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Chapitre 4 -Lune Noire-
Il faisait nuit noir, les étoiles scintillaient et le camp entier étaient réuni autour du feu, le cœur de leur installation. Tania se leva, le silence se fit sans qu'elle n'ait à le demander.
« -Doit-on garder Joaquim Rudy Griffin, ici présente, parmi nous ?
-Juste Joaquim, rectifia-t-elle nonchalamment. »
Ce qui lui valut un regard de la chef des plus glacials.
« -Certains juge sa présence dangereuse pour la survie du camp car, en effet, elle est recherchée par l'armée.
-De toute façon, ils vous venir vous chercher, chuchota Joe tout bas. Avant les chutes de neiges, avant que le blizzard engloutissent la région.»
Elle soupira lourdement mais n'ajouta rien, elle était plus préoccupée par ses blessures que son propre sort dans le clan. Les derniers jours l'avaient vidée, elle était presque étranger à son corps, son esprit vagabondait sans jamais s'arrêtait sur quelque chose de précis. Murphy, quant à lui, se leva brusquement, en posture de défi face à celle qui l'avait recueilli quelques années plus tôt.
« -C'est une rebelle comme nous, depuis quand on rejette les nouveaux arrivants comme cela ?
-Elle est dangereuse ! cria quelqu'un.
-J'ai passé deux ans seule, je peux continuer, dit-elle. »
Puis s'ensuivit un débat enflammé entre les rebelles, leur visage colérique rougi par les flammes dansantes s'éveillait et se déformait par la rage. La tête de la jeune fille allait exploser. Il y avait trop de bruits à la fois, elle était perdue et suffoquait sous l'air emplit de tension. Elle ne discernait plus aucune phrase, aucun mot. Elle se leva et partit, de toute façon, elle n'avait pas de voix dans leur décision. Et franchement, elle s'en fichait, le calme l'appelait.
Ils l'appelèrent, la sifflèrent mais elle continua son chemin, mettant un pied devant l'autre sans savoir où aller. Joaquim récupéra son carnet à dessin et monta dans la forêt. Son sort ne l'importait peu, elle était en vie et cela lui suffisait. Elle s'installa sur une grosse pierre et dessina à la lumière de la lune qui faisait ressortir son visage creux et fatigué.
Elle dessina d'abord sa famille de nouveau puis Tania, son regard froid et sa crinière de cheveux noirs ; Murphy, son air innocent et ses lunettes et Charlotte, sa cicatrice et ses longs cheveux bruns. Le crayon qui glissait sur le papier lui fit du bien, le doux raclement de la mine de plomb était telle une berceuse pour laisser apparaître des courbes figées. Ces derniers jours, elle était trop sur les nerfs pour ouvrir son carnet. Le nez dans sa page par le peu de luminosité, elle n'entendit pas Charlotte et Murphy arriver.
« -Tu dessines super bien, s'exclama la française. »
Joe ferma précipitamment son calepin, des feuilles volèrent mais elle les rattrapa avant qu'elles ne trempent dans la boue. Elle n'aimait pas que les gens regardent ses dessins, c'était les siens. Ses parents n'avaient jamais vu ses œuvres à part quelques projets d'école, elle le regrettait amèrement mais c'était trop tard.
« -Mais ... euh ... »
Devant l'air de chien battu de Charlotte, elle lui donna son carnet mais plaqua ses paumes de mains fébriles sur son visage par peur de sa réaction. Mais aucun des deux ne parla, laissant le vent souffler sur les arbres. Elle ouvrit un œil, ils étaient en train de regarder un paysage, leurs doigts caressaient les montagnes et les arbres tordus.
« -Tu as un putain de don !
-Charmant, ria-t-elle. »
Ils tournèrent les pages jusqu'à tomber sur les croquis de leurs portraits. Celui de Tania lui rappela pourquoi elle était là, accroupie sur un rocher à la merci du froid mordant.
« -Finalement, qu'ont-ils décidé ? »
Ils se regardèrent pendant une longue minute, hésitant comme jamais devant la survivante qu'ils avaient trouvé ce matin mais elle ne pouvait plus attendre.
« -Tu dois partir, souffla Charlotte.
-48 pour ton départ et 13 contre, ajouta Murphy.
-Tania a voté quoi ? demanda-t-elle, curieuse de connaître la position de la chef mais elle se doutait de la réponse.
-Selon elle, la sécurité des siens est prioritaire. C'est complètement débile car tu fais partie des nôtres. Mais elle a peur des représailles de l'armée.
-Mais après maintes réflexions, nous avons décidé, tous les deux, de partir avec toi, s'exclama Murphy. »
Elle releva la tête, surprise. La jeune Griffin ne s'attendait pas à cela, pour elle ce n'était qu'un autre départ solitaire en montagne, à marcher des kilomètres pour partir au plus loin de New York et des militaires qui voulaient sa mort. Partir enfin vers des contrées plus lointaines, la côte ouest lui faisait terriblement envie. Elle rêvait depuis toute petite de se rendre en Californie.
« -Mais tu ne va pas abandonner ta sœur ! Et puis où allons nous aller ?
-J'ai 19 ans je te rappelle, je peux largement me débrouiller et j'en ai marre de vivre sous sa responsabilité. Je veux être libre, expliqua-t-il sûr de lui.
-Et moi, je n'ai plus personne depuis 4 ans donc autant partir et découvrir de nouvelles choses. Et puis l'occasion ne se représentera pas. Donc c'est décidé, on vient avec toi !
-Je suis touchée, leur confia-t-elle. Je ne vous connais depuis quelques heures mais vous êtes déjà mes amis. Cela fait quatre ans que je vous attendais les gars ! plaisanta-t-elle.
-Bon prochaine étape, le dire au camp. Nous allons nous faire crier dessus, je parie qu'ils vont nous dire que l'on a perdu la tête ! leur apprit Charlotte. »
Ils descendirent du caillou et rentrèrent au campement, leur souffle formait un petit nuage qui s'élevait jusqu'à la cime des arbres. Plusieurs kilomètres plus loin, la ville de New-York s'imposait sur la côte, comme une forteresse imprenable figée dans des lumières mouvantes et jaillissantes.
Les gens étaient toujours autour du feu, toutefois ils se racontaient maintenant des histoires qui fascinèrent Joe. Murphy se racla la gorge pour attirer l'attention. Tania jeta un regard rempli de haine envers la jeune fille. Celle-ci comprit qu'elle ne l'aimait définitivement pas.
« -Nous avons une grande nouvelle à vous annoncer, commença-t-il un peu mal-à-l'aise. Avec Cha' et Joaquim, nous partons du camp. La menace de l'armée devient plus importante chaque jour et il est temps de partir avant que le camp ne soit raser davant nos yeux et que l'on finisse dans les flammes de leurs bombes. »
Des chuchotements se firent entendre dans la foule, attisant les curiosités méfiantes. Morgan se redressa aussitôt, les yeux brûlants, et hurla :
« -Toi tu restes ici ! dit-elle en s'adressant à son frère.
-J'ai 19 ans Morgan, ce n'est pas toi qui va dire quoi faire. »
Elle s'approcha et pointa du doigt Joaquim d'un doigt osseux, une expression féroce sur le visage. La concernée se liquéfia face à la colère de cette femme.
« -C'est de ta faute ! » hurla-t-elle une fois de plus.
Tania leva une main pour la faire taire et fit le silence autour du feu de camp, les conversations ne furent qu'un léger bruit de fond. L'autorité qui émanait d'elle était sans appel.
« -Si ces trois jeunes gens veulent quitter le camp pour partir vers le danger et la mort, qu'ils le fassent. Ils sont libres, ce camp n'est en rien une prison.
-J'ai vécu quatre ans dans la forêt, j'ai survécu. Et puis, ce n'est pas en restant plantés là que nous allons faire bouger les choses, renchérit Joaquim.
-Je suis réaliste, c'est tout. C'est sans espoir. Nous sommes déjà morts. Dans quelques années, les rebelles auront disparus de la surface de la Terre. Nous apparaîtront dans les livres d'histoire de la jeunesse élitiste en temps que vermine qui leur ont fait perdre leur temps. Un souvenir amer pour le gouvernement, une étincelle éteinte trop tôt pour les résistants de la ville s'ils s'existent.
-Vous êtes trop pessimiste. Je vais essayer de faire quelque chose ! Je n'ai rien fait pendant deux longues années car j'étais seule et j'ignorais tout des faits. Mais maintenant je sais et je n'ai pas l'attention de baisser les bras. »
Hayes et Callista ne mirent pas longtemps à rejoindre le trio, la tête baissée sous les regards des rebelles. Ils avaient pris leur courage à deux mains pour se lever mais affronter le camp ne les ravissait guère. Hayes était le benjamin du camp, plusieurs adultes s''inquiètèrent pour lui mais il fit la sourde oreille.
« -Les jeunes se rebellent, ironisa la chef du camp. On ne pleura pas votre mort, soyez en sûrs !
-Vous êtes folle, murmura-t-elle. Nous partons demain matin, à l'aube. »
Sur ces mots, les rebelles partirent peu à peu dans leurs tentes, lassés de la bataille d'autant plus que le conseil de ce soir avait pris fin. Morgan avait la tête dans les mains, assise sur un tronc, et était secouée par des sanglots. Murphy lui murmura une excuse minable et partit faire son sac. Les nouveaux camarades de Joe aussi. Callista avait dix-huit ans, elle était petite et très musclée et il lui restait un semblant de teinture rouge aux pointes. Quand à Hayes, il avait quatorze ans et des cheveux mi-longs bruns. Si Callista avait un regard de braise, Hayes semblait perdu.
La jeune Griffin partit de son côté pour prendre une petite douche avec leur système de récupération d'eau. Demain serait le début d'une nouvelle aventure, plus grande. Mais cette fois, au lieu d'être seule contre une nature monstrueuse, ils seraient cinq comme le club des cinq, un livre qu'elle lisait étant petite, lorsqu'elle vivait encore normalement, dans son jardin minuscule sous la pollution du trafic qui l'empoisonnait lentement dans sa banlieue au milieu d'une société en crise.
Normalement.
La normale n'existait plus.
Elle lui manquait. Ses anciennes habitudes lui manquaient. Comme aller à l'école, prendre son goûter avec sa mamie, discuter avec ses amis sur le terrain vague du coin de la rue ou plutôt la décharge à ciel ouvert, regarder la télé en famille le soir pour voir les horreurs du monde. Même si sa famille était loin d'être parfaite, elle donnerait tout pour la retrouver et l'enlacer.
Mais non, elle était au cœur d'une forêt en montagne. Elle allait partir vers l'inconnu. Elle aurait aimé devenir l'héroïne d'un roman et sauver le monde avec des pouvoirs surnaturels et dévastateurs, mais elle était une survivante perdue sans but précis.
Joe s'aspergea le visage d'eau froide, l'eau chaude n'était plus qu'un lointain souvenir, pour s'éclaircir les idées. Elle se rhabilla, frissonnante, ses dents claquaient et faisaient un bruit infernal, et s'installa sur une bûche pour la nuit, emmitouflée dans son duvet. Elle se concentra sur les cendres qui virevoltaient autour du foyer. Malencontreusement, elle sentit la crise pointer.
Depuis la mort de ses proches, elle faisait des crises entre la crise d'angoisse et la migraine. Elles étaient dues principalement à la solitude, du moins c'était ce qu'elle avait insinué. Le dessin l'aidait énormément, une thérapie parallèle qui lui faisait un bien fou. Mais quelquefois, comme ce soir, rien ne pouvait la stopper sauf les cachets de son défunt père qui la rendait plus vivable. Maximilien était malade mais sa fille ignorait de quoi, c'était un homme secret et silencieux. Il prenait des médicaments, son sac était rempli de boîtes couvertes de termes imprononçables. A sa mort, elle les avait récupérés au cas où.
A sa deuxième crise, Joaquim était tellement mal et incontrôlable, son crâne avait été au bord de l'explosion, qu'elle avait avalé un cachet sans réfléchir. Et c'était allé mieux, cependant, elle ignorait la composition de ces trucs ainsi que leurs effets secondaires. Avec bonheur, ces crises se manifestaient qu'une fois par mois mais avant c'était une fois tous les deux mois. Leur fréquence augmentait ostensiblement. L'arrêt de ces crises était son vœux le plus cher après la résurrection de sa famille par un magicien non-déclaré. Elle défit son sac et attrapa la plaquette. Elle avala le cachet jaune d'un geste précipité et replia ses jambes contre sa poitrine secoué par sa respiration haletante. Son corps se balançait de l'avant vers l'arrière dans un circuit incessant, elle tremblait malgré le sac de couchage. Il fallait qu'elle respire, qu'elle se calme.
Respire.
* * *
Le soleil colora peu à peu le ciel de ses couleurs chaudes. Ils étaient tous les cinq réunis dans la tente que les quatre jeunes partageaient, silencieux. Ils laissèrent Joaquim seule assise sur un lit de camp pendant qu'ils partirent faire leur adieu aux survivants. Elle mit son sac sur ses épaules, serra les sangles, enfila sa casquette et mit en bandoulière un fusil que Murphy lui avait passée. Elle sortit et attendit le reste du groupe à l'entrée principale du camp en mordillant ses bandages aux poignets teintés de rouge.
Ils revinrent ensemble ; Hayes, une carte à la main, semblait un peu inquiet. Murphy avait les traits tirés et des cernes violets. Charlotte était déterminée et Callista était encore ensommeillée comme son bâillement le prouva. Une vague d'espoir et d'enthousiasme traversa la jeune blonde. Elle avait hâte de voyager avec ces quatre jeunes gens, la marche serait plus animée. Hayes étala la carte jaunie sur le sol. Puis avec l'aide d'un bâton, il leur montra leur destination : New York. La capitale du monde, la seule ville d'Amérique du nord.
« -Nous devons traverser tout l'État pour arriver au camp de rebelles près de New York. Ils siègent dans les décombres des banlieues new-yorkaises. Cela va nous prendre du temps et nous devons faire très attention, surtout lorsque nous approcherons la capitale. Les infrastructures encore debout peuvent être piégées.
-C'est environ dix jours de marche si nous faisons une dizaine d'heure par jour, » ajouta Joaquim.
Il replia la carte. Ils étaient prêts à partir. Ils jetèrent un dernier coup d'œil vers le camp. Les rebelles les observaient en silence, le visage emplit de pitié. Tania ne cachait pas sa joie et Joshua leur souhaita bonne chance, il leur avait dessiné le chemin à prendre. Morgan fit un dernier signe de la main à son petit frère, elle semblait plus apaisée malgré ses larmes.
« -Sortez les armes, protégez-vous, ne vous rendez pas. Adieu » déclara la jeune Griffin.
Personne ne parlait. Personne ne bougeait. Puis, Joe finit par tourner le dos aux tentes et engagea la marche d'un premier pas vers le sud-est. Elle entendit Charlotte la suivre. Puis Callista. Ensuite Hayes. Murphy avait comme même un peu de mal mais il finit par se retourner et couru les rejoindre. Malgré leur envie de liberté, ils avaient du mal à quitter leur famille. Hayes se mit à la hauteur de la survivante car il avait la carte en main.
Aucun d'eux n'ouvrit la bouche sur les premiers kilomètres. Leur guide pointa du doigt leur direction de temps à autre. La jeune Griffin écartait les branches sur leurs chemins, ses poignets la lançaient et la démangeaient mais elle ne laissa rien paraître et taillait un semblant de sentier pour le groupe. Elle tirait sur ses manches pour cacher les filets de sang qui coulaient lentement sur ses paumes et ses doigts, elle s'en occuperaient plus tard, ils devaient continuer à avancer. Une longue marche les attendait.
L'aventure ne faisait que commencer.
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