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Les barrières deviennent visibles à travers la vitre et je ne tiens plus en place. Les grandes portes métalliques sont à présent ouvertes, et des dizaines d'androïdes perdus en sorte, encore légèrement effrayés et chamboulés. Le moteur à peine éteint, j'ouvre la portière et accours jusque-là. Je parcours de long en large cette enceinte pratiquement vide. Je suis immobile, au milieu de tout. Les androïdes passent à côté de moi sans me calculer tandis que mes yeux se dirigent de tous les côtés, ils bougent tellement vite que la tête commence à me tourner. Les minutes s'écoulent, paraissant des heures, et plus elles passent, plus mon état se dégrade. Le froid me pique les yeux, les humidifiant sans le vouloir, et lorsqu'une silhouette de dos me devient familière, c'est un torrent de larmes qui remplace les simples petites perles qui s'étaient formées au coin de mes yeux. Mes jambes sont à deux doigts de céder sous la faiblesse de mon état mental mais je garde la force nécessaire pour courir jusqu'à cet être qui me complète. Il est là, debout, perdu, errant dans l'enceinte du camp, ne sachant pas où aller. Il est nu, dos à moi, il s'est recouvert de sa peau, et ses cheveux noirs doux et soyeux sont de nouveau présent sur sa tête. Lorsque j'enlace son corps de mes bras, il perd légèrement l'équilibre dû à l'élan puissant que j'avais en courant vers lui, le tout mélangé à la surprise. Je ne suis plus que sourire et larme. Je pleure tellement que je couine comme un enfant. Je suis épuisé, mais tellement heureux et soulagé. J'ai cru que la personne que j'aimais le plus au monde était morte, alors qu'il est là, entre mes bras.
J'ai envie de crier ma joie au monde entier, mais je ne peux pas, ma voix est partie à des kilomètres d'ici et toutes mes faibles forces sont totalement concentrées dans le fait de me tenir debout.
Il se retourne enfin, tremblant et larmoyant. Il n'a pas besoin de me regarder pour savoir que c'est moi, c'est comme ça entre nous, comme une évidence. Il me serre dans ses bras, m'offrant ainsi l'étreinte la plus intense de toute celle que nous avons pu partager. La liberté, la délivrance. Ces sentiments tellement forts nous submergent tellement que cela rend nos pleurs bien trop bruyants et profonds.
Remarquant enfin que le corps collé au mien est vraiment glacial, je m'éloigne brusquement pour retirer mon manteau et lui poser sur les épaules, remerciant le ciel qu'il soit capable d'être fermé entièrement. Le dernier bouton fait, je réajuste le col et le regarde finalement dans les yeux. Son visage est entièrement noyé de larmes alors je dépose mes mains sur ses joues toujours aussi moelleuses pour les lui essuyer tendrement de mes pouces. Il fait de même avec mon visage et nous nous caressons tendrement pendant de longues minutes. Nos sourires doivent être les plus beaux de tous, et je donnerais tout pour immortaliser ce moment de retrouvailles parfait. Il tremble très fort, n'ayant rien sur le dos depuis des heures alors que la température est dans les négatifs. Je lui prends ainsi les mains et murmure tendrement de ma voix encore enrouée par mes précédents pleurs.
- Suis-moi, on rentre chez nous, souris-je en le tirant vers l'entrée où nous attendent nos amis
Lorsque nous arrivons à eux, ils enlacent tendrement leur ami, et l'émotion devient contagieuse.
Malgré la difficulté qu'ils ont à lui offrir une accolade, je ne lâche pas sa main pour autant. Pour rien au monde je ne le ferais.
- Allons-y, il fait froid, rappel Hoseok, les joues humides
- Bonne idée, réponds-je, sentant ma main se faire serrer un peu plus
Nous avançons tous silencieusement jusqu'à la voiture. Ce silence pourrait faire croire que nous ne sommes pas heureux de ce qu'il se passe, mais c'est faux. Nous essayons encore durement de digérer tout ce qu'il vient de nous arriver, même si je pense que personne ne s'en rend encore vraiment compte. Il va nous falloir du temps pour accepter le cauchemar que nous avons vécu cette nuit et pouvoir en parler sans difficulté.
Nous nous retrouvons tous un peu cons devant la voiture de Kihyun, nous rendant compte qu'elle n'a qu'une capacité de cinq personnes alors que nous sommes six.
- J'suis ok pour écraser mon Heonnie, dit naturellement le plus jeune, sous les râleries de celui-ci
À l'arrière, la tête posée sur l'épaule de mon colocataire, je profite de sa présence, les yeux fermés, et nos doigts enlacés.
Déposés devant notre immeuble, nous faisons signe à nos amis, après les avoirs remerciés une bonne centaine de fois, en se promettant qu'après quelques jours de repos bien mérité, on fêterait ça.
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- Viens, souris-je, en le tirant jusqu'à la salle de bain. Tu as plus que mérité une douche bien chaude. Voilà, retire ton manteau et entre, je vais te chercher des vêtements propres. Dépêches-toi, tu trembles tellement, soufflé-je en ouvrant la porte
- Attends ! dit-il, désespéré au milieu de la pièce. Reste, s'il te plaît, murmure-t-il
Son regard est encore peureux et angoissé. Après ce par quoi il est passé aujourd'hui, il est logique d'être effrayé à l'idée d'être seul. Je pense qu'il lui faudra plus de temps encore que ce que nous sommes en droit de demander. Je ne réponds que par un sourire rassurant et me déshabille à mon tour. Je me rends seulement compte à quel point mon corps pouvait être frigorifié lui aussi. Après tout je n'avais plus de manteau sur le dos depuis un moment. Mais comment penser un seul instant me plaindre de ce constat alors que Hyunwoo lui a passé des heures dehors entièrement nu. S'il avait été humain, il en serait sûrement mort.
- Ça te fait du bien ? demandé-je, observant son visage mouillé
- Je n'ai pas assez de vocabulaire pour exprimer mon état actuel, sourit-il tendrement. Je suis désolé, tu m'as dit qu'on ne devait plus faire de douches ensemble, souffle-t-il, triste de m'embêter
- Ça m'est égal, réponds-je rapidement. Cette semaine, je reste collé à toi, je verrai lundi si je serai capable de te laisser aller au travail, pouffé-je
- Merci, conclut-il. Est-ce que...
- Oui ?
- Tu penses qu'un câlin, maintenant, serait approprié ? pose-t-il
- Après la journée que l'on vient d'avoir, un câlin ne sera jamais inapproprié, dis-je, les bras ouverts, le laissant s'approcher de moi à la vitesse de l'éclair
J'enroule mes bras autour de sa nuque et son visage se colle à mon cou.
- Pardonne-moi Hyunwoo. Je n'ai pas su te protéger correctement, murmuré-je, la poitrine souffrante. Tu n'aurais jamais dû affronter tout ça, ce n'est pas ce que je voulais. Tu n'aurais jamais dû faire partie de cette catastrophe...
- Hyungwon, calme-toi, s'il te plaît, implore-t-il, en me frottant le dos. Ce n'est pas de ta faute et ce n'est pas de la mienne non plus. Nous n'avons rien pu faire, une situation extérieure nous a éloignés de force, mais notre promesse est toujours valable. Tu es venu me chercher Wonnie, et c'est tout ce qui compte à mes yeux, sourit-il sincèrement en se redressant légèrement, les mains toujours accrochées à mes hanches. On sera toujours là l'un pour l'autre, c'est comme ça que les choses sont écrites
- Je t'aime, réponds-je simplement en lui caressant la joue
- Je t'aime aussi, conclut-il en fermant les yeux
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- Hyungwonnie ! Il faut qu'on soigne ta blessure, dit-il, une fois essuyé et habillé
- Ma blessure ? Ah ! Oui, faisons ça, réponds-je, l'esprit ailleurs
- Tu as l'air de l'avoir oubliée pourtant elle a l'air profonde, remarque-t-il
- Avec tout ce qu'il s'est passé aujourd'hui, crois-moi, je n'ai pas eu le temps de penser à-Aïe ! Ça fait un mal de chien !
- Désolé, mais je suis obligé, dit-il en tapotant sur la plaie un coton imbibé d'alcool désinfectant
- Tu es sadique, c'est tout ! boudé-je
Il souffle alors sur la plaie et pose ses lèvres à quelques millimètres de celle-ci, un sourire satisfait sur le visage lorsqu'il se redresse.
- Voilà, comme ça tu n'auras plus mal, m'informe-t-il, de ses yeux rieurs
- Tu as appris cette technique comment ?
- Les enfants sont une grande source d'apprentissage, dit-il simplement
- Je vois, soufflé-je, la mine toujours boudeuse. Ça doit être ta petite préférée. Oppa, oppa ! imité-je, d'une voix aiguë ridicule
- Tu n'as pas l'air de l'apprécier, pouffe-t-il
- Elle m'est indifférente
- Tu mens, conclut-il
- Comment peux-tu le savoir ?
- Parce que je te connais, dit-il, amusé. En plus, je l'ai déjà remarqué quand tu es venu me conduire. Hoseok m'a dit que c'était parce que tu étais jaloux, sourit-il
- Quel idiot celui-là, soupiré-je en m'installant dans le canapé. Tu n'as plus froid ? Tiens, met quand même ce gilet
- D'accord, dit-il, en l'enfilant. Dit Wonnie, commence-t-il après s'être confortablement installé sous le plaid à mes côtés. Est-ce qu'on peut mettre les infos ? ose-t-il, gêné. Je sais que tu n'en as pas envie, et je peux comprendre si tu voulais aller ailleurs en attendant, mais, c'est mon peuple, je suis concerné, murmure-t-il. J'aimerais savoir pourquoi on m'a libéré...
Après quelques longues secondes à me dire que j'allais devoir me confronter avec des évènements douloureux et encore beaucoup trop frais, je lui réponds enfin.
- Je me doutais bien que tu me demanderais ça, c'est une demande tout à fait légitime, tenté-je de sourire. Allumons la télé et zappons jusqu'à ce que le journal commence, conclus-je en me réinstallant contre lui, nos mains enlacées
- Merci, souffle-t-il simplement
Le journal télévisé avait déjà été diffusé mais un documentaire spécial était programmé en soirée. L'heure avait été annoncée et plus les minutes passaient et plus la boule bloquée dans mon estomac me travaillait. Je n'ai rien avalé de la journée et l'envie n'est toujours pas présente. Cette histoire me chamboule beaucoup trop, je ne pourrai rien ingurgiter avant un moment.
Je suis tellement épuisé. Je pourrais m'endormir à n'importe quel moment, et c'est ce que j'aimerais faire d'ailleurs, mais je lutte avec moi-même pour rester avec lui. Il le faut, et même si je ne sais pas si je me sens réellement capable de regarder ces horribles images de souvenirs récents, je me dois de le faire, pour lui. Il a vécu tellement pire. Je ferais n'importe quoi pour lui enlever sa peine, pour lui offrir du bonheur. Quitte à me faire du mal. Ça ne m'importe que très peu. Quoi que je subisse de toute manière, ça ne sera jamais pire que ce que j'ai pu vivre avant de le connaître.
C'est peut-être ça l'histoire la plus traumatisante de ma vie. Pas cette nuit, non, mais plutôt les huit derniers mois de mon quotidien solitaire.
Je pourrais subir mile tortures si c'est pour faire de nouveau sourire l'homme que j'aime. Parce qu'au final, c'est lui qui m'offre le mien, de sourire.
- Ça commence, murmure-t-il, comme pour lui-même
Je me redresse un peu, le cœur lourd et me prépare pour ce que je m'apprête à voir.
Tout est conté depuis le début.
Les meurtres, les déviants, la cause inexpliquée, la fuite des androïdes, le rassemblement illégal, le groupe de rébellion, « Jericho », les manifestations.
On a été ignorant de tellement de choses. Nous sommes tous les deux choqués par ce que nous apprenons et qui se passait depuis des mois sous nos yeux.
Après une énième pub, la suite arrive.
Nos mains liées exercent toutes deux une pression plus forte, pour nous donner de la force d'affronter ce qui va suivre et pour se prouver que chacun est là pour l'autre.
L'heure de parler des choses plus lourdes est là.
L'explosion du ferry, les raids en ville, les camps, la dernière manifestation.
On voit l'intérieur des camps filmé par les hélicoptères journalistiques.
On voit Minhyuk et son peuple manifesté en vain.
On nous voit arriver, mes amis et moi.
On me voit parler à tout le monde.
Je ne pensais pas qu'on verrait aussi bien mes actions et je suis vraiment content de voir le résultat. Je voulais choquer le monde, pour bien leur faire comprendre qu'il fallait que les mentalités changent si on voulait éviter une nouvelle guerre qui n'avait aucun réel intérêt.
C'est chose faite maintenant et je suis malgré tout assez fier de moi parce que même si je pensais avoir tout perdu, j'ai gardé la force pour aider d'autre personne. Hyunwoo m'a réellement changé. Je n'aurais jamais pensé qu'un jour je sois capable d'une telle chose. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'étais égoïste mais je ne trouvais pas l'intérêt d'aider des gens que je n'aimais pas ou ne connaissais pas. A contrario, et c'est toujours d'actualité, j'irais jusqu'au bout du monde pour ceux que j'aime. Je ferais n'importe quoi pour eux, parce que ce sont les choses les plus précieuses de ma vie.
Il y a un message de la présidente à la fin du reportage. Je suis curieux de connaître le résultat final de ce pour quoi on s'est battus si durement et qui a valu autant de morts.
- Aujourd'hui, le 14 octobre 2038, une manifestation androïde a eu lieu dans le centre de Séoul. Étant donné le risque que commençait à représenter cette action pour la population civile, j'ai ordonné à l'armée de battre en retraite. Dans les heures qui viennent, je m'adresserai au sénat afin de définir notre plan d'action face à cette situation sans précédent. Je suis consciente du fait que l'opinion publique a été touchée par la cause des déviants. L'heure est peut-être venue pour nous d'envisager la possibilité que les androïdes soient une nouvelle forme de vie intelligente. Une chose est sûre, ce qu'il s'est passé à Séoul a changé le monde à jamais
- Wow, soufflé-je, abasourdi. Je crois qu'on a réussi finalement
- Tu veux dire que tu as réussi... répond-il, me regardant les yeux humides
- Je n'ai rien fait seul, j'ai seulement aidé, dis-je. J'avais tout perdu, je pensais que tu... Je n'avais plus rien à perdre, complété-je simplement. Et je refusais de reste là à rien faire, encore une fois. Je voulais à tout prix leurs libertés. Je te le devais. Je n'avais pas su tenir ma promesse, alors je devais faire autre chose, pour que ton existence ait réellement un sens. Pour que tu ne sois pas mort pour rien, soufflé-je, le regard baissé
- J'avais tellement peur, confie-t-il à son tour. Je ne voulais pas mourir, parce que cela voulait dire que je te laissais seul, dit-il, douloureusement. Tu es la chose la plus précieuse de ma vie. Tu m'as fait exister, moi qui n'étais rien. Tu es bien plus exceptionnelle que ce que j'ai pu croire. Non seulement tu as fait de moi un homme libre, mais tu l'as fait aussi pour des milliers d'autres personnes. Tu as aidé à sauver tout un peuple, conclut-il, ébahi et ému. Je t'aime tellement
- Je pourrais faire tant de choses impossibles pour toi Chae Hyunwoo, conclus-je, touché par ce qu'il venait de dire
Il ne répond rien et se contente de me fixer.
Ça dure très longtemps, et même si au début ça paraît bizarre, au fur et à mesure que je fixe ce visage empreint de tant de pureté et de perfection, toutes mes pensées disparaissent. Sa beauté remplace tout. Mes sentiments, mes émotions, mes réflexions. Je ne suis plus qu'admiration, on dirait un artiste devant une œuvre.
Son visage angélique s'approche du mien, bouffi, fatigué et certainement rosi par ce changement soudain de situation.
Il s'avance, encore et encore, comblant l'espace entre nous avec une lenteur monstre, jusqu'à ce que ces deux petites lignes pulpeuses et somptueuses se collent aux miennes. Nous partageons ce qui s'apparente au baiser le plus doux, timide, amoureux et chaleureux de tous les baisers du monde.
Mes yeux se ferment, ses lèvres bougent légèrement et il s'écarte au bout d'une poignée de secondes. Mon estomac gargouille, un gargouillis chamboulant, un gargouillis agréable.
Sans plus de réflexion, je pose la tête sur son épaule et m'endors, les bras entourant le sien.
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