Apparences

By Maupoessant

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Nous pouvons parfois être surpris lorsque l'on rencontre notre idole et nous rendre compte que nous n'avons p... More

Apparences

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By Maupoessant

J'étais installé sur mon canapé. A flâner comme à mon habitude, avec un manuscrit de je ne sais quel auteur en herbes qui souhaite, comme tous les auteurs en herbes, se faire éditer. La syntaxe était parfaite. Le vocabulaire : splendide. L'histoire était fantastique. En revanche, le frisson, lui, était absent. Ce texte était beau, mais son auteur était, bien que techniquement assuré, dénué de tout talent inné.

Je travaillais entant que reporter pour le journal littéraire Le Conan Dahl, je cherchai, depuis un moment déjà, un génie de la littérature à interviewer. J'avais en tête les talents... Que dis-je ?! Les légendes, de la littérature, notamment Amélie Nothomb, Guillaume Musso, Higgins Clark mais aussi Schmitt ou encore Philippe Grimbert ; Claudel aussi occupait mes esprits; mais jamais, au grand jamais, l'idée que je puisse rencontrer un jour Charles L. Roger, ne m'a traversée l'esprit. Pourtant, quelques minutes après avoir fini le manuscrit beau mais fade d'un jeune technicien qui se croyait créateur, mon téléphone sonna. La nouvelle que j'allais apprendre me bouleversa.

"Lucien Stuart ?!

- Monsieur Stuart, je me nomme Jules. Mon employeur m'a chargé de vous demander s'il serait possible de bien vouloir lui accorder une entrevue.

- Bonjour Jules. Puis-je au moins connaitre le nom de votre employeur?

- Certainement. Il y pose cependant une condition.

- Et laquelle je vous prie ?

- Il souhaite que vous gardiez le silence à propos de votre entrevue jusqu'à la publication de votre article.

- S'il le souhaite, pourquoi pas, mais je doute, même une fois que je saurai qui est votre employeur, que je vais accepter de le rencontrer. Les jeunes auteurs qui se font passer pour des divas...  Je ne les apprécie que peu.

- En vérité, Monsieur Stuart, mon employeur n'est pas un jeune auteur. Il a la jeunesse de l'imagination mais il approche des soixante ans. Avant que vous ne me posiez la question, il s'agit d'un auteur reconnu.

- Mais quel est son nom ?

- Avez-vous lu les romans d'Amélie Nothomb ?

- Je ne voyais pas Amélie Nothomb agir de la sorte, mais oui, je les ai lu.

- Bien. Charles L. Roger est un fan invétéré de cette auteure.

- Voulez-vous dire...

- Effectivement. Mon employeur souhaite vous rencontrer. Il a décidé de rendre certaines décisions, ainsi que certains faits de sa vie, publiques.

- Dans ce cas, je serai présent où il veut et quand il veut.

- Seriez - vous disponible demain vers quinze heures au café Gresk'espérance.

- Certainement.

- Dans ce cas, c'est arrangé, je vous dis à demain alors."

Un autre homme, me paraissant plus âgé que Jules, avait pris le téléphone pour déclarer cette dernière phrase. Je venais d'entendre la voix du grand génie de la littérature. Je venais de parler à l'écrivain le plus respecté d'Europe, si ce n'est du monde entier. J'eus besoin de quelques heures pour réaliser. Arrivé au soir, je n'avais toujours parlé à personne de ma future entrevue. Seul mon chien était mon confident à ce sujet. La nuit venue, je ne pus dormir, comme souvent. Mais généralement, un livre suffit à m'occuper, pour une fois, aucun mot ne pouvait entrer dans ma tête. Mon imagination ne pouvait mettre en images les lettres tracées sur les livres de ma bibliothèque, pas même les lettres de Charles L. Roger.

Le lendemain, à quinze heures, j'étais assis à une table, petite et ronde, en terrasse du café Gresk'espérance. J'attendais. Impatient. Je commençai à croire à une mise en scène, à une farce. A quinze heures cinq, un vieil homme, habillé en costume trois pièces, couvert de tête par un chapeau haut de forme, chaussé de mocassins, accompagné d'une montre à gousset en sa poche et, pour finir, s'aidant d'une canne pour marcher, sortit de l'intérieur du café et vint me trouver.

"Monsieur Stuart ?! Je présume.

- Etes- vous...

- Je le crains, en effet.

- Mais ce n'est pas une chose à craindre.

- Nous verrons cela. Désirez - vous quelque chose à boire ?

- Oh ! Et bien, un café s'il vous plaît.

- Brandon, pourrais - tu nous apporter deux cafés s'il te plaît ?

- Tout de suite Charly."

Tout d'abord touché par l'attitude chaleureuse de l'auteur, je le regardai avec admiration. Ensuite effrayée par la distance courte qu'il existait entre lui et le serveur, je le regardai avec anxiété. M'en voulais - t'il de ne pas avoir demander son nom au serveur ? Était -t'il une de ces personnes qui juge les autres si ces derniers ne conversent pas avec les employés ? Pour ne pas me trahir, j'engageai la conversation.

" Et donc, monsieur Roger, pourquoi aujourd'hui.

- Je vous en prie, appelez - moi Charles.

- Bien. Comme vous voudrez.

- Et bien, cher ami, je me suis empressé, hier, de vous joindre, car j'ai trouvé ce que je cherchais depuis longtemps.

- Et quelle est cette chose ?

Il ne s'agit non pas d'une chose, mais bien d'une personne. Une personne que j'ai formé au cours de ces deux dernières années. Une personne qui aujourd'hui est prête pour reprendre mon œuvre et la poursuivre.

- Vous voulez dire que vous êtes devenu mentor ?

- Tout à fait. Il y a deux ans de cela... Oh merci pour les cafés Brandon. Oui, donc, il y a deux ans de cela, je lisais une nouvelle d'un lycéen, étant le président d'honneur du jury du prix Maupassant, il m'arrive souvent d'en découvrir, mais ce que j'ai lu ce jour - là ! Ce que j'ai lu me donna des frissons dans tout le corps. Je ne pouvais détacher mes yeux une seule seconde du papier, j'étais attiré par l'univers imaginaire qu'avait créé cet élève de Terminale. J'ai donc décidé de trouver ce jeune homme, de lui avouer qui j'étais et de lui demander si cela l'intéresserait de reprendre ma suite.

- Votre suite ? Vous ne voulez plus écrire ?

- Vous comprendrez pourquoi je cherchais un filleul littéraire, par la suite.

- Oui, excusez-moi, je vous prie.

- Vous êtes tout excusé. Comme je le disais ce jeune homme était plus que doué, c'était un génie, je le recherchai donc, et je réussis à le retrouver. Je lui expliquai longuement la situation, du jour au lendemain, il a tout laissé tomber (sa famille, son baccalauréat, ses potentielles études, ses passions et même son chien !) pour venir vivre chez moi afin de bénéficier de mon expérience.

- Il n'a plus revu sa famille ?

- Certainement pas. Un bon écrivain est un écrivain accompli, mais un talent de lettres, est un homme tourmenté. Même si je le soupçonne d'entretenir une relation épistolaire avec sa mère, le fait qu'il soit privé de tout contact avec elle et avec les autres membres de sa famille, le rend plus prompt à développer ses capacités.

- C'est affreux.

- Effectivement. Mais sa formation est maintenant achevée, il est libre comme l'air, aujourd'hui même il est allé retrouvé sa mère, ses sœurs et son chien. Vous êtes le premier à savoir que je n'écrirai plus une ligne à partir d'aujourd'hui et qu'un jeune reprend le flambeau.

- Pourquoi ne pas continuer à écrire ?

- Transmettre est le but de la vie, à mon sens. Une cellule transmet ses caractéristiques à une autre, puis elle meurt. La Vie est ainsi préservée. J'aime à penser que mon œuvre est une vie. Je transmets donc mon savoir et mon expérience d'auteur afin que mon œuvre continue à vivre bien que je doives mourir.

- Entant qu'auteur ?

- J'y viens. Si je me suis mis à rechercher le génie, il y a deux ans, c'est que j'ai appris que mon cancer évoluait et que quelques années me restaient seulement.

- Pardon ?!"

En entendant ses mots, je crachai le peu de café que j'avais dans ma bouche. Je fus plus qu'attristé par cette nouvelle. Pour moi, un monument tombait, un château s'effondrait, une légende s'effaçait.

"Je suis désolé de vous le dire mais je suis un homme comme tant d'autres. Un cancéreux comme beaucoup d'autres souffrants.

- Vous laissez tout de même derrière vous, à la différence de tout mourant, une œuvre de plus de soixante - deux romans et de plus de mille et une nouvelles ! Ce n'est pas rien.

- Mon œuvre me survivra, avec l'aide de mon disciple.

- A propos, qui est-il, votre disciple ?

- Savez - vous qui tient ce café ?

- Ma foi, je n'en ai pas la moindre idée.

- C'est une dame d'une cinquantaine d'années qui se nomme Hélène, elle a perdu son mari il y a peu, elle a donc ouvert ce café avec ses deux filles en hommage à feu son mari qui approuvait ces endroits conviviaux et chaleureux. Hélène a aussi perdu son fils il y a deux ans, il est parti suivre une formation littéraire, il est revenu la voir aujourd'hui même. Les retrouvailles ont été mouvementées mais productives, son fils l'aide donc au café pour se faire pardonner.

- Voulez - vous dire...

- Je vous prie, Monsieur, cessez de m'interrompre avec vos questions ésotériques. C'est mon domaine : ça. Vous souvenez-vous  de Brandon, le garçon de café qui nous a servi ?

- Assurément !

- C'est l'auteur de cent - unes nouvelles qui sont entrain de se faire éditer en ce moment même sous le nom de Brandon L. Roger. Il sera reconnu dans le monde entier comme mon seul et unique successeur et sera l'heureux propriétaire de tous mes droits littéraires.

- J'ai honte...

- Avez-vous honte de vous parce que vous n'avez pas répondu à un bon garçon qui vous demander si vous désiriez quelque rafraichissement ? Ou avez-vous honte de vous parce que je viens de vous annoncer que le garçon à qui vous avez manqué de respect est le nouvelliste et sans doute le futur romancier, le plus talentueux au monde ? Ne répondez pas. L'article sur cette passation de titre résulte tout de même de votre exclusivité.

- Je vous remercie pour cette tolérance.

- Vous ne me devez rien. Brandon vous a choisi, parce qu'il a su détecté dans vos articles, votre passion pour la littérature. Ce qui est marrant, c'est qu'il a aussi parié que vous ne vous souciez guère des petits gens, ainsi nous avons fait le test, il se trouve qu'il avait raison, mais ça ne le gène absolument pas. En tous les cas, cher ami, je vous dit au revoir.

- S'il vous plaît ! Juste une dernière question.

- Est-ce celle à laquelle je m'attends ?

- Possible. Mais il faudra bien y répondre un jour ou l'autre.

- Pourquoi cela ?

- Pour vous libérer, simplement.

- Posez votre question, nous verrons si j'y réponds.

- Une rumeur dit que vous étiez jeune, talentueux mais que vous ne publiez pas encore sous votre pseudo. Mais qu'un jour, votre fiancée mourra, vous seriez donc devenu Charles L. Roger, l'auteur malheureux aux nouvelles glaciales et aux romans frissonnants. Je ne parle même pas de la poésie.

- La rumeur, comme vous dites, a en partie raison.

- Qu'y a t'il de faux ?

- Jamais je n'ai écris sous le pseudo de Charles L. Roger.

- Pardon ?

- Je vous ai menti. Je ne suis pas le talentueux écrivain que j'ai dis être.

- Une supercherie !

- Certainement pas. Je connais Charles L. Roger. C'est l'homme qui vous a parlé au téléphone en premier lieu. Son véritable nom est Jules, je ne suis qu'un ami, il m'a envoyé à sa place car il a trop de modestie pour se prétendre auteur devant une personne. Il n'empêche que tout ce que j'ai dit sur lui est vrai. Quant à la rumeur que vous évoquiez, elle est véritable. La leucémie a gagné, il y a trente ans, la fiancée de Jules, elle s'est éteinte en douleurs. Aujourd'hui le cancer l'a gagné, il s'éteint en accueillant la mort avec joie.

- Pourquoi me dire tout ça ? Je ne comprends pas. Vous avez tenu le secret durant deux années avec un môme sur les bras et là, vous avouez tout sur le légendaire Charles L. Roger. Etrange.

- Ce monde est empli d'étrangeté. En revanche, l'aveu que je viens de vous faire est rationnel. Mon rôle lors de la farce que je viens de vous jouer était non seulement de vous faire croire que j'étais lui mais aussi d'admettre que je n'étais pas lui.

- Je ne comprends pas.

- Même avec tout cela vous n'avez pas compris ! Le jeu de Brandon était de vous servir entant que garçon de café, comme il le fait tous les jours, car en réalité, il n'a jamais pu quitter sa famille et son père est bien vivant, il a connu quelques malheurs mais pas de deuils récents, pourtant il est plus que doué. Mon rôle était de vous instruire et de renforcer ses préjugés sur le talent et ensuite de vous dévoiler la vérité. Certains génies puisent leur inspiration dans leur vie de misère, d'autres dans leur conviction, d'autres dans le bonheur qu'ils partagent. Brandon est de ceux-là. Cette entrevue était destinée à vous faire comprendre que les apparences ne sont jamais vraies, même si elles sont souvent fondées. Charles L. Blais, Brandon et moi-même, voulions vous démontrer que vous ne saviez pas tout sur les auteurs et que vous pourriez être surpris d'un jeune écrivain en herbes qui imagine ses histoires entre deux services. Ainsi vos yeux sont ouverts. Vous serez maintenant le journaliste littéraire le plus renseigné, de plus, avec votre scoop imminent, votre réputation est faite. Tachez d'en être à la hauteur. Nous n'avons pas créé aujourd'hui, un simple journaliste de haut niveau, nous avons créé un gardien et un défenseur des auteurs. Un homme qui cherchera la vérité dans la vie et dans les œuvres des écrivains et qui saura reconnaître un poète.



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