— Sinon je peux te faire un café.
Je lève le bras vers le placard de la cuisine pour en sortir une boite de capsules que je dépose sur le plan de travail. Assise sur une chaise haute et les coudes posés sur la table, Amanda appuie son menton sur la paume de ses mains en me regardant m'affairer autour d'elle.
— Je ne bois pas de caféine après midi.
Je hausse simplement les épaules et laisse le tout en plan pour me diriger vers le frigo où je sors du jus fraîchement pressé.
— Tu crois qu'un jour je vais rencontrer tes parents ? elle me demande d'une voix amusée.
J'en manque presque de renverser le contenu de la bouteille, mais me retiens in-extremis. Faisant mine de rien, je continue de remplir nos verres pour lui en tendre un.
— Ils ne sont pas toujours là, tu sais.
— Alors il faudrait m'inviter quand ils le sont. Sauf si tu veux me garder secrète, elle pouffe en buvant une gorgée.
J'esquisse un sourire un peu crispé avant de venir me placer devant elle. D'un geste assuré, je fais tourner le tabouret sur lequel elle se trouve pour me mettre debout entre ses jambes. Les mains posées sur sa taille, je l'oblige à relever le visage vers moi en se tordant légèrement le cou.
— Tu n'es un secret pour personne, je murmure contre ses lèvres. Tu seras la première à les voir quand ils auront du temps à nous accorder. Ça te va ?
Revivifiée par mes conditions, elle se laisse aller contre mon torse et caresse doucement mon dos de sa main libre. Ça ne fait pas plus d'un mois que nous nous sommes officiellement mis ensemble, pourtant c'est bien la première fois qu'elle avoue avoir envie d'être présentée à mes parents. En toute honnêteté, je pensais qu'elle était sur la même longueur d'ondes que moi, et que se farcir un repas familial alors que nous sommes certain de ne pas faire notre vie ensemble, c'est loin d'être l'idéal.
— Je n'ai pas envie de te faire peur, elle reprend d'une petite voix tandis qu'elle pose son menton sur mon torse et me fixe de ses yeux clairs. J'aime juste être avec toi.
— Je sais.
Doucement, je me décolle de son corps et me plante debout en face d'elle. Visiblement gênée d'avoir lancé le sujet, elle place d'un geste mal assuré une mèche derrière son oreille.
— Je pensais juste attendre un peu, je lui avoue. Je ne présente jamais personne à mes parents.
— Vraiment personne ?
— Non. Ce n'est pas la priorité quand ils rentrent.
— Tu sais quoi ? Oublie ce que j'ai dit.
D'un mouvement un peu brusque, elle se redresse sur ses jambes et pose son verre sur la table. Un sourire un peu tendu sur le visage elle vient triturer le bas de mon T-shirt une seconde avant de déposer un baiser dans mon cou.
— Je ne voulais pas te mettre dans une situation embarrassante, elle continue. Tu me les présenteras quand tu en auras envie et vice-versa.
— Ça me va, je souffle tout près d'elle.
Ignorant la moue un peu déçue qu'elle arbore, je l'attrape par la main pour la tirer doucement vers le salon. Nous le traversons en silence avant que je récupère nos deux sacs de cours qui trainent devant les escaliers.
— Et si tu me montrais le devoir sur lequel tu bûches un peu ? je demande en montant les quelques marches jusqu'à l'étage.
Sa main toujours dans la mienne, je nous fais entrer dans ma chambre et l'invite à s'asseoir sur mon lit. J'y dépose mon sac et lui tend le sien, l'intimant d'ouvrir les manuels dont nous aurons besoin pour les quelques heures qui suivent.
— Je n'avais pas vraiment ce projet-là en tête, elle roucoule en ouvrant son cahier de biologie sous-marine.
— Garde-le pour plus tard, je la taquine en m'installant à côté d'elle. Alors, dis-moi ce que tu ne comprends pas dans ce cours.
Même si nous ne faisons pas du tout les mêmes études, Amanda a pris cette année une option en biologie qui commence déjà à lui donner du fil à retordre. Quand elle m'a dit en début de semestre qu'elle avait eu envie d'essayer quelque chose de nouveau, j'ai failli lui dire qu'elle aurait mieux fait d'éviter comme la peste la matière la plus compliquée du programme que j'étudie. Résultat, nous avons repris les cours depuis même pas deux mois et pourtant elle est déjà devant moi pour quelques cours particuliers. Je pourrais d'ailleurs presque croire que c'était justement ce qu'elle voulait... Des cours particuliers.
***
L'air frais de la pièce s'engouffre sous la couette lorsque je la soulève pour m'en extirper. J'attrape rapidement mon caleçon qui traîne sur le sol et l'enfile avant de me lever. Après avoir jeté un rapide coup d'oeil vers Amanda, affalée sur mon oreiller, je me dirige vers le synthétiseur qui trône au bout de mon lit. Finalement c'est un tout autre type de programme qui nous a retenu cette dernière demi-heure et je dois avouer que je le préfère largement à la biologie sous-marine...
— Tu veux que je joues quoi ? je demande à la blonde entièrement nue sous mes draps blancs.
Je jette un coup d'oeil par dessus mon épaule et lui sourit gentiment, tandis qu'elle s'installe confortablement contre l'un de mes oreillers. L'énorme photographie que m'a faite Justin l'an dernier trône fièrement au dessus de sa tête et je ne peux m'empêcher de la fixer un instant. C'est la seule décoration accrochée dans ma chambre et à chaque fois que mes yeux tombent dessus je ne regrette pas mon choix de l'avoir imprimé. Ça peut paraître absolument égocentrique de m'afficher comme ça sur mon mur, mais je crois que c'est de loin l'image que je préfère. Je suis debout au milieu du terrain de football. Le ballon dans les mains, je tourne le dos à la caméra et suis positionné de sorte que mon visage ne soit quasiment pas visible. Il est presque impossible de savoir que c'est moi, si ce n'est par le nom qui est brodé sur mon maillot. Au départ, je l'avais surtout accroché pour faire chier mes parents. Même s'ils reconnaissent le talent indéniable de mon ami et la qualité du cliché, ils étaient loin d'être emballés par le cadre. Ils détestent le foot, alors dès que j'ai eu l'occasion de le leur mettre sous le nez, j'ai bondi. Au final, pour une photo qui était censée rester que quelques jours dans ma chambre, elle a fini par y garder une place permanente. Elle est simple, en noire et blanc et tout ce qu'il y a de plus représentative à mon sujet. Le football c'est toute ma vie et ironie du sort, je l'ai positionné à l'exact opposé de ma deuxième passion. Le piano. Je crois que c'était aussi ma façon de prouver à mes parents que je suis capable d'être bon aux deux, quelque soit leur avis sur le sujet.
— Tu connais la chanson de Twilight ?
Étonné, je fronce les sourcils vers Amanda, qui se met à rire doucement en fredonnant les quelques notes de musiques qu'elle connaît. Espérant sincèrement que je sois capable de reproduire à la lettre ses intonations. Dans un grognement désabusé, je finis par reconnaître la mélodie qu'elle est en train autant de massacrer que d'assimiler à une romance vampirique.
— Twilight, vraiment ? je râle en levant les yeux vers le ciel.
— Si je t'avais dit le Clair de Lune, tu n'aurais jamais su, elle glousse.
— Détrompe-toi, je la reprends dans un clin d'oeil. Ça aurait été beaucoup plus révélateur.
Sans plus de cérémonie, j'entame la douce mélodie de Debussy et me laisse transporter. Ça fait déjà plus de quinze ans que je pratique de cet instrument. Dès le plus jeune âge, mes parents ont cherché à me faire jouer. Après avoir tenté la guitare et le violon, c'est le piano qui a retenu toute mon attention. Je crois que je peux dire que je suis doué dans ce que j'entreprends, car depuis plusieurs années je pratique moi-même et n'ai presque plus besoin de Gordon, mon professeur. Loin d'être le genre de personne à y trouver un échappatoir à ma vie, je trouve que c'en est surtout un passe-temps agréable. Rien de plus beau à jouer que du piano. Si j'écoutais mon père, il faudrait que j'abandonne toutes mes activités extra-scolaires pour m'y consacrer pleinement. Traduction, il veut que j'arrête de courir derrière un ballon sans aucune raison. Du moins, il ne prend pas la peine de s'intéresser à ce que je sais faire de mes dix doigts ailleurs que sur des touches. Ça a toujours été notre plus gros désaccord, pire encore depuis que j'ai pris la tête de l'équipe. Bien trop concentré sur ce que je suis en train de faire, ce n'est qu'une fois les bras d'Amanda enroulés autours de mes épaules que je prends conscience qu'elle s'est levée. Son corps chaud est lové contre mon dos tandis que sa bouche s'est enfouie dans mon cou, remontant le long de ma nuque pour venir mordiller mon oreille.
— Tu es tellement sexy comme ça.
Je la laisse maltraiter mon oreille et savoure sa bouche me dévorer la peau avant de m'arrêter de jouer.
— Joue-moi autre chose, elle chuchote doucement, caressant mon torse nu de ses doigts.
Le tas de partitions sous les yeux, je remue les dizaines de feuilles avant qu'elle ne m'arrête sur l'une d'elle que j'ai griffonnée il y a de ça quelques semaines.
— Tu composes ? elle s'étonne en l'attrapant du bout des doigts. Fais-moi écouter.
— Non. Pas celle-là, je lâche un peu abruptement en la lui récupérant des mains.
Au moment où mes yeux se posent sur les quelques notes que j'ai inscrites sous un Only grossier, une brusque bouffée de chaleur se répand de la base de ma nuque aux bouts de mes orteils. Un vague souvenir traverse mon esprit et une voix que je souhaiterais faire disparaître une bonne fois pour toute de ma tête s'y immisce. Je ne savais pas que tu composais. Je ferme un instant les yeux, l'image nette et précise de la scène se matérialisant devant moi. Tu me fais écouter ? Déstabilisé par ces flashs qui rejaillissent, je n'ai qu'une réaction, me focaliser sur les mains qu'Amanda a commencé à balader sur moi. D'un mouvement rapide et franc je me tourne pour venir l'attraper par les hanches et la soulever. Les jambes accrochées autour de ma taille, je prends possession complète de ses lèvres que j'embrasse avec intérêt tout en nous dirigeant vers mon lit. Les draps encore éparpillés par les quelques minutes que nous venons d'y passer, je la dépose à nouveau sur le matelas pour me placer tout contre elle. C'est tout ce que j'arrive encore à faire : me persuader qu'elle est la seule à pouvoir me faire oublier.
🔻🔻🔻🔻🔻
Retrouvez la suite aux Éditions Addictives
❤︎
🔺🔺🔺🔺🔺