1. Cookies et éclairs
Chan était irrité. Sa mère était en train d'écouter « Tu m'as pris mon chaudron mais tu n'auras pas mon cœur » de Célestina Moldubec qui passait sur la Radio Indépendante à Transmission Magique, et la voix nasillarde de la chanteuse se faisait entendre dans toute la maison. Lui qui essayait de réviser ses cours d'astronomie de l'an passé pour bien commencer l'année, c'était raté. Il tenta de passer outre les nuisances sonores et se concentrer sur ses leçons, mais quand une note de musique flottant dans l'air lui chatouilla le nez et le fit éternuer, il referma violemment sa lecture. Il se saisit de sa baguette qui était posée sur son bureau et brûla la pauvre note qui disparut dans un nuage de fumée. Il sortit de sa chambre et se rendit compte alors à quel point le volume était fort. Les mains sur les oreilles il alla jusqu'à la cuisine, passa à côté de sa génitrice et éteignit la radio en montrant son agacement, les notes de musiques qui flottaient jusque-là disparaissant soudainement. Sa mère remarqua enfin sa présence et se retourna, lâchant les légumes qu'elle tenait et qui continuèrent de s'éplucher tous seuls comme par magie en posant ses poings sur ses hanches pour affronter son fils.
- Christopher Bang ! J'écoutais je te signale !
- Et moi j'étudie maman !
- Pourquoi tu étudies alors que la rentrée est dans une semaine, sérieusement... tu es sûr de ne pas être un Serdaigle ?
- Oui. Et si tu pouvais baisser le volume et me laisser me concentrer ce serait aimable. Merci. J'ai mon ASPIC à la fin de l'année. fit-il d'une voix ferme
Il s'apprêtait à retourner dans sa chambre mais, quand il fut arrivé dans le couloir il entendit des coups être frappés à la porte. Sa mère se saisit des légumes qu'elle éplucha normalement avec un économe et quand Chan alla ouvrir il fut surpris de voir sur le palier un garçon aux cheveux noirs et au sourire adorable, bien que chargé par un appareil dentaire. Il ouvrit la bouche pour parler mais fut aussitôt propulsé sur le côté par sa mère qui était arrivée presque en courant pour faire un câlin au nouveau venu.
- Jeongin mon chéri ! Comment vas-tu ? Tes parents vont bien ? Mon dieu comme tu es beau ! Viens rentre. Tu as mangé ? Je fais le repas là restes manger avec nous ce soir.
Ledit Jeongin rendit son étreinte à madame Bang. Il adorait cette dame et la connaissait depuis tellement longtemps qu'il ne s'en souvenait plus.
- Maman tu parles trop...
- Ouhla mais t'es de mauvaise humeur toi aujourd'hui ! Tu as bien fait de venir Jeongin, monsieur n'arrête pas de bosser sa tête va exploser s'il continue.
Elle se défie enfin de son étreinte pour retourner dans la cuisine d'où elle venait, bougonnant contre son fils. Quand ils ne furent plus que tous les deux, Chan referma la porte d'entrée puis sourit en tendant les bras vers le plus jeune qui n'hésita pas une seconde à s'y blottir. Ils restèrent ainsi quelques secondes en profitant du contact de l'autre. Ils s'étaient manqués. Même s'ils étaient voisins et amis depuis l'enfance, ils se voyaient de moins en moins. Depuis sept ans pour être exact. Depuis que Chan était rentré dans une école privée loin de chez lui où il vivait en internat. Jeongin ne pouvait voir son ami que pendant les vacances, et encore, quand celui-ci quittait le nez de ses manuels scolaires. La preuve était que les vacances d'été étaient sur le point de se terminer mais que malgré les deux mois de répit qu'ils avaient eu ils ne s'étaient que très peu vus. Jeongin avait peur de voir Chan s'éloigner de la sorte. Il nourrissait à son égard des sentiments très fort et ressentait son absence comme un vrai manque.
- Tu m'as manqué.
- Toi aussi Innie. Viens, on va dans ma chambre.
Chan le lâcha pour monter les escaliers et Jeongin le suivit. Il s'arrêta en plein milieu pour regarder la silhouette du garçon qu'il aimait s'éloigner de lui. La main sur la rambarde, il le contemplait. Son dos semblait s'être élargi et ses cuisses avaient pris du muscle. Chan était un homme maintenant. Contrairement à lui, qui restait encore un petit garçon.
Sa poigne se resserra sur la bretelle de son sac à dos et il vit Chan se retourner pour le regarder. Il lui offrit un sourire qui fit s'envoler dans le ventre de Jeongin une nuée de papillons. Il lui sourit timidement à son tour et se décida finalement à continuer son chemin pour rejoindre son ami dans sa chambre. Là, il se jeta sur le lit aux côtés du garçon aux cheveux gris. Intrigué par le sac à dos de son ami ce dernier laissa sa voix résonner dans la chambre :
- Qu'est-ce que tu as dans ton sac ?
Jeongin se redressa subitement et un grand sourire prit place sur son visage. Pour toute réponse il sortit le contenu de son eastpak sous les yeux rieurs de Chan. C'était une console de jeux vidéo. Chan s'en saisit en rigolant pour aller la brancher à l'écran qui régnait dans sa chambre.
- Tu sais que je vais encore gagner ? plaisanta l'aîné
- On verra. Vu que t'étais pas là j'avais que ça à faire et j'ai eu le temps de beaucoup m'entraîner.
Chan se mordit la lèvre inférieure. Il ne savait pas si le noiraud avait fait exprès mais il avait pris cette phrase comme un reproche. Il était vrai qu'il n'était plus aussi présent que par le passé, et il s'en voulait vraiment. Il avait hâte d'obtenir son ASPIC, avec les meilleures notes possibles, pour pouvoir retourner aux côtés de son jeune ami.
Quand la console fut correctement branchée Jeongin lui lança un boitier de jeu et Chan ne put s'empêcher de rire en voyant de quoi il s'agissait. Mario Kart. Un classique. Il inséra le CD dans la console et alla s'assoir sur le lit alors que Jeongin se cala entre ses jambes, les fesses posées au sol. Le plus vieux passa une main dans les cheveux noirs de son dongsaeng qui sentait son cœur palpiter à ce contact. Mais quand l'écran annonça le coup d'envoi de la partie, Chan concentra ses deux mains sur sa manette, prêt à gagner. Déjà que de base il n'aimait pas perdre, si en plus il pouvait taquiner Jeongin après il allait donner le meilleur de lui-même.
Aussitôt que la partie démarra Chan prit la tête du classement sous le personnage de princesse Peach alors que Jeongin était à ses trousses avec Yoshi. Ils donnaient tous deux tout ce qu'ils avaient, juste pour le plaisir d'embêter l'autre par sa future défaite. Mais quand le troisième tour de parcours commença, Jeongin rentra dans un cube transparent et obtint à son plus grand plaisir une carapace bleue.
- Non non non non !
- MWAHAHAHAHAH !
Chan lâcha un cri en s'acharnant inutilement sur sa manette pour tenter d'atteindre la ligne d'arriver en premier.
- Et... BOUM !
Jeongin venait de lancer son attaque. Il franchit ainsi le premier la ligne d'arrivée tandis que l'australien se retrouvait à la cinquième place du classement.
- On fait une autre partie ?
- Attends laisse-moi digérer ma défaite, déjà...
Jeongin afficha un sourire fier de lui. Il quitta sa place pour aller s'assoir sur la chaise de bureau du propriétaire de la chambre.
Ils se mirent à discuter de tout et de rien. La mère du plus vieux entra dans la chambre pour leur donner des cookies à grignoter sur lesquels Jeongin se jeta. Il adorait les cookies, surtout ceux de madame Bang ! Le chocolat fondait sur la bouche avec délice et il avait toujours harcelé la dame pour savoir quel était son ingrédient secret pour leur donner un goût si parfait, mais elle n'avait jamais cédé. Chan demanda à Jeongin ses identifiants pour le site internet de son école pour regarder son bulletin. Il voulait agir comme un bon hyung. Jeongin était non seulement fils unique mais en plus adopté, alors il faisait tout ce qu'il pouvait pour s'occuper de lui et le soutenir.
- Il faut que tu augmentes tes notes en maths et en physique.
- Je sais hyung... mais j'aime pas ça et je comprends rien aux cours.
A ce moment-là Chan s'en voulait. Si seulement il suivait un cursus scolaire normal il aurait pu aider son dongsaeng. Mais ce n'était pas le cas.
Le regard de Jeongin fut attiré par un livre qui était ouvert sur le bureau du gris.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
En entendant sa voix curieuse Chan releva la tête de sa lecture. Quand il vit ce qu'il avait en main son sang ne fit qu'un tour et il bondit sur ses pieds, arrachant des mains du jeune le manuel d'astronomie qu'il tenait. Jeongin fut surpris d'une telle violence et Chan voulut s'excuser, mais Jeongin avait déjà posé son regard sur les autres ouvrages empilés sur le bureau. Il lut la tranche de trois d'entre eux. « Vie et habitat des animaux fantastiques » par Norbert Dragonneau, « Le livre des sorts et enchantements – niveau 7 » par Miranda Fauconnette et « Manuel de métamorphose avancée ». Jeongin fronçait les sourcils. Sur le côté il y avait un autre livre ouvert et rempli de marque pages. Il ressemblait beaucoup à un manuel scolaire et Jeongin en survola le contenu. Ouvert à la page deux cent treize, il vit inscrit en gros « Sortilège impardonnable : Doloris ». Le noiraud prit le livre entre ses mains avec précaution. Il le referma et vit sur la couverture « Affronter l'ennemi sans visage ».
C'était quoi encore ce bordel ?
- Chan... ?
Le gris déglutit difficilement.
- Me dis pas que... tu... as rejoint une sorte de secte bizarre ?
- Quoi ? Non !
- Ah ! Je sais ! Tu te lances dans l'écriture d'un livre fantastique ?
Chan hocha vivement la tête. Sans même le savoir Jeongin venait de lui donner une explication totalement plausible. Ce dernier était rassuré. Il adorait tout ce qui touchait au fantastique et au merveilleux ; ça le sortait de sa vie un peu trop monotone et il avait une imagination débordante. Mais tout ce qui était secte un peu bizarre, très peu pour lui. Un autre objet attira son attention et il le prit dans ses mains, fasciné.
- Et ça c'est quoi ?
Oh.
Merde.
- On dirait une baguette magique ahahah !
- C'est... juste un bout de bois que j'ai taillé pour mes recherches. Pour mon... mon livre, tu sais.
- Tu as l'air très impliqué.
- Je le suis.
Chan était tendu. Il savait que rien n'arriverait puisque les baguettes magiques ne pouvaient pas réagir avec quelqu'un dépourvu de toute âme magique. C'était malheureusement le phénomène qui se produisait chez les cracmols. Mais voir Jeongin jouer ainsi avec un objet si puissant le mettait tout de même dans un état de stress intense.
D'ailleurs, le voir agiter le bout de bois de droite à gauche de cette manière lui faisait penser qu'il devait s'entrainer pour réussir à lancer des sorts sans les prononcer. C'était signe d'une grande puissance et de nombreux sorciers n'y arrivaient pas, même avec des années d'entrainement. Mais Chan était ambitieux et déterminé et voulait marcher dans les pas de son père décédé. De nombreux professeurs qui connaissaient son père lui avaient fait remarquer sa ressemblance avec celui-ci, et c'était le meilleur compliment qu'on pouvait lui faire.
- Chan est-ce que tu...-
Puis tout se passa très vite.
La mère de Chan entra dans la chambre sans prévenir.
Jeongin sursauta, effrayé.
Et un éclair vint se loger dans l'encadrement de la porte de la chambre de Chan, à quelques centimètres du visage de sa mère qui restait pétrifiée de peur.
Que diable venait-il de se passer ?