ces ventes sont monstrueuses !
Oups, je réalise trop tard que ce qui était dans ma tête est sortie de ma bouche. Après tout, ce qu'est que pure vérité. En l'espace d'un instant, je sens le contact d'une main sur mon épaule. Je pris peur, au vu de la pression que m'inflige ce contact, je voulus fuir très vite et très loin d'ici.
Pourtant, il ouvrit la bouche en débutant par ceci :
- Attendez Monsieur, je suis parfaitement de votre avis. Je serais incapable de me séparer de mes deux petits chatons adorés, Praline et Chi.
Malgré son apparence patibulaire et le paradoxe de rencontrer un ami des animaux dans un endroit pareil, je veux croire en sa sincérité.
- Je vous propose de nous échapper de cet endroit de malheur et d'aller discuter autour d'un café. Puis-je vous demander votre nom ?
Cela sent le piège mais vu sa carrure, impossible de refuser.
- Moi c'est Noé et vous ?
- Enchanté, je suis Jonas.
Un quart d'heure plus tard je me retrouve à table avec cet antipathique sympathique. Et puis zut, je devrais me fier à ses paroles et à sa sincérité.
- Noé, avez-vous des animaux ?
- J'ai toujours cette chance d'avoir avec moi Max, mon fidèle Corgi mais il commence à prendre de l'âge.
Il reprit la parole d'un air mélancolique.
- Je travaillais dans une usine de poules pondeuses. Du jour au lendemain, tous ces braves gallinacés ont été remplacés par des équivalents mécaniques plus productifs. Cela m'a déchiré le cœur.
Reste-il de véritables humains sur cette planète ? cria-t-il.
- Des humains ressentant de l'empathie envers les animaux ?
Il acquiesça en réprimant un sanglot.
Il me ressemble, j'ai bien fait de suivre mon intuition.
- J'en suis navré, de mon côté, mes proches se sont laissés séduire et ont acheté ces saloperies de machine. En suivant cette tendance, l'humanité veut définitivement condamner l'animal à seulement être un objet et de la nourriture.
Nous ne sommes que deux, deux pauvres quidams ne souhaitant que la réhabilitation de la faune véritable. Monter à cheval, caresser le poil d'un chat, se faire lécher le visage par un chien. Ces sensations ne doivent pas disparaître. Jonas récupéra son attitude stoïque et déclara qu'il s'était laissé emporter par ses émotions devant un inconnu et qu'il s'excusait. Je lui répondis par un hochement de tête mais pour moi ce n'était déjà plus un inconnu. Il reprit :
- La seule façon d'enrayer le système est de créer un groupe d'animalistes assez puissant et conséquent pour mettre un terme à ce crime contre la vie.
J'étais si déprimé que je n'avais même pas envisagé cette possibilité. Pourtant cela peut fonctionner. Notre devoir est donc de constituer cette coalition et de lui donner les moyens d'influencer la majorité de la population.
Chapitre 5 : Unification
Après deux jours je retrouve Jonas dans son modeste appartement.
- Noé, notre marge de manœuvre est aussi large que notre projet est légal !
- Exact, pour débuter, nous devrions trouver un lieu de rendez-vous convenable et une date raisonnable pour une première réunion. Utilisons tous les moyens de communication que la technologie permet comme « nearfriends », les e-mails, les stations de tablettes à news et des moyens plus traditionnels comme le bouche-à-oreille.
Durant de laborieuses semaines, Jonas et moi remplîmes notre cahier des charges avec l'espoir de trouver de nombreux protecteurs des animaux parmi la population.
- Bon Noé, cette première réunion ne fut pas un succès mais ne nous décourageons pas et puis la bande s'est tout de même élargie. Grâce à vous, Dylan, Steven, Ilyes, Léna, Laurie et Marie-Pierre, nous disposerons d'une meilleure force de frappe pour continuer notre action.
Même si peu de personnes étaient restés dans la salle, je pris la parole et cria « Pour les Animaux Véritables » !
Nous reprîmes nos méthodes de ralliement pour convaincre que ces animaux composés de vis et boulons n'étaient que du luxe superflu. De plus, au vu du modèle de production, à savoir la capture puis la robotisation des animaux, l'industrie ne pourra que s'effondrer. Faisons-en sorte que cet effondrement provienne de notre coalition.
La seconde réunion fut plus encourageante. De trente personnes, nous sommes passés à plus de trois-cents. Plus les réunions s'enchainaient, plus notre communauté s'accroissait et plus il était difficile d'accueillir tous nos sympathisants. Mais il restait une ultime barrière à franchir pour provoquer le boycott total des animaux mécaniques : « La communication de masse ».
Chapitre Final : L'appel de Noé
Un an et demi et une douzaine de réunions plus tard. Nous sommes si nombreux que plus aucune salle au monde ne saurait tous nous accueillir. Certains sont même venus avec leurs saloperies dans le but de les détruire tandis que moi je suis là pour transmettre la bonne parole.
Je commence à bafouiller avant de déclarer :
- Chacun d'entre vous, merci d'être là ! Il est temps de vous annoncer notre plan qui va prochainement influencer les nations entières. Tout le monde se mit à chahuter comme si personne n'avait encore entrevu la possibilité que nous pouvions changer le monde.
Je repris :
- Mon plan serait d'interférer les programmes de TVM ! Comme vous devez le savoir, Dylan est un brillant informaticien et je pense qu'il pourrait forcer l'accès à la chaîne pour nous permettre d'interférer la chaîne à l'heure de grande écoute. Jonas s'occupera de trouver la caméra, Léna le lieu et le jour et Ilyes comment nous cadrer lors du discours fatidique qui changera la face du monde. TVM est la chaîne mondiale et rassemble la plupart des aliénés se comptant par milliards de personnes. Ainsi notre audience durant l'atroce JT habituel sera colossale.
Malgré la déception de certains de ne pas avoir eu de place prépondérante dans le plan, celui-ci se mit en marche.
Léna trouva une plaine grandiose pour afficher notre nombre. C'est ainsi que nous allions stopper la « mécanimalisation ». Le plan se mit en place et je pus enfin prononcer ce que je considère comme la bonne parole.
- Bonsoir, multiples spectateurs, mon nom est Noé, fervent défenseur des animaux. Cela vous convient vraiment de vivre avec d'anciens animaux devenus robots désormais réduits à l'esclavage ? A terme tous les originaux auront disparu et il ne vous restera plus que vos ersatz mécaniques attaqués par la rouille. Je vous propose une alternative. Détruisez vos machines et construisons ensemble des lieux d'habitations pour chaque espèce existante sur terre afin de repeupler notre planète d'êtres vivants que les industriels ont cherché à supprimer. Bâtissons les nouvelles arches de Noé. Si vous refusez, je pense que la foule présente derrière moi vous dissuadera de vous opposer à mon projet. Merci pour votre attention.
Edito
Merci d'avoir lu ma première nouvelle portant sur l'animal, l'humain et l'espoir.
Ce que j'aimerais que vous reteniez de cette nouvelle est évident pour la plupart des gens mais pas pour la totalité.
Respectez et chérissez les animaux, tout simplement.
Je suis révolté face à l'abandon de certains irresponsables n'ayant pas réfléchi à ce que représente un être vivant.
N'oubliez jamais que nous sommes aussi des animaux.
Nous avons beau être les maitres du monde, il y aura, parallèlement aux dinosaures, une espèce qui nous remplacera un jour ou l'autre.
Excusez-moi si je vous ennuie avec cette morale simpliste mais certains l'oublient.
Sur ce, je vous laisse avec les références m'ayant inspiré cette petite nouvelle.
J'espère que vous serez curieux d'aller voir ces superbes œuvres.
Joyeuses Pâques
Nathan Blanchard le 21 avril 2019
- Les androïdes rêvent ils de moutons électriques de Philip K Dick. Livre de 1966
Adapté par Ridley Scott en 1982 au cinéma sous le nom de Blade Runner (mais sans animaux mécaniques)
- Invasion Los Angeles (They Live) de John Carpenter. Film de 1988
- L'invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel film de 1956 qui adapte le livre de Jack Finney de 1955
- La Bible – La Genèse (Arche de Noé, le plus évident)