Snow Ashes

By angelebhr

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2086 - Joaquim Rudy Griffin n'a pas fini de vivre des aventures monstrueuses, désastreuses et rugissantes... ... More

000. Prologue
001. Playlist
003. Le globe
004. Graphiques
Préambule
Chapitre 1 | Rivière Pure
Chapitre 2 | Pas seule
Chapitre 3 | Miraculés
Chapitre 4 | Lune Noire
Chapitre 5 | Souvenirs
Chapitre 6 | New-York de loin
Chapitre 7 | Immortels
Chapitre 8 | La dernière ville
Partie II
Chapitre 9 | Descente aux enfers
Chapitre 10 | Des ailes noires
Chapitre 11 | Les Anges
Chapitre 13 | Temple Lunaire
Chapitre 14 | Réunification et ricochets
Chapitre 15 | Aletheia
Chapitre 16 | Miroir Rouge
Chapitre 17 | Pétale synthétique
Chapitre 18 | Eighteen

Chapitre 12 | Le carnet maudit

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By angelebhr


Chapitre 12 -le Carnet Maudit-

      Seules Prodigy et Gretchen étaient dans la salle de projection qui baignait dans une lumière trouble turquoise contrastant avec les lignes de code rouges. Le retour de Kyle illumina leur journée, elles étreignirent le concerné avec passion sans veiller à ses blessures. Prodigy remercia Joaquim de sa témérité envers ce garçon qui lui était cher.

« -Bienvenue chez les Anges de la Nuit Ruby, s'exclama Gretchen en serrant la main de la jeune fille.

-Je l'ai prévenue par message, » précisa Kyle.

Il les laissa et la chef du modeste gang posa quelques questions à la nouvelle Ange.

« -En tant qu'Anges de la Nuit, nous agissons principalement derrière l'écran, jouons avec l'électronique et nous contrôlons plusieurs cabinets de modifications corporelles comme des insertions de métal sur la peau, ou plus avancées comme des dispositifs oculaires pour visionner ton écran à projections holographiques seul. Tu sais faire des trucs sur un ordinateur ?

-Si tu parles d'aller sur internet et faire une recherche ou écrire un texte, oui. Sinon, non. (Elle faillit ajouter qu'elle avait vécu quatre ans dans la forêt mais elle se retint à temps)

-Donc c'est un non. Tu sais utiliser une arme ?

-Oui.

-Tu nous seras d'aucune utilité ici, mais tu le seras sur le terrain. Tu participeras aux décisions, chacun a son mot à dire. Je t'enverrai un message au besoin, nous te fournirons une montre pour cela.

-Par contre, je travaille le lundi, mardi, mercredi et samedi soir. Nuit incluse.

-Nous nous arrangerons. Tout le monde a ses obligations. »

Joaquim était aux anges, vraiment. Elle n'avait pas besoin de s'enfermer dans cette salle sans lumière naturelle, elle gardait sa liberté. Elle salua sa nouvelle équipe et rentra chez elle, avec un bracelet au poignet. En pressant les deux côtés simultanément, l'hologramme du téléphone jaillissait. Elle pouvait naviguer à travers les diverses applications dont elle ignorait l'usage. Mais elle n'avait pas le temps d'en apprendre tous les secrets ; elle devait se préparer pour ce soir, pour son nouveau travail. Elle aurait aimé en savoir plus sur ces cabinets de modifications mais il n'en était pas question ce soir.

Sa métamorphose fut dans la limite de son talent. Elle repoussa sa frange en arrière, se fit deux macarons avec ses cheveux roses. Après plusieurs essais ratés, elle réussit à mettre en place ses lentilles grises aciers. Elle papillonna des yeux pour s'habituer mais c'était inconfortable. Puis, la jeune Griffin se maquilla les paupières de paillettes iridescentes et nacrées, en saupoudra ses joues et se colora les lèvres en orange. Elle paraissait plus vieille devant son petit miroir, elle ne se reconnaissait pas ce qui était un bon point.

Joaquim était nerveuse sur le trajet, pour la première fois elle allait travailler comme serveuse et elle ignorait comment cela fonctionner. Elle n'était même pas majeure. Son poignet sous le scanner, la porte s'ouvrit. Elle rejoignit les vestiaires où trois jeunes femmes s'habillaient.

« -Bonsoir ... je suis la nouvelle.

-Ruby n'est-ce pas ? Bienvenue au Red Cosmos. Je suis Isis, s'écria une grande à la chevelure aussi blanche que sa peau. Et voici Essence et Daphnea. »

Les trois serveuses étaient joviales et furent au petit soin pour Joaquim qui fut ravie. Essence avait le teint mat avec des cheveux bruns et Daphnea abordait des cheveux bleu électrique qui contrastaient avec sa peau noire. Elles étaient toutes magnifiques dans leur tenue de travail que Joe revêtit à son tour. C'était un pantalon en soie noir avec une tunique argenté à manches courte en satin, elle prit des rubans argentés pour cacher ses poignets en mauvais état dans l'ombre de son casier. Elle changea ses chaussures pour des ballerines noires. Et pour seul accessoire, une chaîne en or avec un pendentif. C'était une fleur de lotus rouge. Essence arrangea le maquillage de la nouvelle et bientôt il fut vingt heures. L'heure d'ouverture.

Les quatre filles entrèrent dans le club. Joaquim contemplait avec fascination le décor. Elle n'avait rien vu d'aussi beau. Les murs étaient recouverts de tissus pourpres, des lustres de cristal renvoyaient des arcs-en-ciel du sol au plafond. Des box étaient aménagés derrière des panneaux en bambou où des fleurs avaient été peintes. Le bar était couvert de miroir, trois employés attendaient derrière le comptoir, prêts à faire des cocktails. De minuscules enceintes ultra-puissantes diffusaient déjà une musique d'ambiance. Les trois femmes et deux hommes, des serveurs, avaient briefé la jeune Griffin dont la sueur trempait la tunique. L'ambiance était tamisée, mais elle sentait que l'air était électrique. Les pas de foule faisaient trembler les lambris. Dès que les portes s'ouvrirent un vague de monde entra et Joaquim se lança, ravalant son anxiété.

Elle voyageait des clients au bar avec difficulté. Son ventre n'arrivait pas à se détendre. Elle était entourée de gens qui l'aurait vendu s'ils apprenaient son identité. Pas la Ruby Hunter, l'Ange de la Nuit, la serveuse. Mais la Joaquim Rudy Griffin, la survivante, la rebelle, celle qui avait une mission, celle qui se cachait derrière cette apparence, celle qui suait à grosses gouttes, celle qui tentait d'enregistrer le plus d'informations sur les habitants de New-York et leurs habitudes et celle qui crissait des dents à cause de la musique trop forte. Armée de son plateau où cinq bières s'entassaient, elle rejoignit un box. Elle discernait à peine ses occupants avec le nuage de fumée au-dessus d'eux.

« -Et voici votre commande. »

Un homme tendit sa nuque et elle y glissa la clé du club. Chaque habitant portait cet étrange dispositif dans le cou, une fente en métal pour les transferts d'argent. Fascinant. Joe grimaça quand elle remarqua qu'ils étaient déjà ivres.

« -Tu es nouvelle toi ! Cria une des personnes pour se faire entendre. C'est quoi ton petit nom ?

-Ruby, monsieur.

-Monsieur Fade.

-Monsieur Fade, » répéta-t-elle d'une voix blanche.

Elle se retourna comme un automate et s'apprêta à sortir du box enfumé. Elle avait appris la liste par cœur, celle du gouvernement. Fade était dans les premiers. Le ministre des armées. Une main s'enroula autour de sa taille. Ses yeux s'enfoncèrent dans les pupilles du responsable. Si un regard noir pouvait tuer, il serait en train de se vider de son sang. Ses amis éclatèrent de rire mais lui, il était dégrisé et ne souriait plus.

« -Attention monsieur Fade, vous vous en brûlerez les doigts, » susurra-t-elle.

Elle sortit sans plus tarder. Elle avait envie de vomir, la n. v. c. la voulait et elle n'avait jamais été aussi proche.

A trois heures, Joaquim quitta le club. Dans les vestiaires, elle sentait encore les vibrations de la musique, son cœur était tout aussi rapide. C'était aussi la fin pour Isis.

« -Alors, tu vas tenir ? Tu n'es pas trop fatiguée ?

-Je suis crevée, mais c'est bien payé.

-Je t'ai observée, tu te débrouilles bien.

-J'ai rencontré Fade, ivre. J'ignorais que le gouvernement sortait dans la ville.

-C'est un habitué. Ne fait pas attention à lui, c'est une ordure.

-J'avais remarqué, affirma Joe.

-Ne laisse pas les clients t'affecter. Sourie, sers les gens sans enregistrer leur visage. Je suis ici depuis deux ans, je ne sais même pas qui je sers à part quelques personnes. C'est plus simple, moins de problème. »

Joaquim aurait voulu suivre les conseils de sa collègue mais elle ne pouvait simplement pas. Elle était venue ici pour écouter les murmures. Ce soir, la jeune fille avait seulement observé, trop de sons l'assaillaient, elle devait s'adapter. Elle dit en revoir à Isis et plongea dans la nuit noire.

L'automne la fit frissonner dans son manteau. Il fallait qu'elle se trouve de nouveaux vêtements pour survivre à l'hiver. Son manteau, enfin celui de son père, était usé ; ses gants étaient déchirés et ses chaussettes avaient des trous. Ses oreilles sifflaient encore, elle avait été abrutie par la musique. Les yeux mi-clos, elle traversa le pont. Elle ne remarqua pas tout de suite les torches devant elle. Elle ne vit pas les silhouettes frêles au loin. Elle n'entendit guère les voix. Elle se réveilla seulement lorsqu'ils l'interpellèrent. Ses yeux s'écarquillèrent d'effroi et elle se mit à courir dans une rue perpendiculaire. Deux voitures la klaxonnèrent quand elle traversa la route en prenant ses jambes à son cou. Joaquim fuyait les Défenseurs de Feu et leur visage léchés par les flammes. Sous son masque et sa capuche, elle n'était qu'une habitante effrayée. Certains se mirent à la suivre mais ils abandonnèrent, ils avaient trouvé une meilleure proie.

En rentrant chez elle, elle eut un pincement au cœur, Kyle n'était plus là. Joe se sentit alors très seule. Au bas de sa rue, les fêtards s'étaient éparpillés à cette heure. Elle retira les lentilles qui l'irritaient et se passa de l'eau sur le visage. Enfermée dans son petit studio, la nuit engloutie la pièce, la solitude prit possession de son occupante. Elle se sentait vide.

Fatiguée par sa journée de boulot, elle s'endormit dès que sa tête toucha son oreiller, les yeux humides. Elle venait de se rendre compte ce que c'était de vivre dans la peur, de sentir la terreur parcourir ses veines.

Depuis une longue semaine, Joaquim avait travaillé dur. Chaque soir, elle revêtit son costume. La journée, elle se rendait chez des habitants dans le sud de Manhattan pour les Anges de la Nuit et visitait la ville. Ils contrôlaient et protégeaient le quartier et certains cabinets de modifications corporelles illégales, où on lui avait implantée une fente ; ce ne lui était pas très utile car elle n'avait pas de compte en banque, elle n'était pas une habitante. Certains leur devaient de l'argent, d'autres se plaignaient.

Elle avait appris à connaître le petit groupe de résistants. Kyle l'accompagnait parfois pour visiter par les toits. Joe s'était habituée au ciel constamment gris qui l'oppressait toujours un peu. Aujourd'hui, Gretchen ne lui avait pas assignée de mission, elle en profita pour se balader dans la périphérie, au plus près des murailles. La jeune Griffin se vit d'innombrables fois sur les murs durant le trajet. Bientôt, elle comprit qu'elle s'approchait des usines.

Les murs étaient noirs de suie. Des colonnes de fumée émergeaient de tous les côtés. Piquée par la curiosité, elle s'approcha de l'une. Son père travaillait dans une fabrique comme celle-ci, sa fille l'aurait rejoint après le lycée. Mais il était resté silencieux à propos de cela. Joaquim grimpa sur une échelle sur la façade en brique à la manière d'un chat et derrière une porte, elle atterrit sur une passerelle au plus haut. La chaleur la prit à la gorge, elle se mit à suer aussitôt. Des rugissements de ferraille la rendaient sourde et l'humidité lui donnait l'impression qu'elle venait de plonger dans une piscine bouillante. Elle se pencha par-dessus le garde-fou rouillé, ignorant le vertige qui la saisit. Les machines tournaient à plein régime, des ouvriers s'activaient, le visage rougeoyant. Des flammes dansaient dans les fours, les couleurs chaudes fascinaient la jeune fille. Murphy travaillait dans l'une des ces usines de la ville. Elle comprit comment il avait vieilli et son cœur se brisa quand elle pensa à son père, Maximilien Griffin. Il avait enduré cela pendant des décennies sans jamais se plaindre. Sans verser une larme. Mais elle plaignait surtout les ouvriers qui travaillaient devant ses yeux.

Un soir, la petite Joe n'arrivait pas à dormir. Elle était allée chercher un verre d'eau dans la salle de bain mais des murmures l'avaient interpellée. Dans leur petite cuisine jaune, ses parents étaient assis à table en se tenant la main. Son père avait embrassé celles de sa mère. La jeune Griffin se rappelait de chaque mot.

« -Ce travail te consume Max. Tu es blême et fatigué alors que tu n'as même pas quarante ans. Trouve-toi autre chose. Je ne peux plus te voir dans cet état-là.

-Je ne peux pas arrêter. Sinon qui va payer les études de nos enfants ? Tu payes plus de la moitié des dépenses avec ton salaire de pharmacienne. Sans mon travail, adieu aux études des enfants. Je veux qu'ils aient une éducation et un avenir, pas comme leurs parents.

-Rudy ira au lycée, pas d'inquiétude là-dessus mais tu sais bien que ses notes ne la mèneront pas jusqu'à l'université. Un feu ardent brûle en elle, les cours l'ennuient et elle n'est pas faite pour l'école. Elle s'en sortira mais par elle-même, l'usine ne sera qu'une étape, espérons.

-Keagan a du potentiel et je ne veux pas le priver d'études. Je vais bien mon cœur, on va s'en sortir. Je te le promets. »

Joe avait vu ses yeux brillants et depuis ce jour, elle avait essayé de travailler dur à collège. C'était un an avant la catastrophe. Cela n'avait peut-être servi à rien mais elle les avait rendus fiers. Puis quand il a fallut s'enfuir, sa mère lui avait glissée qu'elle survivrait, que Joaquim était faite pour une vie faite d'imprévus.

« -Eh mademoiselle, faut pas faire cette tête, l'interrompit une ouvrière. Vaut mieux partir avant que le patron ne vous trouve ici. »

Elle ne dit pas un mot et disparut par la porte qu'elle avait franchie un peu plus tôt. Dans les montagnes, elle oubliait. En revanche, depuis qu'elle était arrivée ici, sa famille lui revenait en mémoire. Penser à eux était normal mais elle se laissait tomber dans un tourbillon de sentiments qui la consumer. Elle avait besoin de faire une pause après cette semaine épuisante. Elle monta sur les toits, traversa des routes suspendues et des passerelles, sauta de cabane en cabane pour finalement trouver la plus belle vue.

On pouvait voir Manhattan et ses immenses gratte-ciels et les remparts. Elle essaya de faire abstraction de ces dernières et se mit à dessiner dans son carnet. Chaque nouveau visage apparut sur le papier. Des personnes du club, les Anges de la Nuit. Dès que les traits de Gretchen se firent plus nombreux, Joaquim comprit son regard glacial. Elle n'arrivait pas à mettre un mot dessus depuis des jours mais maintenant c'était évident.

« -Elle est brisée. Derrière son expression impassible, faussement bienveillante, il y a une femme brisée qui ne cherche que la vengeance. Elle n'attend que de boire le sang de ses victimes. Cependant, cela ne refermera pas ses cicatrices trop profondes. Elle plongera encore plus et elle mourra de l'intérieur, le cœur déchiré. Seul l'amour pourrait la sauver mais comment aimer dans un monde de terreur où un signe d'amour est pris comme un signe de faiblesse qui vous rend vulnérable. Qui vous fait devenir une proie.

-Tu viens de décrire chacun des habitants de la ville. Moi, j'y crois encore, en l'amour. Le bonheur plus tellement. Mais lorsque je suis au plus bas, je pense à une clairière de coquelicots brûlés par le soleil d'été, un cours d'eau ruissèle à mes pieds. J'y trempe les pieds. (Joaquim écoutait mais n'osait se retourner) Les galets me font mal mais des petits poissons me chatouillent les pieds. Ma peau est réchauffée par les rayons du soleil. Des rires retentissent puis ma mère m'appelle. Ca s'arrête là car je ne me souviens plus de ses traits. Alors je fais durer cet instant un peu plus longtemps en prenant mon temps pour traverser la prairie fleurie et remettre ma chemise. Je me perds dans ce havre de paix bancale qui s'effondra bientôt, mais pour l'instant il reste en équilibre.

-C'est beau, dit-elle. Le mien est hanté de cauchemars aux tentacules robustes qui s'accrochent.

-Mon cours d'eau est peu à peu pollué par une substance noire et visqueuse aussi. »

Elle se retourna mais elle ne vit qu'un éclat qui lui brûla les pupilles qui disparut par l'échelle. Lorsque le jeune homme, la voix juvénile, avait parlé, elle s'était imaginé ce paysage de campagne. Mais voilà qu'elle avait un paysage gris et sale devant elle. Elle lâcha un soupir et descendu à son tour. Il n'y avait plus de trace de lui.

Joaquim fut réveillée par la sonnerie stridente de sa montre. Enervée par cette musique horripilante, elle repoussa l'appareil à travers la pièce.

« -Merde ! »

Elle courut jusqu'à la montre en enfilant un pull, l'hologramme s'était activé tout seul et s'écrasait sur le béton. Une deuxième sonnerie retentit. Elle mit la montre à son poignet et fit glisser son doigt sur le vert. Le buste de Prodigy apparut dans les airs.

« -Je croyais que c'était que des messages.

-Un message ne t'aurait réveillé. Viens.

-Je dors là, grommela Joe.

-Tu as répondu au téléphone. Tu viens. Elle a besoin de toi.

-Et moi de sommeil.

-Sois un ange et ramène tes fesses sinon je te la passe.

-J'arrive ! »

Elle raccrocha et s'habilla à contre cœur. Il était cinq heures du matin. Elle jura dans sa barbe et sortit dans la nuit. Le centre grouillait de monde. Si certains dansaient au milieu de la route ivres, d'autres avaient la même tête que la jeune fille.

Dans le cinéma, Prodigy était cachée derrière son ordinateur. Il ne restait que Gretchen assise sur la grande table. Sans Kyle, Joe n'était pas très à l'aise face à cette femme.

« -Qui y a-t-il d'urgent ?

-J'ai une mission pour toi.

-Et ça ne pouvait pas attendre demain ?

-Le monde n'attend pas que Ruby se lève pour agir, non. Je pars en mission avec Drace, ce qui va nous prendre quelques jours. Donc j'ai besoin de toi pendant que je serais en train de craquer l'ordinateur d'un scientifique.

-Mission en solo ?

-Oui. Tu dois récupérer un carnet, ou plutôt subtiliser, dans le marché des Miracles. Le marché des Miracles est comme tu le sais gigantesque. Rends-toi au centre, marqué par un pilier gravé. Ensuite, il y a une voyante tout près. Va dans cette allée. Va dans la Cour des Miracles. C'est un grand stand de bric-à-brac. Les Vipères Immortelles y ont caché un carnet. Mais l'un d'eux doit le reprendre aujourd'hui. Tu as donc peu de temps. Nous avons eu l'information ce soir donc il se peut que d'autres personnes soient au courant.

-A quoi ressemble ce carnet ?

-Il est en cuir noir et il y a un serpent gravé. Les creux sont remplis d'or blanc. Prends-le et ramène-le ici, mais ne l'ouvre surtout pas. As-tu besoin que je répète ?

-Non.

-Dans ce cas, je vais y aller. Le marché ouvre à sept heures et demie. Bonne chance Ange de la Nuit. »

Joaquim frissonna lors que Gretchen claqua la porte derrière elle. La jeune Griffin était excitée à l'idée de cette mission. Elle avait mémorisé chaque information, elle était tellement concentrée qu'elle sentait des maux de tête arriver. Kyle lui avait parlé du marché et elle avait hâte de s'y rendre.

« -Je peux t'accompagner si tu veux, proposa Prodigy qui sortit la tête de son écran. Si tu es restée enfermée pendant pas mal de temps, tu ne sais peut-être pas où ça se trouve.

-Oui, ça m'arrangerait. Je te remercie. »

Joaquim n'avait pas vu la jeune brune. Cachée derrière ses énormes lunettes et sa frange.

« -Je t'emmènerai devant, mais ne trainons pas trop car j'ai un rendez-vous. »

Les deux filles marchaient d'un bon pas côte à côte. Les travailleurs s'activaient dehors. Le ciel s'éclaircissait et la lune fut remplacée par un soleil caché par les nuages.

« -Tu es une Ange depuis quand ? L'interrogea Joaquim en sirotant un café.

-Un an. Je connaissais Drace un peu avant dans un cybercafé. On se regroupait en tant que jeunes hackeurs, sans clan. J'étais la plus jeune et sans personne. Il m'a proposé de joindre le groupe. Agir pour le bien, j'ai accepté. Ils sont devenus ma famille.

-Tu as été choisis sans tes parents ?

-Drace et Kyle ont été choisis sans leur famille. Moi, si. Mais papa et maman sont des scientifiques. Ils sont sans doute en ce moment dans un labo à tester des tubes à essai, qui sait ?

-Tu ne pouvais pas rester avec eux ? Cela aurait été plus confortable. »

Prodigy se mordait la langue, les sourcils froncés. Elle parlait avec un certain détachement mais sa famille lui manquait profondément.

« -Sûrement mais la première année, je me suis ennuyée à mourir. Donc je suis partie, ils savent où j'habite et ils m'envoient de l'argent tous les mois.

-Ils savent que tu agis contre la Nox Vision ?

-Ils sont au courant de rien et ils préfèrent cela plutôt que je disparaisse dans la ville. Et toi, Kyle m'a raconté, tu tiens le choc sans ton père ?

-Je le voyais rarement mais c'est difficile, être seule et perdue n'a rien d'enviable. Rencontrer Kyle fut la meilleure chose.

-Kyle est adorable et je pense qu'il t'a prise sous ton aile car il a besoin d'un ami. Drace et lui, ce n'est pas l'amour fou. Sacha et Gretchen ne sont pas souvent là, occupés à d'autres choses. Et puis moi, je suis soit plongée dans mes programmes, soit à travailler à l'usine où je range des archives, soit chez ma petite-amie. Vous vous êtes bien trouvés. Ami ou plus.

-Non merci, rit-elle pour dissimuler son malaise.

-Nous y sommes. Avant de te lancer dans ce labyrinthe, élève-toi un peu et repère le terrain. Je me suis perdue un nombre incalculable de fois. »

Prodigy fit demi-tour, laissant Joaquim devant le marché des Miracles. Il s'organisait à l'extérieur mais principalement à l'intérieur du City Hall. Elle grimpa sur cet immense immeuble et se glissa par une fenêtre sans carreaux. Elle fut ébahie par le spectacle. Les étages de l'ancienne mairie avaient disparu. Toutes les fenêtres étaient brisées ou rafistolées avec du carton. Six étages plus bas, un enchevêtrement de stands. Ils étaient entassés, c'était un gigantesque amas de toiles et de tissus de toutes les couleurs. Le marché venait à peine d'ouvrir et la foule se baladait dans les allées. Elle repéra le centre qui formait une petit place. Sa première destination. Six allées la reliaient.

Joaquim rejoignit le sol en escaladant les pierres et les tuyaux, sauta avec agilité et s'élança dans les sentiers de terre battue. Gretchen lui avait demandé de se presser mais c'était trop beau pour courir sans admirer. Les étalages du marché regorgeaient de merveilles. La jeune fille en avait plein les yeux. Les étoffes suspendues au-dessus scintillaient avec la lumière du soleil qui passait par les multiples ouvertures. Du rouge écarlate au fils d'or. Un vert d'eau penchant vers le jaune canari. Un orange de soleil couchant. Un bleu nuit parsemé d'étoiles. Du bleu turquoise qui avait des airs d'îles lointaines. Des roses poudrés presque blanc. Des marrons sales. Des noirs terreux. Elle passa devant des vendeurs de tissus, elle vola une pomme rouge sang chez un épicier près de vendeurs d'armes louches. Des effluves de plantes médicinales lui passèrent sous le nez ainsi que les épices. Elle se pencha au-dessus de boîtes remplies de divers objets, respira des odeurs de tabac et de parfums.

Elle acheta des mitaines rayées à une vieille dame puis des lunettes d'aviateurs trop grandes pour elle à un petit garçon. Elle faillit oublier sa mission devant cet interminable spectacle. Le carnet lui revint en mémoire lorsqu'elle croisa le chemin de la voyante. La boutique La cour des Miracles écrasait les petits stands, elle le repéra tout de suite depuis un comptoir couvert de poisson frais. C'était sombre, les rayons étaient étroits. Les portes qui servaient de murs avaient des carreaux crasseux. Les lourdes tapisseries plongeaient le magasin dans l'ombre, repoussant plus d'un visiteur. C'était l'emplacement idéal pour cacher un petit objet.

La jeune Griffin s'apprêta à y rentrer mais elle découvrit trois hommes, fixant eux aussi la Cour et l'allée. Ils étaient chacun à un endroit, prêts à sauter pour prendre le carnet. Ils vérifiaient le périmètre. Elle se détacha alors de son étalage enivrant et rentra comme si de rien n'était.

« -Bonjour, » s'écria-t-elle au vieux vendeur.

Elle reçut un grognement. Ses yeux perçurent le mouvement de retrait des Vipères. Toutefois, elle n'attendit pas pour chercher. Tandis que le vieillard somnolait, elle laboura les boîtes sans succès. Soudain son cœur s'arrêta, l'un des hommes entra à son tour. Elle continua ses recherches plus calmement bien que sa présence stressait l'inconnu.

Joe se retint de pousser un cri, un carnet noir était entre ses doigts fins. Après avoir épié les environs, elle introduit la trouvaille dans son manteau. Elle fit mine de farfouiller encore un peu et ses pas la menèrent dans l'allée non sans remarquer que la Vipère se penchait vers le même bac. Son regard croisa un des hommes mais elle continua. Néanmoins il restait dans son champ de vision et elle le vit porter sa montre à ses lèvres. Dès qu'il ouvrit la bouche, la jeune fille se mit à sprinter. La poussière s'éleva dans les airs après son passage.

« -Arrêter-la ! » Hurla une voix rocailleuse.

Sa fuite n'était plus discrète. Elle accéléra et zigzagua dans les minuscules sentiers jusqu'à en perdre haleine sans savoir où elle allait. Elle sentait le carnet qui se balançait dans sa grande poche, la raison pourquoi elle était poursuivie par trois hommes. Ils n'osaient tirer, elle bougeait trop et il y avait trop de témoins.

Elle bouscula plusieurs personnes dans sa course effrénée. Les commerçants lui hurlèrent dessus quand les marchandises se répandirent sur le sol à son passage mais elle ne ralentit point. Ses mains cherchaient l'arme la plus proche mais Joaquim faillit se ramasser. Ainsi, elle abandonna et piqua un sprint vers la sortie. Elle poussait des cartons sur le chemin des Vipères au détriment des commerçants. Mais une main puissante lui arracha sa capuche, libérant ses longs cheveux roses. Elle se dégagea de son emprise et entreprit de grimper une échelle rouillée.

« -Tu ne nous échapperas pas, » reprit quelqu'un.

Joaquim espérait que le carnet était vraiment important car elle savait qu'elle peut de chance de s'échapper. Le marché devenait de plus en plus petit mais c'était le contraire pour ses poursuivants. Elle tira sur les bras et sortit sur le toit à la proie du vent. Une petite bruine lui rafraîchit le visage. Son pistolet dans les mains, elle se plaqua contre le muret, tournant le dos au vide. La trappe s'ouvrit à nouveau mais elle tira avant qu'il ne sorte, son corps retomba vers le marché bien plus bas. Sa main sur sa poitrine ne calmait pas sa respiration précipitée.

Joaquim prit alors ses jambes à son cou et sauta sur des cabanes suspendues sur un immeuble voisin. Elle rebondissait sur les tôles. Les deux hommes étaient apparus sur le toit, leurs pas résonnaient à sa suite. Elle courrait plus vite mais elle n'avait aucune idée où elle allait ce qui était un vrai désavantage. Elle tira à l'aveugle mais ses balles se perdaient en vain.

L'un des deux s'effondra, il s'était mal réceptionné sur sa cheville. Son compagnon abandonna son ami blessé et continua. Joe sauta un étage plus bas, un coup d'œil en arrière lui avait appris qu'il essayait de viser avec son fusil. Ses traits étaient déformés par la colère, déterminé à attraper la voleuse aux cheveux roses. Cette dernière, dans la précipitation, glissa et dévala une toiture en pente en poussant des cris stridents. Elle se réceptionna sur les fesses ; son coccyx lui arracha un deuxième cri puis elle se releva, quelque peu sonnée par la douleur, et descendit sur la route en vérifiant que le carnet ne s'était pas envolé.

Personne ne faisait attention aux deux personnes qui se pourchassaient. Joaquim se faufila dans une ruelle et grimpa aux échelles suivie de près par la Vipère. Ils gravissaient des étages et des étages, jusqu'à que la rue ne soit plus qu'un ruisseau. Ils étaient tous les deux exténués mais ils ne pouvaient s'arrêter. Ils étaient dans le centre ville, là où les gratte-ciels défiaient la gravité. Un faux pas et ils s'écrasaient dans le ruisseau qui à cette hauteur était comme du béton.

Joaquim se retrouva dans un cul-de-sac. Le pont qui reliait deux immeubles était en construction, les bouts n'étaient pas joints. Cette analyse lui coûta et elle se retrouva au sol. L'homme s'était jeté sur la jeune femme qu'il n'avait jamais croisée pourtant, il croyait la connaître. Il referma ses doigts gantés sur son cou fin. Joaquim suffoquait et roulait des yeux, prise de terreur. Elle était terrifiée devant le grand sourire aux dents gâtées de la Vipère. Ses mains repoussaient ce visage monstrueux mais il avait plus de force. Ses iris défaillants regardaient la cime des immeubles qui se brouillaient.

Tout à coup, elle décocha un coup de genoux et l'homme roula sur le côté. Elle reprit son souffle, une main à la gorge et l'autre sur la gâchette de son pistolet, le canon tourné vers son assaillant. La jeune fille tournait le dos au vide pour face à l'homme qui se redressait lentement.

« -Qu'est-ce qu'il y a de si important dans ce carnet ?

-Des choses horrifiques que tu ne voudrais même pas dans tes cauchemars. Rends-le-moi et je ne te ferai rien.

-Un carnet maudit ? Se moqua-t-elle.

-Tu n'imagines même pas, murmura-t-il en se rapprochant. Pour qui travailles-tu ?

-Et vous ? »

Il releva sa manche et un serpent courrait le long de son avant-bras, la gueule grande ouverte, à l'encre rouge. Une vipère, sensée être immortelle.

« -Et toi ?

-Je n'appartiens à personne.

-Personne ne survit seul ici. Même les plus solitaires sont dans un groupe. Ceux qui sont seuls se perdent dans leur folie et meurent au fond d'une cave sans que personne ne soit en courant.

-Certes je ne suis pas seule, avoua Joe. En revanche, vous le serez quand vos supérieurs apprendront que vous n'avait pas le carnet. Disparu. »

Elle avait dit cela en reculant. Elle se mit alors à courir à travers les planches du chantier.

« -Malheureusement pour toi, le chef des Vipères Immortelles c'est moi. Et je n'ai pas choisis ce nom au hasard, » cria-t-il.

Elle esquivait les barres en fer, passait sous les poutres et sauta sur l'autre plateforme. Elle moulina les bras dans les airs. Son corps roula sur le début du pont et elle put respirer à nouveau. Elle roula vers le dur encore un fois n'étant qu'à quelques millimètres du vide. La Vipère regardait, peu rassurée, le trou qui les séparait.

« -Tu ne sais pas dans quoi tu t'es fourrée, fulmina-t-il.

-Je le découvrirai bien assez tôt. »

Joaquim aperçut une once de pitié dans ses yeux, elle avait l'impression qu'il regrettait de l'embarquer dans cette histoire. Toutefois, cela disparut et il sauta.

Joe sut que ce n'était pas assez et se lança au bord. Elle n'attrapa que sa main.

Le corps lourd de la Vipère pendait au bout de son bras. Leurs yeux se croisèrent, affolés. Les deux tremblaient, la traque les avait rendus fébriles. Leurs mains étaient moites.

« -Tenez-bon, » déclama-t-elle.

Elle essaya de le tirer vers le bord mais ses doigts glissaient.

« -Aidez-moi je vous en supplie.

-J'essaye, » grimaça Joe en suant à grosses gouttes.

Elle compta jusqu'à trois et ils rassemblèrent leur force pour le ramener sur le pont.

Il lâcha. Leurs doigts étaient trempés, ils n'avaient pu contrôler sa glissade. Un cri déchira l'air. Elle ne sut si c'était le sien ou lui, peut-être les deux. Elle assista à sa chute, impuissante, observant sa bouche grande ouverte, ses yeux exorbités.

Elle lui avait échappé et pourtant son souffle refusait de se calmer. Ses pas traînant la menèrent sur une petite passerelle en fer rouillé qui s'effritait sous ses mains. Les arabesques formaient des fleurs éternelles. Elle était si étroite que seules deux personnes pouvaient s'y faufiler. Chaque pas faisait craquer la structure mais Joaquim se rendit au milieu et observa la vue. Elle inspira un grand coup, ses épaules s'affaissèrent et le corps de la vipère disparu.

Elle s'en voulait de l'avoir laissé tomber. Ses yeux surpris et terrifiés la hantaient ; elle avait voulu le sauver mais leurs mains moites en avaient décidé autrement. Elle cria, en espérant que sa frustration s'envole mais celle-ci s'ancra plus profondément. Les vipères allaient apprendre la mort de leur camarade et ils n'allaient pas rester sans rien faire. La vengeance semblait monnaie courante dans l'Enfer. Elle expira enfin, les mains tremblantes.

Elle n'avait pas le vertige mais c'était très haut. Le sol se perdait dans les toits, les routes suspendues et les ponts entre les gratte-ciels, les câbles. Joaquim pouvait presque toucher les nuages ; depuis les années 2070, les architectes s'étaient lançaient dans la course au paradis. Qui allait toucher le ciel en premier ? Qui allait défier les forces ? Leur pari était réussi mais malgré le nombre massif de logement, les bidonvilles grossissaient et la population gonflait jusqu'à exploser douze ans après. Les cendres étaient retombées pour former le monde d'aujourd'hui.

La brume se glissa lentement autour de la jeune Griffin. Elle savoura les minuscules gouttes d'eau qui se déposèrent sur son visage découvert. Elle devint alors une silhouette fantomatique dans les hauteurs. Les couleurs criardes des rues et enseignes étaient des flammes qui léchaient les façades. Tout à coup, elle se redressa vivement. À contempler la vue, son corps s'était penché jusqu'à bientôt basculer dans le vide. Inspirant une énième fois, Joe finit sa traversée et fonça dans un ascenseur, étourdie.

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