Je sens mes membres se tendre entièrement suite à ses paroles.
Je ne parviens pas à empêcher mes yeux de s'écarquiller légèrement, et puis le choc passé, je tourne mon visage droit devant moi.
Nos amis discutent ensembles en marchant devant nous, sans nous prêter attention, et réalisant qu'Avril et moi sommes arrêtés, je me mets à marcher.
Le visage fixé droit devant moi, je chuchote en sentant Avril me suivre :
- Efface-les.
Mon ton est dur et sans appels, je ne cherche même pas à savoir comment ni pourquoi.
Je veux juste que ça disparaisse.
Avril éclate d'un léger rire mauvais, et elle réplique :
- Depuis quand tu donnes des ordres ?
Je rétorque sur le même ton :
- Depuis que nos langues sont visiblement plus indisciplinées que JP et toi réunis.
Avril ne trouve rien à répliquer, mais elle lâche un rire sec.
J'ajoute :
- Je suis sérieux, tu dois effacer ça maintenant.
Elle ne me répond pas, et son silence m'interpelle plus que l'une de ses paroles cinglantes.
Nous continuons de marcher en silence, et j'entends vaguement les conversations des autres. Alors que les miennes divaguent vers Avril.
Comme son silence se prolonge, je finis par tourner mon visage vers elle.
La jolie rousse semble perdue dans ses pensées, et interpellé je demande :
- Avril ? Tu vas bien ?
- Bien sûr.
- Menteuse.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je retrouve des photos compromettantes de nous, je t'en parle, et ta réaction est d'immédiatement les supprimer. Je suis censée le prendre comment ?
Ses paroles m'interpellent, et me forcent à me remettre en question.
Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, mais en effet c'est très vexant.
- Oh... Ce n'est pas ce que je voulais dire Avril.
- T'inquiète, je sais.
Elle détourne le regard, et je sens qu'il faut que j'insiste.
- On sait tous les deux pourquoi il faut supprimer ces photos.
- Je sais. Je le sais même mieux que toi.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Parce que c'est moi qui t'ai quitté.
Ses paroles m'assomment comme un coup de poignard, pourtant je reste debout.
Je ne comprends qu'à moitié ses paroles et leur sens, le sentiment de mystère qui plane est plus étouffante que l'atmosphère.
Je déglutis, et continue :
- On avait dit qu'on n'en reparlerait jamais.
- Parce que t'aurais préféré que je te cache ces photos ?
- Non évidemment, mais on les efface et on en parle plus.
- Ça ressortira tu le sais très bien.
- Oui, mais autant le cacher le plus longtemps possible.
Avril pousse un soupir excédé, et semble à deux doigts d'exploser.
- Plus on cachera de secrets plus la police s'attardera sur notre cas, remarque-t-elle d'une voix plus cassée.
- Je m'en branle.
- Ne fais pas l'idiot Théo.
- Je ne comprends rien à ton raisonnement là tu vois, pourquoi tu sembles tenir à ce que les autres découvrent cette histoire de... De photos ?
- Je n'y tiens pas.
- Alors pourquoi tu veux qu'on en parle ?
Cette discussion n'a aucun sens, rien n'est clair. Comme une grande tâche d'encre qu'on essayerait d'éclaircir avec un effaceur, mais qui finirait par ternir l'effaceur en lui-même. Et ainsi assombrir le tout.
- Je ne veux pas qu'on en parle ! Explose Avril. Mais on n'a pas le choix, on doit éclaircir certaines choses parce qu'à ce rythme là on ne retrouvera jamais Thalia !
- En quoi le fait qu'on se soit roulés une pelle a un rapport avec Thalia ? Je chuchote les dents serrées.
- La photo a été prise un peu avant minuit, et c'est déjà une indication sur l'endroit où nous étions. Et il y a autre chose.
- Quoi ?
- La photo, ce n'est pas un selfie.
Je me glace, mais tente de n'en rien montrer.
Je chuchote :
- Montre-la moi.
Avril s'exécute sans discuter, elle déverrouille son téléphone, et me le tends.
Je me penche sur le téléphone tout en marchant, et avise la photographie.
Ce qui me frappe immédiatement sur la photo, c'est nos visages à Avril et moi. Ils semblent complétement béats, comme... Comme si à cet instant, nous étions les personnes les plus heureuses du monde.
Nous avons les joues rouges tous les deux, j'encadre le visage d'Avril avec mes mains tandis que la rousse a les siennes sur ma taille. Nous sourions tous les deux, les yeux fermés.
Nous sommes visiblement assis dans l'herbe, et le flash a été allumé.
Nos mains sont prises à nous deux, ce qui est évident que c'est quelqu'un d'autre qui a pris la photo.
Donc quelqu'un sait.
Je rends le téléphone à sa propriétaire, et tente de tempérer :
- Ce n'est pas si grave, peut-être que la personne a juste pris ça pour un baiser sans équivoque.
- Peut-être c'est vrai. Mais dans le cas contraire ?
- Qui que ce soit, visiblement il ne s'en souvient pas, je dis.
Avril ne répond pas, mais pousse un soupir.
Je l'imite, résigné.
- Qu'est-ce qu'on fait ? Elle me demande alors que nous voyons le commissariat approcher.
Je réfléchis, et puis dis :
- Je ne vois pas en quoi cette photo peut faire avancer l'enquête. Tu devrais l'effacer, on serait plus tranquilles.
- Je n'y vois pas d'inconvénients, répond Avril calmement. Mais ce n'est pas quelque chose qu'on doit faire à la légère. Cacher délibérément une information à la police au cours d'une enquête...
- C'est un délit et un refus d'obtempérer, je complète à sa place. Je sais.
Je ne cesse de réfléchir à une issue, et d'envisager toutes les possibilités possibles.
Avril en vient sans doute à la même conclusion que moi, car elle dit :
- Bon, imaginons qu'on ne les efface pas. Rocher tombe dessus, et nous convoquera toi et moi pour en discuter. Si on lui dit que c'était secret et que nos amis ne le savent pas, il ne pourrait certainement pas nous laisser tranquille avec cette histoire. Ça paraît sans importance, sauf que c'est déjà un indice au cours de l'investigation.
- Tu as raison, je complète. Il va vouloir interroger nos amis pour savoir s'ils se souviennent avoir pris cette photo. Et s'ils répondent tous négativement, il conclura soit qu'ils mentent, soit que c'est Thalia qui l'a prise cette photo.
Avril se tourne face à moi.
- Tu n'avais rien dis à Thalia j'espère ?
- J'ai beau être un menteur au même titre que toi, je tiens mes promesses princesse. On avait dit secret d'état, donc secret d'état.
Elle ne répond pas, donc j'enchaîne :
- Dans tous les cas, Rocher n'en restera pas là. Alors que si on efface la photo, personne n'en saura jamais rien.
- Sauf si celui qui l'a prise s'en souvient subitement.
- Ça n'arrivera pas, et même si ça arrivait je ne vois pas où serait le problème, il faudrait juste demander à cette personne de ne rien dire.
Avril hoche la tête, et soupire.
Je demande :
- On l'efface ?
Elle plante son regard dans le mien cette fois.
J'y vois alors quelque chose que je suis incapable d'identifier, comme une sorte de mélange entre de la résignation et un désespoir infini, et puis elle dit :
- On l'efface.
***
Comme nous nous en doutions, le commandant nous a fait revenir pour réquisitionner nos portables.
- Ça ne durera que deux, trois heures maximums, nous rassure Rocher. Vous les récupèrerez vite.
Il nous adresse un sourire compatissant comme pour dire « les jeunes de nos jours toujours collés à vos portables ».
Ma sœur a disparue connard, tu crois vraiment que je vais noyer ma peine en jouant à Candy Crush ?
Nous nous apprêtons à partir quand Rocher m'interpelle :
- Théo ?
Mes amis s'arrêtent en même temps que moi, et je me retourne sans répondre.
- Je peux te parler ?
Je hoche la tête lentement, un peu anxieux, et Avril et Amy me lancent un regard compatissant.
Je m'avance vers le commandant, et il lance à mes amis :
- Merci beaucoup, vous pouvez rentrer chez vous. On vous rappellera si besoin.
Je les regarde partir, et puis en sortant, Avril me lance un regard indéchiffrable.
Je finis par suivre le commandant dans la salle d'interrogatoire.
Exténué je m'affale contre ma chaise, soupire, et ferme les yeux une seconde.
Le commandant s'installe en face de moi, pose des dossiers dont des photocopies et photographies visiblement, ainsi qu'un téléphone gris dans une pochette. Celui de Thalia.
- Je m'excuse de te garder un peu alors que tu voudrais sûrement dormir, me dit-il.
Je fais un vague geste de la main, désintéressé.
Le commandant se redresse, et m'observe.
- Est-ce que tu tiens le choc pour l'instant ?
Je ne prends même pas la peine de répondre, me contentant de lâche un rire sec.
Le commandant hoche la tête, et admet :
- Question débile, je l'admets.
Je n'ai pas l'arrogance de confirmer ses dires, bien que JP ou Avril ne s'en seraient pas privés.
Le commandant prend certains papiers, laisse passer un silence, puis demande :
- Est-ce que Thalia avait un petit ami ?
Sa question me surprend autant qu'elle me perturbe.
Parce qu'au lieu de penser aux relations amoureuses de Thalia, je suis immédiatement projeté dans les miennes.
La photo avec Avril s'imprime en grand écran soudain devant mes yeux. Je revois la rousse l'effacer, et sent à nouveau mon cœur se serrer à cette idée.
Je refoule au maximum ces pensées de ma tête, ça fait longtemps que je me suis interdit tout sentiments de ce genre, et que donc je n'en parle jamais.
Cette photo était magnifique.
Au fond, j'aurais rêvé la garder.
- Non, pas que je sache, je finis par répondre.
- Elle aurait pu te cacher quelque chose de ce genre ?
- Non, Thalia était incapable de me cacher quoique ce soit. Et elle me parlait toujours de ce genre de choses.
- Hum... Tu en es sûr ?
- Certain. Elle me parlait toujours des garçons avec qui elle sortait.
- Aurait-elle eu des raisons de te cacher une relation en particulier ?
Sa question m'intrigue cette fois, et je la trouve pertinente. J'y réfléchis plus en profondeur, et finis par dire :
- Je ne crois pas... Ce n'est pas son genre.
- Est-ce que tes parents sont homophobes ?
- Quoi ?
Cette fois, sa question me surprend plus qu'autre chose. Et puis je finis par comprendre où il veut en venir.
- Vous pensez que Thalia était lesbienne ?
- Pas forcément. Peut-être bisexuelle. A ce que j'ai compris, elle n'a eu des relations qu'avec des garçons jusqu'à maintenant, du moins à ce qu'on sache.
- Attendez, que cherchez-vous exactement ?
- Dans les cas de disparitions, les relations sociales sont les plus importantes à prendre en compte. Nous n'avons pas vraiment trouvé quelque chose du genre dans son téléphone, mais elle a pu supprimer des messages, des appels, des photos. Uniquement si elle cachait sa relation. Alors je me demande si elle n'était pas secrètement en couple avec une fille.
Sa remarque n'est pas du tout idiote, et c'est cette réflexion qui me met au plus mal.
Non pas que moi, je suis homophobe et que j'aimerais moins ma sœur si elle était homo ou bi, pas du tout. Ce serait surtout le fait qu'elle me l'ait caché pendant si longtemps qui me détruirait.
- Je suis désolé... Mais en tout cas je ne sais rien là-dessus, je souffle.
Un détail me revient soudain en tête. Ce secret dont elle ne voulait visiblement pas me parler. Et sur lequel je n'ai pas insisté pour la laisser tranquille.
J'aurais peut-être dû finalement.
Sauf qu'elle cachait quelque chose dans son téléphone visiblement, a-t-elle tout effacé ?
- Vous n'avez vraiment rien trouvé ? Je demande.
- Non, répond le commandant.
Il n'ajoute rien, et je m'interroge.
Thalia a-t-elle effacé toute trace d'une quelconque relation dans son téléphone ? Si oui, pourquoi ?
Ou sinon, est-ce que le commandant en sait plus qu'il n'en dit, et cherche à savoir ce que moi je sais ?
Trop de secrets, de mystères, de points noirs.
Plus d'interrogations se rajoutent chaque heure qui passent.
Et je commence à me demander sérieusement combien de secrets je vais finir par découvrir avec cette histoire.