Évidemment, je n'ai pas dormi de la nuit, mais c'était prévisible.
J'ai passé de longues heures à tendre l'oreille, guettant du bruit de l'autre côté du mur, dans la chambre de Thalia.
Attendant d'entendre ses pas sur le parquet qui grince, d'entendre la porte de sa chambre coulisser, de l'entendre se cogner contre son piano, ce qu'elle fait à chaque fois qu'elle rentre dans sa chambre dans le noir.
Mais rien, le silence régnait de l'autre côté du mur.
A chaque fois que j'ai senti le sommeil venir, je me redressais en sursaut croyant avoir entendu Thalia rentrer.
Mais elle n'est pas la rentrée cette nuit-là.
Nous sommes dimanche, il est 13h de l'après-midi, et je n'ai pas bougé de mon lit depuis que mes parents et moi sommes rentrés vers 5 heures du matin.
La police nous a retenu pour poser des questions à mes parents tandis que les recherches continuaient, et le commandant nous a évidemment assuré que nous serions tenus au courant s'ils retrouvaient Thalia.
En vie ou non.
Cette dernière pensée me glace le sang, et je préfère ne même pas envisager cette possibilité.
Même si une grande part de moi a déjà perdu espoir malheureusement.
Ce genre de cas, les disparitions, n'aboutissent que rarement à un dénouement heureux.
Je nourris mes derniers espoirs dans le temps en réalité.
Cela ne fait qu'une dizaine d'heures que nous n'avons plus vu Thalia, elle peut être n'importe où, et ce peut encore être une fugue.
Je n'y crois pas évidemment, mais je préférerais ça plutôt... plutôt qu'autre chose.
Elle peut encore revenir, toute guillerette et joyeuse en annonçant qu'elle avait besoin de s'isoler.
Même si ça ne lui ressemble pas du tout, elle aime les gens, la compagnie.
Contrairement à moi qui ne supporte que notre petit groupe.
La dure réalité me rattrape bien vite.
Demain je dois retourner en cours comme si de rien n'était, et surtout, sans Thalia.
L'information a du mal à se frayer un chemin dans ma tête.
Je ne peux pas croire qu'elle ne soit plus là, elle va revenir.
Mais plus les minutes passent, plus j'ai peur.
Les questions affluent par centaines dans mon esprit, et c'est très dur de faire le tri.
Que s'est il passé ? Où est elle ? Quand est ce qu'elle va revenir ? Est ce qu'elle va bien ?
Impossible de répondre à aucune de ces questions.
Mon téléphone vibre sur ma table de nuit, et je le saisis en le déverrouillant.
Notre groupe snap est actif, et j'ouvre la conversation.
Le nom de Thalia n'est marqué nul part, elle n'a vu aucun message.
Son téléphone a été saisit par la police, ils espèrent trouver des informations dedans.
C'est une question qui reste en suspens aussi, pourquoi étais je en possession de son téléphone ?
Pourquoi ne l'avait elle pas avec elle ?
Les messages de mes amis se sont enchaînés, nous sommes tous censés rester disponibles au cas où la police voudrait nous interroger de nouveau, et elle le fera.
Les messages ne sont que des vocaux quasiment.
JP : Bon... je crois qu'on ne refera plus de soirées chez moi xD
Sa tentative d'humour est visiblement tombée à plat :
Amy : JP arrête toi juste deux minutes...
JP : désolé, je ne supporte pas cette situation
Val : Je crois qu'on est tous dans ce cas là...
Amy : J'ai envie de pleurer
Simon : C'est normal c'est assez traumatisant
Val : Il faut rester positif, elle va revenir on la connaît, elle s'est peut être perdue et elle av se réveiller au milieu de nul part...
Le vocal suivant est celui d'Avril, et son ton est très sec :
Avril : C'est ça. Et la police ne l'aurait pas retrouvée avec toutes les recherches qu'ils ont faites.
Je grimace. Avril a toujours été très pessimiste, et malheureusement, sa phrase traduit mes pensées.
JP : Garde espoir petite sorcière...
Elle a vu, mais pas répondu.
Amy : Je suis épuisée...
Val : Pareil... j'ai rien pu dormir...
Amy : et on est censés retourner travailler dès demain...
JP : Les flics ne peuvent pas nous faire une dispense ?
Avril : mais bien sûr, et des vacances aux Bahamas tant que t'y es ?
Val : Avril calme toi...
Avril : C'est super facile à dire ça gamin
Amy : S'il te plaît... t'es encore plus dure que d'habitude
Avril : Un peu normal vu la situation vous croyez pas ?
Simon : Bon laissez la tranquille, on est tous un peu choqués
Val : Carrément... je sais pas trop quoi penser à vrai dire... à part que je ne toucherai plus a l'alcool avant un moment
Amy : Tu dis toujours ça mon coeur et tu le fais jamais
Val : Ouais mais la...
JP : on a consommé que de l'alcool au fait ?
Avril : Ben tiens
Simon : Évidemment JP, a quoi tu penses ?
JP : Je ne sais pas mais... on a pas été drogués par exemple ?
Val : Par qui ?
Il y a un grand creux entre la réponse de Val et la suivante, et je comprends les pensées qui ont traversées mes amis.
Ils ont imaginé que Thalia a pu... être tuée par quelqu'un, et que ce quelqu'un a cherché à nous droguer ?
Mais l'esprit terre à terre d'Avril a vite brisé leurs illusions :
Avril : Vous avez déjà oublié les tests de dépistage qu'on a passé ?
Simon : Elle a raison, si on avait été drogués les policiers l'auraient su
Amy : Bon c'est déjà ça...
Val : Mais rien ne dit que Thalia n'a pas consommé...
Avril : Parce que tu va la traiter de junkie maintenant ?
Val : Non, mais je ne sais pas elle avait peut être des secrets ?
JP : Ne parle pas d'elle au passé s'il te plaît
Val : Excusez moi...
Valentin s'est ensuite tu, tandis que la conversation continuait :
Amy : Non, elle me disait tout, elle ne cachait vraiment rien et puis vous la connaissez...
JP : C'est vrai elle est incapable de mentir
Simon : Je pense que ça ne sert à rien de se torturer le cerveau, de toute façon les flics font leur boulot on aura bientôt des nouvelles...
Amy : Elle me manque déjà
JP : A moi aussi Amy
Simon : Pareil, mais il faut rester positif
Val : Elle va revenir
La discussion s'arrête là, et le dernier message date d'il y a 13 minutes.
Avril n'a presque pas parlé, et je sais que pour elle il n'y a déjà plus d'espoir.
Elle est furieuse, et a déjà dépassé l'étape du déni visiblement.
Amy ne va pas tarder à s'effondrer de chagrin, Valentin tentera tant bien que mal de l'aider, JP voudra détendre l'atmosphère en blaguant, et Simon cherchera à rester positif et calme.
La plus dure à gérer sera Avril, de très loin, et je sais d'ores et déjà que les autres compteront sur moi pour la calmer.
Mais comment apaiser la colère de quelqu'un quand la vôtre est mille fois plus puissante ?
Mes pensées tournent en boucle autour de cette putain de soirée.
Comment mes amis peuvent ne pas du tout se souvenir d'une partie de la soirée ?
Je dois les voir au plus vite, pour essayer de comprendre.
En rassemblant nos témoignages, c'est forcément possible de comprendre ce qu'il s'est produit ?
Moi je me suis endormi, donc c'est évident que je ne me souvienne pas, mais eux ? Même si l'alcool est un facteur important à prendre en compte, ils ne peuvent pas avoir de trou noir si ?
Je dis ça, mais avant cette histoire de seau d'eau versé sur ma tête, je ne me souviens de rien auparav...
Un petit événement me revient soudain.
Je me revois allonger dans l'herbe, la tête qui tourne, Avril me tombant dessus.
Je revois le visage de JP se pencher sur nous et puis mon amie et moi nous appuyer sur lui.
Comment suis-je arrivé dans le jardin ? Qu'est ce qu'il m'est passé par la tête pour sortir alors qu'on était à l'intérieur ?
Et surtout, la question qui me taraude le plus, qu'est ce qui m'a pris de boire ?
Je n'aime pas l'alcool bordel, je n'aime même pas le goût, ça n'a rien à voir avec les effets que ça produit.
Pourquoi, là, j'ai bu ?
C'est par hasard, ou au contraire...
Est-ce une coïncidence que je me sois bourré la gueule le soir où Thalia a disparue ?
Ou est ce qu'on m'a fait boire justement ?
Je retiens un grognement, plus frustré que jamais.
Je suis persuadé que mes amis pourraient m'éclairer sur bien des points, mais si comme ils le disent, ils ne se souviennent de rien.
Les yeux fixés sur mon téléphone, je laisse mes pensées dérivées.
Puis je ferme les yeux.
Où ai-je retrouvé mon téléphone déjà ? Puisque j'avais celui de Thalia ?
Je remets en marche mes souvenirs du mieux que je peux.
Si je ne peux pas me rappeler de rien avant que je m'endorme, qu'en est-il d'après ?
C'est vague et flou, mais je me souviens me lever, trouver le téléphone de Thalia qui sonne dans ma poche, décrocher et me retrouver avec JP.
Il me dit de les rejoindre... Il devait m'envoyer sa position.
A partir de là, c'est flou également, je me souviens avoir titubé jusqu'à la sortie de la maison, et suivit le point bleu sur la carte.
Ensuite c'est brouillon, comme dans un rêve, et puis je me retrouve dans les bois je crois, aux côtés de mes amis. Sans Thalia.
Donc elle avait déjà disparue, le truc ce serait de savoir l'heure qu'il était.
Les flics ont gardé le téléphone de Thalia pour enquêter, mais c'était JP qui appelait, il peut aller dans son historique pour regarder l'heure.
Je tape à toute vitesse un message sur notre conversation de groupe, et aussitôt je vois presque tout le monde venir sur la conversation.
Sans doute curieux de ce que je peux bien dire dans une épreuve comme celle-là.
Théo : JP, tu peux regarder dans ton historique des appels à quelle heure tu as appelé Thalia ?
JP : Si tu veux.
Je le vois quitter la conversation une minute, puis revenir :
JP : Mec, il y a plusieurs appels...
Théo : Liste-les.
JP : Dans la soirée d'hier ils se sont enchaînés vers 3h30.
Théo : Tu peux me donner les horaires exacts ?
Val : Qu'est-ce que tu cherches Théo ?
Avril : A ton avis ?
Simon : Il veut savoir à partir de quelle heure Thalia a disparue de la circulation sans doute. Puisque nous nous ne nous souvenons pas, le téléphone sait
JP : Un à 3h24, un deuxième à 3h25, un troisième à 3h29, et un dernier à 3h32. C'est là que tu as répondu Théo
Théo : Ouais, donc c'était moi qui l'avait tout ce temps... Et si toi tu l'as appelée à ce moment-là c'est que c'est à partir de là qu'on ne l'a plus vue
Avril : Regardez tous dans vos téléphones
La réflexion d'Avril me paraît soudain évidente, et puis nous quittons tous la conversation pour fouiller dans notre téléphone.
Par instinct, je vais dans l'onglet photo.
Ce qui apparaît soudain me surprend plus que tout.
Je pâlis soudain à vue d'œil, et retourne immédiatement dans la conversation snapchat.
Théo : Je crois qu'il faut qu'on se voie.
Peu à peu, ils reviennent tous.
Amy : Mon dieu
Valentin : C'est clair, je ne bois plus jamais
Avril : Il faut qu'on se voie au plus vite, les flics vont réquisitionner nos téléphones pour enquêter. C'est déjà surprenant qu'ils ne l'aient pas encore fait
Théo : Ils n'avaient sûrement pas encore de mandat, mais ils doivent se débrouiller pour l'avoir au plus vite donc ce n'est qu'une question de minutes
Avril : OK, on se rejoint tous au parc de la roseraie dès que vous pouvez bouger
Simon : Je suis d'accord, on doit discuter de ce qu'il y a dans nos téléphones avant la police
Amy : Vous ne comptez rien cacher aux flics j'espère ?
Simon : Non bien sûr, mais il faut quand même qu'on mette certaines choses au clair et qu'on essaye de comprendre
Théo : Moi, je ne promets rien.