Nous nous retournions tous, sur nos défenses, vers celui qui était soudainement apparu. C'était un homme dans la quarantaine avec quelques mèches grisonnantes. Il était penché sur les racines d'un arbre, entrain de les examiner avec sa loupe, comme si il cherchait quelque chose en particulier. Ses cheveux étaient entre le blond et le brun, un peu comme Fred impossible à déterminer. Il avait lui aussi des yeux noirs refermant les secrets de l'univers. Un frisson me parcourut rien qu'en voyant son allure filiforme. C'était un des druides primordiaux. Il posa ses yeux contenant le cosmos sur moi. Un sourire s'épanouit sur ses fines lèvres un peu gercées. Son nez en trompette et sa mâchoire triangulaire lui donnaient une tête de fouine.
« Ravi de te rencontrer ma petite demoiselle. J'avais cru sentir mon frère t'accompagner, mais il semblerait qu'il soit reparti. Dommage, j'avais quelques découvertes à lui faire part. Après toutes ces années, j'ai enfin trouvé quelque chose de très intéressant. Seulement les deux autres ne sont pas là pour en prendre connaissance. Ils en auraient bien besoin, ce que je trouve peut toujours être une découverte très intéressante. Tant pis pour eux, et puis je suis sûre que ma petite demoiselle serait ravie d'entendre les nouvelles. Elle est d'une meilleure oreille que ces deux bougres de vieilles biquettes. Monologua-t-il, sans même nous laisser le temps de réponde. »
Il me fit un grand sourire, tout en repartant observer les plantes dans sa loupe. Il avait vraiment un comportement unique, un peu comme Fred. Enfin, ça n'avait rien de bien étonnant vu qu'ils étaient frères. D'ailleurs, je ne savais pas trop quoi faire avec lui. J'avais ma petite identité de qui il était parmi les deux derniers druides, mais il semblait vouloir parler tort seul, à moins que ce ne soit une habitude qu'il avait développé, avec le temps et la solitude. Moi, je le faisais déjà sans même m'en rendre compte.
« Je suis ravie aussi de vous rencontrer, Fochmarc. Qu'elle est donc cette découverte intéressante ? M'enquis-je, tout d'abord avant de faire venir le sujet qui m'intéresserait.
– Oh, voyons ! Ma petite demoiselle ! Ne m'appelait pas par ce vieux nom tout rabougri. Mon frère a bien un nom tendance ou classique, pas aussi antique que ça ! Appelle-moi, Marc ! C'est plus court et bien plus frais de nos jours. S'exclama-t-il, joyeusement.
– Très bien, Marc. Et donc cette découverte intéressante ? Est-ce en rapport avec le Sidh ? Insistai-je, en le fixant. »
Il redressa la tête vers moi, une lueur d'incompréhension dans les yeux. Il semblait un peu confus, cherchant dans sa mémoire sûrement des informations. Ses yeux cosmiques s'illuminèrent et un petit rire enfantin sortit de sa bouche. Il vint vers moi, posant sa grande main sur ma tête et m'ébouriffa les cheveux comme si je n'étais qu'une petite fille. Ce que j'étais sûrement pour quelqu'un comme lui. Il me tapota ensuite gentiment la tête, avant de secouer la sienne. Comme si je ne comprenais pas où il voulait en venir.
« Marc ? L'appelai-je, en ne comprenant vraiment pas ce qu'il lui prenait.
– Tu veux avoir toutes les réponses tout de suite. Tu ne prends pas le temps de les chercher. Me fit-il remarquer, comme si c'était un point négatif.
– J'ai cherché, mais..
– Tu n'as pas cherché comme il le faut. Me coupa-t-il, en secouant la tête. »
Je fixais Marc comme si une seconde tête lui avait poussé. J'avais cherché du mieux que je pouvais, essayant de comprendre où ça m'amènerait. Je ne voyais donc pas où il voulait en venir. Je me mordis la lèvre inférieure, en réfléchissant à ce que j'avais pu rater. J'avais beau me remémorer tout les événements, à chercher le plus petit indice, mais j'étais dans le noir complet.
« Même en réfléchissant de toutes tes forces, si tu n'as pas eu la curiosité d'allumer la lumière dans les coins sombres, tu ne trouveras rien. D'autant plus que la recherche demande beaucoup de patience et de temps. Ce que tu n'as visiblement pas en ce moment, n'est-ce pas ? Sourit-il, en relevant la tête.
– Je ne comprends pas. Confiai-je, au druide. »
Ce dernier lâcha un soupir, alors que je m'approchais de lui. Je voulais savoir où il voulait en venir. J'avais beau savoir que le temps nous était compté, je désirais quand même entendre ce qu'il avait à me dire. J'avais la sensation que ce serait primordial dans mon combat contre Gabriel. D'autant plus que Fred m'avait bien aidé, donc Marc pouvait en faire autant s'il le décidait. Ce qui m'intriguait en revanche, c'était de savoir comment j'allais pouvoir lui soutirer les informations importantes. Il semblait être du style long en bavardage, ce qui risquait fortement d'épuiser ma patience.
« Pourquoi dites-vous que le Sidh n'est pas fermé ? Questionna-je, en fronçant les sourcils.
– Voyons ma petite, c'est très simple ! Il suffit de regarder autour de vous ! La vie des mortels est courte. Ils continuent de mourir, et leur âme ne traîne pas par ici pour autant. S'exclama-t-il, comme un professeur qui était mécontent de son élève.
– Une âme ne peut rester sur Terre très longtemps. Elle finit par simplement disparaître. Le contrai-je.
– Exact, mais qu'est-ce qu'une âme ? Et lorsqu'une âme disparaît sans avoir été envoyée auSidh, que penses-tu qu'il se passe ? Répliqua-t-il, en me fixant de ses prunelles étoilés. »
Je plongeais mon regard dans le sien, en réfléchissant à ses questions. Mes connaissances en la matière étaient loin de valoir celles d'un des druides primordiaux, mais j'en avais quand même. D'autant plus que certaines choses étaient ancrées dans mon côté banshee.
« Et bien, à proprement parler, les âmes sont des sources d'énergie, un peu comme un noyau nucléaire avec de l'éther, si on les compare à une source matérielle et connue des mortels, elles sont semblable au soleil. À la fin de sa vie, un soleil explose donc on peut dire que c'est ce qui arrive aux âmes. Elles explosent à la fin. Répondis-je, en essayant de lui montrer que je n'étais pas trop larguée sur le sujet.
– Ce phénomène s'appelle une Supernova. Capable de détruire la Terre en un rien de temps. Donc imagine les âmes que tu as comparé au soleil. Elles-aussi deviennent des Supernovas à la fin, si elles ne sont pas envoyées au Sidh, penses-tu encore qu'il ne se passerait rien de grave ? M'éclaira-t-il, sans pour autant me donner la réponse prémâchée. »
Il voulait que je réfléchisse par moi-même pour trouver la réponse. Je baissais les yeux sur le sol afin de pouvoir me concentrer sur les données que j'avais reçu. Marc m'avait mis sur la piste, et il ne me restait plus qu'à chercher et à mettre en ordre les informations.
Les âmes étaient considérées comme des soleils, mais avec un noyau d'éther, qui deviennent des supernovas à la fin. Ce qui signifiait la destruction de plusieurs galaxies. Un frisson me parcourut rien qu'en l'imaginant, mais la frontière du plan astral, ou étherique, et celle du plan matériel était assez robuste pour que l'explosion d'une âme n'engendre pas de problème. Seulement, ce n'était bon que pour une âme, la frontière se mettait à trembler quand deux à trois âmes explosent simultanément. Quand il y en avait plus, la frontière devenait si faible que les mortels pouvaient voir les âmes, ce qui donnait lieu à des apparitions fantomatiques.
Le Sidh permettait à ce qu'une situation pareille ne se produise pas. Si le Sidh avait, effectivement, fermé ses portes, les âmes n'avaient plus aucun endroit pour éviter de se changer en supernova. Ce qui voulait dire que la frontière aurait été détruite. Le Sidh était censé être fermé depuis des siècles. En somme, ça équivalait à des milliards d'âmes. Le plan des mortels aurait connu des événements importants de fantômes et de phénomènes paranormaux. Autrement dit...
« Poltergeist. Marmonnai-je, en relevant les yeux vers Marc.
– Exactement. Les phénomènes Poltergeists seraient très courant, voir quotidien. Hors il n'y en a eu que très peu. Rajouta-t-il, en souriant.
– Si les portes sont ouvertes, pourquoi Gabriel a besoin de moi ? M'enquis-je, perplexe.
– Tu n'en as pas une petite idée, Bansidh ? Répliqua-t-il, en se détournant de moi.
– Les portes sont ouvertes, mais il faut un laisser-passer qui est une banshee pour accéder au Sidh. Devinai-je, alors qu'il hochait la tête. »
Cependant, Fred m'avait dit que cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu une banshee, alors comment faisait les âmes pour passer sans banshee ? J'étais visiblement la dernière ici, et je n'étais même pas une vraie. Marc ne semblait pas vouloir m'offrir plus d'indice. Il fallait donc que je trouve moi-même, encore. Alors, les portes étaient fermées mais les âmes pouvaient y accéder grâce à une banshee. Seulement, j'étais la dernière, et ça n'était que récemment que j'avais su ce que j'étais. Cela voulait dire que les âmes n'avaient pas forcément besoin d'une banshee pour accéder au Sidh. Dans ce cas, Gabriel n'aurait pas fait tout ça. À moins que le Sidh ne soit comme ces lieux où la première entrée était gratuite mais payante les fois suivantes. Ce qui expliquerait le besoin d'une banshee. Par contre, les banshees n'étaient pas que des laissez-passer, elles étaient les messagères du Sidh, mais aussi elles servaient de guide pour les âmes. Alors comment faisaient-elles pour trouver le chemin sans banshee ? Ce n'était pas comme s'il y avait des pancartes, et elles n'étaient pas des bébés tortues de mer.
Je lançais un regard vers Marc. J'étais sûre qu'il avait les réponses à ce mystère. Il cherchait à pousser ma patience à ses limites. Je ne pouvais pas le permettre. Surtout que le combat et le sauvetage n'étaient pas fini.
« Leannan, on ne peut pas perdre plus de temps. Luke nous attend. Intervint Cameron, qui juste là était resté muet.
– Encore un peu et j'aurais toutes les réponses. Lui certifiai-je, sans même le regarder.
– Haylie, la vie d'un enfant est en jeu. Ce n'est pas en jouant à Question pour un Champion qu'on va le sauver. Répliqua son cadet, en levant les yeux au ciel.
– Peter a vraiment trop d'influence sur toi, et je touche presque au but. Objectai-je, en réfléchissant toujours. »
Je savais que je devrais sans doute penser d'abord à Luke, mais ceci était tout aussi important. Après tout, ça signifiait arrêter notre ennemi. De plus, il avait absorbé des âmes, on pouvait trouver un moyen d'amenuiser sa puissance. Son corps ou sa propre âme servait de catalyseur aux autres, ou bien c'était l'inverse. Je n'étais pas très sûre, mais son existence était en équilibre précaire, et il suffisait d'un rien pour que tout se brise.
« Il a besoin d'une banshee pour trouver le Sidh. Les âmes peuvent y avoir accès sans en avoir une comme guide depuis plusieurs siècles...
– Tu es sur la bonne voie. M'encouragea Marc.
– Oui, mais je ne vois toujours pas la réponse. Je dois conclure sur un échec. Soufflai-je, agacée. »
Le druide se mit à rire, avant de poser sa main sur mon épaule. Ses yeux cosmiques me regardaient avec tendresse, alors que je me sentais comme une enfant face à son grand-père, qui venait de lui poser un problème difficile.
« Ma petite demoiselle, l'échec fait partie de la vie. On ne peut pas avoir toutes les réponses, sinon la recherche perdrait tout son sens. Me dit-il, avec un sourire.
– Et si c'était comme le lien chez les loups ? Proposa Cameron, comme quoi je n'étais pas la seule à réfléchir.
– Qu'est-ce que tu veux dire ? M'enquis-je, en me tournant vers lui.
– Ce n'est peut-être pas pareil, mais c'est peut-être basé sur le même principe. Exposa-t-il.
– Il y a beaucoup de peut-être. Fis-je remarquer.
– Parce que ce ne sont que des suppositions. Répliqua-t-il, en posant ses yeux sur moi.
– Poursuis ta théorie, jeune homme. L'intima Marc.
– Les loups ont un phénomène qui se nomme "l'Appel". C'est quelque chose qui n'arrive qu'une seule et unique fois dans la vie. Et ça n'arrive qu'à un moment précis. Enchaîna Cameron, sans me lâcher du regard.
– Quand ça ? Questionnai-je.
– À la rencontre de notre âme-sœur. Ça résonne en nous, et ça nous pousse à rechercher la compagnie de l'autre. C'est comme un chant envoûtant qu'on ne peut qu'écouter jusqu'à ce qu'on finisse par se lier. Dévoila mon loup. »
On se fixait l'un et l'autre. Cameron avait ressenti l'Appel avec moi, ce qui expliquait la partie de chasse et ses manœuvres maladroites pour être avec moi. On ne s'était vraiment lié que récemment donc ça rajoutait aussi du poids au fait qu'il ne voulait pas que je m'éloigne trop longtemps de lui. Je me demandais bien comment il avait vécu ça. Je devrais peut-être demander à Peter si il avait ressenti cet Appel avec Cailean, étant donné que je n'étais pas une louve, je ne l'avais pas vécu.
« En effet, c'est ce qui se passe. Ou c'est quelque chose de similaire, mais dans le cas d'une âme, le chant ne dure que 40 jours, et c'est à elle de décider si elle veut rejoindre le Sidh ou non durant ce délai. Si il est dépassé, seule une banshee peut ouvrir la voie aux âmes. Développa le druide, en hochant la tête satisfait.
– Mais ça veut dire qu'il suffit de suivre une autre âme pour trouver le Sidh même le délai dépasser. On peut frauder de cette manière, non ? Interrogea Cailean perplexe quand même.
– Non, le Sidh repousse tout ceux qui n'entendent plus le chant et qui n'ont pas la bénédiction d'une banshee. Répondit Marc. »
Ce qui était compréhensible. Toutes les pièces étaient plus ou moins en place. Gabriel voulait retourner au Sidh mais il ne pouvait plus depuis que les portes étaient passées de ouvert à tout public à ouvert au public restreint. Il ne faisait pas parti des membres V.I.P du club, et il cherchait à avoir un passe pour ça. J'avais vraiment l'impression qu'on parlait d'une boîte de nuit très sélecte ou encore d'un concert privé. C'était troublant de savoir que j'étais le ticket d'entrée.
« Merci, Marc, mais il est temps pour nous d'avancer et de retrouver Luke. Déclarai-je, finalement.
– Oui, on a perdu pas mal de temps, et on doit se dépêcher. Rajouta Cailean.
– Ce temps ne sera pas perdu en vain. Marmonnai-je. »
Cailean et Cameron saluèrent Marc d'un signe de la main, avant de s'éloigner un peu. J'en fis de même, en passant à côté de lui pour rejoindre les autres qui m'attendaient un peu plus loin.
« Tu vois, tu n'as pas cherché comme il le faut. Pourtant la réponse n'était pas très loin. Me chuchota-t-il, alors que je passais juste à côté de lui. »
Je me retournais vers lui, mais il n'était plus là. Il avait simplement disparu comme il était apparu. Il venait de me donner une leçon très simple que je pensais avoir acquis. Ce n'était pas parce que j'étais une banshee, avec la capacité d'en finir avec Gabriel, que j'étais la seule à détenir la solution. Je n'avais pas forcément besoin de tout faire toute seule, et que je pouvais compter sur Cameron. Une leçon que j'avais quasiment oublié. Je ne faisais que répéter mes erreurs quand j'étais dans le dédale sombre de mes pouvoirs. Heureusement que certains prenaient le temps de me refaire la leçon comme il le faut. Je remerciais Marc au fond de moi, avant de me concentrer sur la recherche de Luke. Il était temps d'aller le sauver pour de bon.