Le Murmure des Anges

By LesCrisVains

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Depuis l'âge de six ans, Do-Anne entend des voix dans sa tête : celles des Anges, êtres mystérieux porteurs d... More

I- Je suis Do-Anne
II-Je suis folle
III- Je suis Jeanne d'Arc
IV- Je suis jeune
V. Je suis séduite
VI. Je suis M. Broken
VII. Je suis trop imaginative
VIII. Je suis tourmentée
IX. Je suis Takdir
X. Je suis vacillante
XI. Je suis presque morte
XII. Je suis ailleurs
XIV. Je suis Seseorang
XV. Je suis tantôt l'un tantôt l'autre
XVI. Je suis mille à la fois
XVII. Je suis parmi les ruines
XVIII. Je suis Penghormatan
XIX. Je suis la Belle
XX. Je suis Puteri.
XXI. Je suis la reine de la fête
XXII. Je suis Kebodohan
XXIII. Je suis Binatang
XXIV. Je ne suis personne

XIII. Je suis loin d'eux

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By LesCrisVains


"Où est Do-Anne? lance ma mère, dont le visage s'affiche sur l'eau.

La scène se passe au salon, qui sert aussi d'entrée. Mme Vabien se tient bien droite sur le canapé, les mains sur son pantalon blanc; nerveuse sans parvenir à le cacher. Vient-elle pour moi, pour encore me droguer, pour encore me cantonner au lit et aux nuits sans rêve?

Trop tard, si c'est cela: je me suis échappée de son monde.

Si elle ne cherchait pas tant à m'aider,  je l'en voudrais presque. Elle empoisonne les âmes car on l'a éduquée comme empoisonneuse. Moi je délire, car on m'a éduquée comme folle.

-Elle est partie dans sa chambre, répond mon père.

-Elle dort?

-Je crois que non...

Ils m'imaginent tous encore là, avec eux. Mais non, pourtant, je suis déjà partie... Mme Vabien se lève soudain en déclarant:

-Si elle est réveillée, alors je vais lui parler...

-Lui parler de quoi? coupe mon père, anxieux.

Elle ferme les yeux un instant. De l'autre côté du miroir, mon ventre se noue.

-Do-Anne enchaîne les crises, depuis quelques temps et... Il vaudrait mieux, pour son bien, la... la mettre dans un établissement mieux équipé, où elle sera prise en charge d'une façon... plus sérieuse.

-Un hôpital psychiatrique? souffle ma génitrice, tout à coup livide comme un être d'outre-tombe.

Elle non plus n'ose y croire. Ne devais-je pas voir dans ce lac les bonheurs que j'allais perdre? Ou bien, le Terminus m'encouragerait-il à avancer..? La réalité, du moins ma réalité, m'apparait sous un jour de plus en plus terrible.

-Oui,acquiesce ma psychologue.

Pour une fois, elle ne rajoute pas de formules censées rassurer; pas de "rien de grave", pas de"tout ira bien". Juste un aveu glacé, un diagnostic: la folie pour de bon. Mon père ébranlé attrape le bras de la spécialiste.

-Attendez! Vous ne pouvez pas lui dire ça ainsi! Elle... enfin... Il n'y a pas une autre solution?

-Désolée."

Et dans sa voix, je la sens sincère. Mme Vabien se rend là-dessus dans ma chambre. J'ignore ce qu'elle va découvrir: dans quelle position se trouve mon corps? Suis-je morte? Endormie? Debout, à gesticuler comme une somnambule? La réponse vient vite: je suis sur le plancher, roulée en boule, la respiration lente, plus fragile que jamais. Pareille vision me déconcerte quelque peu: cet être frêle,c'est moi, c'est ma coquille vide. Aux pieds de mon lit, la tête penchée vers l'impassible grande armoire, je gis d'une façon lamentable.

"Do-Anne?

Mme Vabien accourt. Aussitôt mes parents rappliquent, alertés par son cri étouffé.

-Do-Anne!

Je suis partie, j'ai fini par rejoindre les Anges, je suis sur le trajet pour le Ciel, inutile de chercher à me réveiller, ne vous inquiétez pas trop, je dois aller jusqu'au bout de cette histoire... J'aurais voulu leur parler, mais mes explications ne les auraient pas rassurés, loin de là. Cela aurait précipité mon départ pour l'asile. L'asile... Ce mot a un goût détestable, dissonant, désagréable à l'oreille et au coeur. Voilà, je suis une véritable folle, c'est officiel.
-Bon sang, que s'est-il passé?

Je réalise alors que mon lit est sens dessus dessous. A ce que je vois, je n'ai pas quitté la réalité sans violence... Mes parents m'attrapent l'épaule, cherchant à me ramener chez eux. Inutile. Ma petite enveloppe vide ne se réveille pas.

Un peu de doute teinté de tristesse me prend tout à coup: et si j'avais fait le mauvais choix? Non, pas de regret à avoir. Dans tous les cas, j'aurais fini ainsi. Cela s'est simplement fait un peu plus vite. Basculement trop brusque? Je ne peux pas vivre à jamais dans un lit, face à une grande armoire... Une adolescente doit bouger, vivre avec intensité les choses avant d'être rattrapée par l'âge adulte. Poursuivre la fête jusqu'à ce que l'aube naisse.

Le lac frémit de nouveau, brouillant la scène. Adieu, visages soucieux de mes géniteurs. Adieu, vie d'avant.

"Alors? m'interroge le maigre personnage du Terminus.

Mes yeux se ferment un instant pour chasser tous mes doutes. Peu importe que je lutte ou non, puisque tout aboutit à ce dérapage.

-Je continue.

-Tes parents ne te manqueront pas..? Et le garçon que tu as embrassé..?

-Une folle n'aurait pas pu les garder longtemps.

Il m'observe avec un profond respect.

-Je t'envie cette sagesse, soupire-t-il finalement. J'aurais aimé faire de même, quand j'étais à ta place...

-Vous avez été à ma place?

-Oui. Il y a des années. Je vivais la même chose que toi. Enfin moi, je ne venais pas tout à fait de ton monde, ni tout à fait de celui où vivent les Anges. Enfin, le Ciel... Le Terminus fait l'aller, mais le sens inverse est impossible. J'aurais dû aller ailleurs. Mais je ne l'ai pas fait...

-Ysmel?

-Oui, Ysmel!.. Encore et toujours elle!.. Je n'étais pas à ma place ici, mais je n'ai pas quitté le Terminus. Je l'aime, ma chère. L'amour rend fou, pense à t'en méfier... Enfin, assez parlé de moi. J'ai fini par trouver un rôle, un rôle solitaire, ne parlant qu'avec des voyageurs vite repartis -quand voyageurs il y a. Tu es la première que je vois depuis des lustres... Mais peu importe, je disais donc: vois-tu cette luciole?

-Oui.

-C'est ton train."

Je fronce les sourcils, un peu étonnée par cette affirmation. Comment un insecte peut-il..? A peine ai-je cligné les yeux qu'à présent, la lumière n'est plus celle d'une luciole mais les phares lointains d'un train.

Dans un joyeux bruit de locomotive, l'engin surréaliste s'approche à grande vitesse, puis s'arrête à la lisière de la forêt, juste en face de moi. Malgré la relative pénombre, je distingue ses fières couleurs rouge, noir et or. Les engrenages, comme surgis du passé, étincellent à la lumière de la Lune. Tout semble d'un autre âge, jailli d'un film des frères Lumière. Qui plus est, personne ne se trouve à l'intérieur: ni conducteur ni passager.

Mon hôte éclate de rire, me pousse dans un wagon, claque la portière, puis s'exclame:

"Terminus de la réalité, tout le monde descend! Exceptée toi, ma chère!"

La locomotive siffle avant de repartir à folle allure, entourée de sa fumée grise qui se rêve nuage. Le train file, encore et encore, traverse d'infinies plaines vierges baignées d'obscurité.

Quant à moi, je songe à l'histoire de l'homme mince. L'amour. Sais-je seulement ce dont il s'agit, au fond? Et c'est trop tard pour le découvrir. Là-bas, chez les Anges, je ne pourrai pas faire machine arrière.

Assise sur une banquette en velours, la joue contre la vitre, je songe à tout ce que je rate. Mais aussi à tout ce que je gagnerai, consciente que je vais vivre une aventure dépassant l'ordinaire. Tout le monde n'a pas la chance d'être fou. A cette idée, un sourire ironique naît sur mes lèvres.

Le train, lui, continue sa route sur ces plaines grises. Pas un oiseau ne gazouille; en fait, pas un être vivant n'a montré signe de vie depuis que j'ai quitté le Terminus. Seul le bruit métallique des rails et des moteurs rompt le silence. Aucune voix ne vient me tourmenter. Les Anges ont disparu en même temps que j'ai quitté la réalité. J'écoute un instant la berceuse mécanique du train.

Tchac-tchac-tchac.

Quand s'achèvera mon voyage? Quand arriverai-je au Ciel? Et surtout, là-bas, que découvrirai-je? Toutes les atroces histoires que m'ont contées les Anges me reviennent à l'esprit. Le souvenir du massacre. Je sens encore dans chaque partie de mon corps la terreur de Takdir. Le monde des Anges se résume-t-il maintenant à un champ de ruines? Les Anges renégats, ceux qui tuèrent les leurs, détiennent-ils désormais le pouvoir? Tant de questions se bousculent dans mon crâne... Hier encore, des voix me taraudaient. A présent, ce sont des doutes.

Tchac-tchac-tchac. Tchac-tchac-tchac. Tchac-tchac... Clonk.

La mélodie de la locomotive change brusquement. Les moteurs accélèrent tout à coup, me plaquant au passage contre le dossier de velours. Je perds mon souffle sous le choc de la surprise. Que se passe-t-il?

L'engin s'embarque dans une inattendue folie. Le paysage se trouble, les plaines perdent de leur netteté. Je me retiens de crier, la mâchoire crispée, le coeur affolé. J'oublie que ce monde-là n'est pas réel. Ce n'est qu'au bout d'un moment que je comprends: j'arrive à ma destination.

Après ce grand fracas, je verrai le Ciel.

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