La route était longue et j'espérais que tout le monde tiendrait bon. Fred s'était joint à nous, déclarant que c'était une exception étant donné qu'il ne devait pas intervenir plus que nécessaire. Je ne pris pas la peine de lui demander quoi que ce soit, car j'avais l'intuition qu'il me donnerait des réponses évasives ou encore une énigme à résoudre. Je préférais me concentrer sur le sauvetage de Peter plutôt que de m'éparpiller à droite et à gauche. J'indiquais le chemin à Julian pour qu'il puisse nous conduire jusqu'à la forêt où se trouvait Peter. Le reste se ferait obligatoirement à pieds ou à dos de loup, dans les deux cas, on serait obligé de laisser la voiture derrière nous.
« Haylie. Tu es sûre que c'est le bon chemin ? Me questionna Cailean en regardant le paysage par la fenêtre.
– Oui, j'en suis sûre. Peter se trouve par là. Répondis-je, en désignant un chemin de terre vers la gauche. »
Je me rappelais quand même de la route. J'avais pris beaucoup de temps pour la mémoriser. Certes je n'étais pas parfaite mais je faisais de mon mieux pour mon petit frère. J'avais même refait le chemin deux fois dans mon corps astral pour en être sûre. Je n'allais pas me tromper quand même. Enfin je le croyais...
Julian arrêta la voiture une dizaine de minutes plus tard. On était arrivé face à un ravin, qui séparait la forêt et cette impasse. Je ne me rappelais pas spécialement de ce ravin, et j'avais du mal à reconnaître l'endroit. Pourtant j'étais sûre que c'était cette forêt. Je le sentais au fond de moi. Seulement un ravin nous séparait de la forêt. Il fallait trouver un moyen de le contourner ou sauter par dessus.
« Où sommes-nous ? Grommela Cailean.
– C'est ici... mais je ne me rappelle pas de ce ravin. Répondis-je, en me mordant la lèvre inférieure.
– Tu es sûre qu'on est au bon endroit ? Rétorqua-t-il, en me lançant un regard sévère. »
Je serrais la mâchoire, en lui rendant son regard. Je savais qu'il était à fleur de peau, mais ce n'était pas une raison de m'agresser de cette façon. Je ne répondis rien, l'ignorant et préférant chercher un moyen d'atteindre l'autre côté du ravin. Il n'était pas le seul à être sur les nerfs. Nous l'étions tous, et moi, sûrement plus que les autres. J'étais au centre de tout, même si je ne le désirais pas, mais je faisais avec. Peter était mon petit frère, je tenais bien trop à lui pour ne pas vouloir arracher la tête de tout le monde, mais je devais rester calme. Paniquer et foncer tête baissée n'apporterait rien. J'avais bien appris cette leçon.
Je pouvais sentir l'impatience de Cailean à mes côtés. Si Cameron ne s'était pas mis entre nous, je ne doutais pas qu'il m'aurait sauté dessus pour me secouer comme un prunier. Il avait tellement de colère en lui, qu'il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Pourtant, Cailean n'était pas une personne très obtus. Il était très large d'esprit, mais son esprit était bien trop focalisé sur Peter, et ce qu'il pouvait subir. Heureusement qu'il n'avait pas vu ce que, moi, j'avais pu voir. Il y avait des chances qu'il devienne fou, voir pire.
Je lâchai un soupir, en me passant une main dans les cheveux. Je n'arrivais pas à me concentrer pour trouver une voie. J'étais bien trop tendue, et la pression me rendait bien trop nerveuse pour que je puisse trouver la solution adéquate. Je grinçai des dents, en observant encore une fois ce ravin et les arbres de l'autre côté.
« Il vaut mieux que vous remontez tous dans la voiture. Suggéra Fred, en attirant l'attention sur lui.
– Pardon ? Grogna Cailean, en le fusillant.
– Toi, plus que les autres. Tu la perturbes, et tes ondes négatives l'empêchent de se détendre pour se concentrer, en plus de la pression qu'elle ressent vis-à-vis de ce sauvetage. Tout comme toi, elle veut retrouver son frère, mais elle ne peut pas le faire si tu es constamment agressif et sur son dos. Rétorqua froidement le druide. »
J'allais répliquer que ça allait, mais Cailean monta dans la voiture sans rien dire de plus. Peu à peu, tout le monde remonta à l'intérieur. Cameron voulut les rejoindre mais Fred l'en empêcha, en montant avant et refermant la portière. Il lui désigna par la fenêtre de rester près de moi. Mon loup fronça des sourcils, ne comprenant pas vraiment ce que voulait ce druide. Il avait comme l'impression qu'il changeait d'avis comme de chemise. Ce qui me fit sourire, quand je le revoyais venir vers moi, avec ce sentiment un peu confus.
« Il faudrait savoir ce qu'il veut. Souffla-t-il, en se tenant juste à côté de moi.
– Peut-être que par notre lien, il nous considère comme une seule et même personne. Supposai-je, en lui prenant la main.
– Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non. Sourit-il, légèrement taquin.
– Est-ce que tu viens de sous-entendre que tu ne veux pas être moi et que tu ne veux pas que je sois toi ? M'outrai-je, en faisant une moue boudeuse.
– Pas vraiment. Je préfère qu'on soit deux entités bien distinctes qui peuvent s'unir quand bon leur semble. Si tu étais comme moi, ce serait d'un ennui mortel. Gloussa-t-il, en me tirant dans ses bras. »
Je ris avec lui, et je me fondis contre son corps. Les bras de Cameron me rassuraient plus que n'importe quoi d'autre. J'avais l'impression que tout mes problèmes et mes soucis s'envolaient quand j'étais serrée contre lui. C'était peut-être pour ça que Fred l'avait laissé près de moi. Parce que plutôt que de me mettre la pression, il me détendait et me permettait de donner le meilleur de moi-même.
Il plongea sa tête dans mon cou, son nez caressant ma peau. Je fermais les yeux, cherchant à profiter un peu de ce moment. Toute la tension dans mon corps disparaissait peu à peu, me laissant dans une douce chaleur confortable. J'aurais presque pu dormir debout dans ses bras. J'avais l'impression de me fondre dans la peau de Cameron. Il m'envoyait tellement de chaleur et d'ondes réconfortantes, que j'avais l'impression qu'il effaçait tout mes malheurs.
« Par ici... Par ici... »
Je rouvris les yeux, sur le ciel. Je m'éloignais un peu de Cameron, en fonçant des sourcils. Je me demandais si j'avais bien entendu quelqu'un me parler. Je plongeais mon regard dans celui de mon compagnon, espérant qu'il ait entendu la même chose que moi. Son regard un peu confus m'indiquait que seul mon comportement l'intriguait.
« Leannan ? S'enquit-il, dans un chuchotement.
– Tu n'as pas entendu ? J'ai entendu quelque chose. Répondis-je, en cherchant des yeux la source de la voix. »
Je posais mes yeux sur la voiture, où Fred nous observait de l'intérieure. Il avait ce même rictus satisfait que lorsque j'avais été dans mon corps astral. Il se passait donc quelque chose en rapport avec mes pouvoirs de Banshee. Je devais donc trouver toute seule d'où venait cette voix.
« Par ici... Par ici... »
Ce n'était pas la même voix, elle était un peu plus fluette. Sûrement une petite fille. J'entendis d'autres voix d'enfants, me répéter la même chose. Que c'était "par ici", mais je ne voyais pas grand chose pour l'instant. Il fallait donc que je me concentre sur leur voix, qui formaient comme un écho lointain.
Je me rapprochai du ravin, en me concentrant sur les voix. C'était un peu complexe, étant donné qu'elles venaient toutes de la forêt et pas vraiment de la même direction. Certaines étaient plus fortes que d'autres, comme si elles étaient plus proches. Je tendis l'oreille, en espérant repérer la voix la plus forte. Seulement, je n'y arrivais pas. Mon ouïe n'était aussi fine qu'un loup, et c'était bien dommage.
« Leannan, il y a un problème ? Questionna Cameron, en lui caressant la joue.
– J'entends les voix des enfants... sûrement ceux qui sont morts dans ce maudit trou à rat. Ils veulent nous guider, je pense. Seulement, ils parlent tous en même temps, et je n'arrive pas à savoir quel chemin, ils cherchent à me montrer. Expliquai-je, en cherchant du réconfort dans sa caresse.
– Tu ne peux pas communiquer avec eux ? Leur demander...
– Cameron, je ne sais pas utiliser mes pouvoirs de Banshee. En dehors du corps astral et pousser un cri qui peut tuer mes ennemis, d'ailleurs je ne suis même pas sûre de le maîtriser correctement. Le coupai-je, en soupirant. »
Il passa sa main dans mes cheveux. Il n'avait lui aussi, aucune solution. Pourtant, j'étais sûre qu'on pouvait trouver quelque chose si on y réfléchissait bien. Sinon, le druide du savoir ne nous aurait pas laissés que tout les deux juste pour résoudre ce problème. Je savais que Fred, aussi tordu soit-il, semait des indices pour nous, sans être trop impliqué. Son rôle n'était pas d'arrêter Gabriel, c'était le nôtre.
« Leannan, je suis sûr que tu peux trouver. Me souffla-t-il, en continuant à me caresser la tête. »
Je tentais de me concentrer sur les voix, en essayant de chercher la plus proche d'entre elles. Ce n'était vraiment pas facile, ils parlaient vraiment tous en même temps. Cependant je devais me calmer pour pouvoir réussir. Elles pouvaient m'aider à rejoindre Peter et je ne devais penser qu'à lui. J'inspirai et expirai, afin de me focaliser sur la voix la plus proche. Je devais étendre mes sens, surtout celle de l'ouïe pour y arriver. La présence de Cameron à mes côtés, les multiples voix provenant de la forêt, ainsi que les autres dans la voiture. La forêt, elle-même, était un amas de vies et de présence, de bourdonnements et de bruits. Seulement, dans cette forêt, c'était comme si tout avait été déserté. Il ne restait plus que les voix qui m'appelaient. Il ne restait plus que des âmes errantes et en peine.
Je pouvais sentir la tristesse effleurée ma peau, tentant de passer au travers pour étreindre mon cœur. Cameron formait un bouclier autour de moi, empêchant ces émotions de venir en moi. Il était bien trop solide pour qu'elles le traversent. Mon regard noisette plongea dans le sien. Ses yeux me réchauffaient jusqu'aux tréfonds de mon âme.
J'ignorais si Fred connaissait déjà la solution, mais j'espérais que le contrecoup ne serait pas aussi fort à payer que les précédents. Je finis par me serrer contre mon loup, cherchant sa chaleur et son réconfort. Je n'avais vraiment aucune envie de faire ça. J'aurais préféré que ce soit comme le corps astral où je me sentais juste épuisée. Un frisson me parcourut l'échine, alors que je cherchais à m'enfoncer encore plus dans l'étreinte de Cameron.
« Leannan ça ne va pas ? Souffla-t-il à mon oreille.
– Si on fait tout ça, c'est pour être heureux. Commençai-je, en plongeant mon visage contre son cou.
– Avoir des enfants et tout ce que tu voudras. Poursuivit-il, comme si tout ce que je désirais, était ce qu'il voulait aussi.
– Ce que je voudrais.. C'est resté avec toi. Je n'ai pas besoin de grand chose. Juste toi, nos enfants et nos proches. Précisai-je, en me collant davantage à lui. »
Je sentis ses mains me caresser tendrement. Si seulement les problèmes pouvaient se régler comme ça. Quelques douces caresses, mais c'était utopique. Je sortis mon visage de son cou. Ce n'était pas en restant ainsi que les choses allaient s'arranger, même si je l'aurais bien voulu. Cameron posa ses lèvres sur les miennes, entamant un doux baiser. Ce n'était pas quelque chose d'intense, juste léger et affectueux, me disant qu'il serait à mes côtés quoi qu'il arrive. J'avais de nouveau envie de rester dans ses bras, mais le temps jouait contre nous. Les baisers et les câlins se feront à la toute fin, quand Gabriel serait hors d'état de nuire.
Je quittais le cocon protecteur des bras de mon loup. Je m'avançais jusqu'au ravin, fermant les yeux pour atteindre le plus profond de mon être. À l'endroit le plus sombre et le plus glacial, dans l'antre du serpent qui résidait en moi. Je n'y allais jamais là-bas, ou du moins, j'évitais d'y aller. Ce lieu aspirait mes émotions et me rendait insensible. Pourtant, c'était à cet endroit que je pouvais tirer le plus de pouvoir. L'antre du serpent était le territoire de la Bansidh qui résidait en moi, et cette dernière dévorait les émotions pour accroître sa force et se manifester.
« Cameron. L'appelai-je, sans même me tourner vers lui.
– Oui ? Me répondit-il, en s'éloignant d'un pas comme si il savait ce qui allait arriver.
– Si jamais je viens à me perdre... Ramène-moi auprès de toi. Soufflai-je, en priant de pouvoir revenir.
– Toujours. »
Je n'avais pas vraiment besoin de réponse pour savoir qu'il le ferait. Il était bien capable de me chasser à travers tout un pays, de me pardonner toutes les fautes que j'avais commises et les blessures que je lui avais faites. Il m'avait même sortie une fois de cet antre, alors je n'avais aucune raison de douter. Je pouvais m'y perdre, il finirait toujours pas me retrouver. Ce lieu sombre pouvait bien ressembler au labyrinthe du Minautore de la mythologie grecque, il réussirait à me retrouver et à m'en faire sortir.
Je m'avançais dans l'antre du serpent au fond de moi, me laissant envahir par les ondes de magie des pieds à la tête. Faisant ressortir ce que je refoulais en moi, la Bansidh.