Olenka l'avait appréhendée, cette rentrée. Elle n'avait pas vu grand-monde pendant les vacances, si ce n'était sa meilleure amie Zoé. Mais cette année, Zoé allait souvent être avec son amoureuse, Anna. Olenka se condamnait donc à une année de solitude. Il était hors de question qu'elle retourne dans le cercle de Lili, qui incluait malheureusement ses autres amies Farah et Anna. Tant pis. J'ai pas besoin d'être avec des gens pour avancer. Olenka s'était toujours répétée ce mantra et l'avait toujours suivi, même si elle n'était pas sûre qu'actuellement, elle était réellement en état d'avancer seule.
La première matinée avait été plutôt banale. Finalement, elle était beaucoup restée avec Zoé. Le midi, elles décidèrent de manger ensemble, et la blonde fut ravie de voir qu'elle ne passait pas « après » sa petite amie Anna. Elles se rendirent donc à la cantine en se racontant leurs vacances.
Olenka grimaça en voyant des frites dégoulinantes de graisse accompagnées d'un poulet. Suite à quelques reportages traumatisants sur ce qu'il se passait dans les abattoirs, elle était devenue végétarienne et la vue de la viande la dégoûtait. Celle des frites aussi, bien que pour une autre raison. Alors elle prit simplement une assiette d'haricots, et une pomme en dessert. Son estomac gargouillait un peu mais Olenka se devait reprendre un mode de vie sain. Cet été, le fait de rester chez elle sans faire grand-chose l'avait amené à faire quelques craquages qu'elle regrettait amèrement. Elle se trouvait faible de se réfugier dans la nourriture.
« Tu ne vas manger que ça ? s'étonna Zoé, un peu mal à l'aise.
- Ouais, répondit évasivement Olenka. J'ai pas très faim.
- Tu as contacté quelques agences de mannequinat cet été ? hésita Zoé, qui paraissait perdue comme à chaque fois qu'elle voyait Olenka restreindre un peu plus sa nourriture.
- J'ai passé quelques castings, expliqua Olenka en gardant le regard vissé sur ses haricots, la boule au ventre. Mais... Bon, ils m'ont dit que j'étais trop grosse. »
Olenka ne s'était jamais faite cette réflexion et les remarques piquantes des casteurs lui laissaient un goût amer en bouche. Elle qui s'était toujours trouvée trop maigre et longiligne se faisait désormais rejetée parce qu'elle faisait du 36. Elle ne voulut pas montrer sa peine à Zoé et afficha donc un sourire contrit. Une part d'elle avait eu cruellement besoin d'approbation cet été, et elle avait eu envie de se réfugier dans le mannequinat. Elle avait tant perdu confiance en son physique depuis sa rupture avec Matth. Et, finalement, cette expérience n'avait fait que l'achever.
« C'est une blague ! s'écria Zoé en la tirant de sa torpeur. Quelle bande de connards ! Ne me dis pas que tu vas commencer à suivre un régime pour rentrer dans ces codes de merde.
- Non, bien sûr que non. Je pense juste à ma santé. »
À l'instant même où elle prononça ces mots, elle remarqua un visage jadis familier assis quelques tables derrière la leur. Matth... Elle ne l'avait pas vu de l'été et s'était efforcée de l'éviter sur les réseaux pour mieux l'oublier. Mais le revoir lui procurait toujours ce petit pincement au cœur. Il n'avait pas changé, et il était malheureusement toujours aussi beau. Olenka sentit son cœur redoubler de battements et elle reposa ses couverts. Matth la transperçait du regard.
Comme d'habitude, sa table d'amis était pleine. Olenka remarqua qu'il était assis à côté de la même blonde avec laquelle il traînait souvent - elle s'en voulut de remarquer ce détail. Cette blonde qui lui ressemblait mais qui elle, devait sûrement passer dans un 34. Olenka serra les dents et tenta d'ignorer la vague de jalousie grandissante en elle. Elle n'allait pas se le cacher ; depuis que Matth l'avait trompée, elle avait perdu la moindre once de confiance en elle. Olenka avait désormais l'impression de se sentir en concurrence avec tout le monde et elle se détestait pour cela. Elle détestait ce qu'elle était en train de devenir. Elle jalousait les autres parce qu'elle n'était plus bien avec elle-même. Elle qui s'était tant battue pour s'accepter. La confiance en soi était définitivement la chose la plus difficile à acquérir et la plus simple à perdre.
Alors qu'elle était en pleine réflexion, un groupe de garçons s'assirent à côté Zoé et elle et cachèrent Matth de la vue d'Olenka. La blonde fronça les sourcils face à l'arrivée de la nouvelle bande.
« On peut s'assoir ? demanda un beau blond avec un sourire charmeur.
- Ouais, lâcha Zoé. »
Elle n'avait pas l'air très enchantée, n'ayant jamais été très à l'aise en compagnie d'un grand groupe de personnes. Et Olenka la rejoignait désormais sur cet aspect. Elles échangèrent un regard dépité.
« Vous êtes en quelle classe ? demanda le blond aux deux filles, visiblement très intéressé.
- TL et vous ? répondit Olenka sans conviction.
- TES. L'élite de la nation, rit-il. »
Olenka esquissa un sourire. Ce garçon et sa bande n'avaient pas l'air si agaçants, finalement.
« Élite de la nation, tu parles. Vous êtes juste des S qui se sont fait recalés, rigola Olenka.
- Au moins, on a un avenir, rétorqua t-il d'un air narquois.
- Hé ! T'inquiète pas pour les L, il y aura toujours besoin d'un bibliothécaire quelque part. »
Olenka continua d'échanger et de rire pendant un moment avec le blond. Elle découvrit finalement quelqu'un de très drôle avec beaucoup de conversation, au grand dam de Zoé qui se retrouva un peu exclue. Mais Olenka appréciait trop cette conversation pour la couper. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas rencontré de nouvelles personnes et elle étouffait.
Le blond s'appelait Nathan.
« Et toi ? demanda t-il à Olenka avec le même air intéressé.
- Olenka. »
Il hocha la tête avec un petit sourire, comme s'il en savait plus qu'il ne le devait déjà, et Olenka ressentit une sensation de malaise. Mais ce malaise se dissipa rapidement car il poursuivit leur conversation avec cette même aisance. Olenka passa donc le repas à rigoler à ses remarques et à celles de son groupe, et même Zoé finit par esquisser des sourires ici et là.
« Je dois y aller, finit par annoncer la petite brune.
- Attends-moi, j'arrive, rétorqua Olenka alors qu'elle était en plein fou rire. »
Elle fut un peu déçue de quitter cette table. Cela faisait très longtemps qu'elle n'avait pas autant ri. Elle intercepta également le regard dépité de Nathan et elle lui adressa un sourire auquel il répondit.
Alors que les deux adolescentes quittaient la table, Olenka sentit une douce sensation de bien-être s'infiltrer en elle. Elle avait adoré ce repas. Elle avait adoré sentir que des gens lui portaient de l'intérêt et qu'elle n'était pas inutile. Elle avait adoré sentir que des gens l'appréciaient et d'avoir le sentiment d'être à sa place. Et Olenka comprit que depuis ce qu'il s'était passé avec Matth, elle était revenue à ce stade où elle avait besoin de sentir l'approbation des gens.
Elle ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil presque triomphal à Matth. C'était débile, elle le savait, mais elle voulait lui montrer qu'elle n'avait pas besoin de lui pour avoir une vie cool.
« Il est sympa, Nathan, déclara Zoé d'un air narquois alors qu'elles sortaient du self.
- T'as vu, il a l'air super cool !
- Il avait l'air de bien t'aimer, au premier abord, insista Zoé avec amusement.
- Euh... »
Olenka n'était pas douée pour reconnaître ce genre de signes, mais elle avait également ressenti que Nathan la regardait avec une sorte d'intérêt. Cela lui faisait plaisir, quand même. Elle avait besoin de sentir qu'elle pouvait plaire.
« Olenka ! »
La blonde se retourna, ne sachant pas trop à quoi s'attendre. À sa grande surprise, c'était Matth qui l'appelait. Qu'est-ce qu'il me veut ? Olenka se stoppa net et Zoé resta à ses côtés d'un air méfiant. La blonde avait envie de fuir mais ne pouvait pas résister à cette unique marque d'intérêt que lui portait Matth pour une fois. Ils s'ignoraient depuis des mois et au fond, cela lui brisait le cœur.
« Quoi ? demanda t-elle d'une petite voix.
- Faut qu'on parle. Désolé, Zoé, expliqua t-il d'une voix grave. »
La petite brune leva les yeux au ciel et serra le bras d'Olenka pour lui faire comprendre qu'elle était là si besoin. Mais Olenka était tétanisée. Cela faisait vraiment longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée à une telle proximité de Matth. Elle se détestait pour cela, mais elle sentit son cœur se serrer délicieusement d'excitation.
« Pourquoi tu parles à ces mecs ? demanda t-il soudain d'un ton autoritaire en pointant du doigt Nathan et sa bande. »
Olenka haussa un sourcil étonné. Une crise de jalousie, vraiment ? De quel droit ? Si une partie d'elle éprouva du plaisir à sentir que Matth lui portait un certain intérêt, l'autre en fut énervée. Matth l'avait clairement rejetée alors qu'elle avait été prête à lui pardonner ses fautes. Il n'avait plus rien à lui dire.
« Qu'est-ce que ça peut te faire ? lança Olenka.
- Ce sont des cons. Je les connais.
- Et alors ? Moi, je les trouve super cools. Nathan est archi drôle. »
Olenka prit un malin plaisir à louanger les garçons pour titiller Matth et voir sa réaction. Elle savait combien il était jaloux et possessif. Mais il dernier garda un masque de froideur indifférent qui la blessa. Et une nouvelle fois, Olenka se sentit terriblement nulle.
Elle qui s'était tant battue pour apprendre à être fière d'elle voyait ses efforts balayés par un garçon qui ne la respectait même pas.
« T'approche pas d'eux, répliqua Matth.
- Tu crois vraiment que je vais t'écouter ? Ça fait des mois que je t'ai pas parlé, j'en ai rien à faire de ce que tu dis. Et t'es vraiment mal placé pour me faire une quelconque remarque, ajouta t-elle d'une voix presque tremblante.
- Olenka, arrête de faire la gamine. Je dis ça pour toi. Il y eut un moment de silence durant lequel les deux adolescents se toisèrent en chien de faïence. Et puis merde, fais la maligne, tu comprendras, lâcha Matth avec agacement. »
Il s'en alla, sans même lui adresser un ultime regard. Et Olenka retrouva ce vide béant en elle. Matth lui avait laissé un bleu au cœur. Il rejoignit la sublime blonde et Olenka sentit son cœur se fissurer un peu plus. Elle n'était pas sûre de pouvoir tenir encore longtemps.