On est dimanche. Les événements de cette nuit nous ont tous retournés, et moi aussi, je m'en suis retrouvée chamboulée...
Je me remémore alors que ce matin, Alexis m'a marquée alors que j'étais encore dans un demi-sommeil...Je rougirais presque, mais je ne rougis que très rarement. Un avantage plutôt pratique parce que sinon, mon visage aurait très souvent une couleur proche de celle de la pivoine...
Mes marques de morsures, que ce soit celle de Fabrizia cette nuit ou celle d'Alexis ce matin, sont refermées et ont presque disparu. Je soupire. Je me sens encore un peu mal mais ça va.
Après le déjeuner, Alexis et moi passons un moment avec Alexander, dans la pièce où je l'ai entendu jouer la première fois. Nous restons silencieux et je sens bien qu'Alexis prend sur lui pour ne pas lui sauter à la gorge. Il lui en veux encore pour le fait de m'avoir approchée un peu trop près l'autre jour.
On discute un peu mais pas vraiment. Quand on se met à parler du temps qu'il fait aujourd'hui et qu'on n'a pas d'autre sujet de conversation, il faut se dire que ça commence sérieusement à craindre...
Finalement, je demande :
-Alexander ? Nach dem Mittagessen fahren wir ab. Kannst du uns etwas Schönes für uns spielen ?
-Aber...Mein Alpha...
-Ja, ich weiss, er hat dir verboten Geige zu spielen, aber ich übernehme die Verantwortung, wenn er dich hört !
Il soupire et me finit par céder.
Il prend son violon et son archet et commence à jouer. Les notes graves sont douces au début, comme un chuchotement au creux de notre oreille, puis il accélère le rythme de son morceau avant de se lancer dans des notes plus aiguës et bien plus fortes.
Il met vraiment toute son âme dans son morceau, ses doigts ondulent au rythme des cordes qu'il pince et son archet danse sur les cordes qui produisent ces sons si incroyables et si beaux quand ils sont produits avec cette qualité-là. Par moments, il ferme même les yeux pour sentir l'âme de son morceau.
Il joue, il joue, il joue, sans s'arrêter, débordant d'émotions et surtout de passion. Il adore jouer du violon, ça se voir clairement à son visage serein et à la façon dont il joue.
Il ne fait aucune faute, n'a aucune hésitation, et ses sons sont juste magiques tant ils sont beaux...
Quand il a fini, j'applaudis et même Alexis qui l'a dans le colimateur fait l'effort de l'applaudir un peu.
-Das war so schön, Alexander. Danke für deine Leistung.
-Bitte, dit-il avec un air gêné en reposant son intrument et l'archet qui va de pair avec. Ich bin froh, dass es dir gefällt...
Je souris et Alexis lui dit :
-Ich bin einverstanden mit ihr, das war schön.
-Du spielst sehr gut, Alexander. Hör nicht auf Geige zu spielen !
Il nous sourit en retour et nous remercie une bonne dizaine de fois de le complimenter, de l'avoir écouté et de le soutenir dans sa passion.
Finalement, nous continuons notre discussion de bon train et nous apprenons qu'Alexander sait parler espagnol presque couramment et qu'il apprend le français actuellement, car c'est une des langues latines dans les plus proches de l'espagnol. Bien sûr, vu que ces deux langues, avec l'italien par exemple, ont la même racine, le latin.
Plus tard, après le dîner, Hans-Peter revient avec le journal du jour. Je suis surprise de lire le nom du journal.
-Lunouvelles ? je lis à voix haute.
Yegram me regarde et me révèle :
-Oui. Les loups-garous ont aussi droit à leur journal.
-Ça, je sais, merci ! dis-je avec sarcasme devant le sourire en coin de Yegram. Mais je voulais dire...Sérieusement ? Le nom ?
-Lune et nouvelles ? rit Yegram. Apparemment oui, les fondateurs du journal étaient on ne peut plus sérieux vu que le nom est resté.
-Fais-moi voir ça ! demande Alexis en ayant un regard soudainement inquiet.
Je lui passe le journal qu'il déplie et se fige presque instantanément et voyant la page de titre.
-Die Minuit greifen an ? Comment ça ?
Il parcourt l'article avec des yeux rapides comme un loup à la poursuite de sa pauvre proie. Il écarquille ses yeux de plus en plus. Il pose le journal déplié sur la table et nous dit d'un ton indigné et choqué à la fois :
-Comment se fait-il que les Minuit soient dans ce journal ? Quand le journal est-il sorti ? Car cette rapidité est trop incroyable ! Et comment se fait-il qu'il y ait des photos d'eux ici ?
Yegram le prend très calmement.
-Calme-toi, Alexis. Assieds-toi, on va t'expliquer...Tranquillement, bien sûr.
Alexis s'assied et reprend une position un peu noble mais qui ne présage jamais rien de bon, surtout en ce qui concerne les sarcasmes et les piques qu'il peut lancer, cinglant. Il répète sa dernière question :
-Qui a pris des photos d'eux cette nuit ? Je me souviens de ces scènes, j'y étais. Qui était-ce ?
Je prends un malin plaisir à chantonner avec un grand sourire jusqu'aux oreilles :
-C'est moi !
Alexis se tourne vers moi, me fixe, avant d'afficher des yeux blasés.
-Comment puis-je encore poser la question ? L'agent de renseignements en toi se réveille et se manifeste !
Je souris.
-Bien évidemment ! le narguais-je.
Nous lisons l'article. C'est Yegram qui a sollicité mes photos quand il m'a vue cette nuit. Il m'a fait me relever une fois qu'Alexis se soit endormi pour envoyer ces photos à la rédaction du journal Lunouvelles. Nom original, vu son public ciblé de loups-garous uniquement...
L'article raconte l'attaque nocturne préméditée des Minuit chez les Eberhardt, il y a même un témoignage court d'Alexander.
À partir de maintenant, les Minuit ne seronr plus à l'abri. Dans l'article, on dénonce à moitié les Minuit pour tous les autres meurtres récents parmi les meutes. Quand je dis à moitié, c'est parce que les journalistes ne se sont probablement pas trop mouillés, bien que les loups ne soient pas aussi réticents à l'eau que les chats. Toutes les victimes sont citées dans cet article, dans l'ordre chronologique de leur décès.
Lilas Lupus, Christopher Maurin et Michaël Bargarmeau...
Qu'ils puissent tous reposer en paix !
Après le dessert, quand nous débarassons la table, Hans-Peter prend son héritier à part et Alexis et moi commençons à entendre quelque chose en rapport avec son violon...Nous nous empressons de les rejoindre, laissant la vaisselle en plan au bord de l'évier.
Nous ne comprenons pas tout de ce qui débite Hans-Peter aussi vite. Il parle vraiment vite et nous avons vraiment de la peine à suivre...Mais du peu que nous arrivons à saisir, nous comprenons que l'alpha est en train de gronder, pour rester polie, son héritier qu'il a entendu jouer tout à l'heure.
Je m'avance et m'interpose. Je ne tiens pas à ce qu'Alexander se prenne tout dans la figure tout seul.
-Bitte, sei nicht zu streng mit ihm. Ich habe ihn gebeten zum Spielen. Dieses Mal ist er nicht schuldig.
Hans-Peter se renfrogne mais décide de laisser tomber pour cette fois. Il allait faire quelques pas pour s'en aller en nous tournant le dos, et je donne alors un coup de coude à Alexander qui me regarde avec un air interrogateur. Je lui dis les dents serrées :
-Ich werde nicht immer da sein um dir zu helfen !
Il a une seconde de blocage, comme un arrêt sur image, avant de se reprendre.
-Hans-Peter !
Il se retourne.
-Was ?
Alexander remonte ses épaules et serre les poings.
-Ich...Bitte, versteh es ! Die Geige ist meine Leidenschaft...Warum verstehst du es nicht ?
-Warum bestehst du darauf ? Warum willst du unbedingt weiterspielen ? Du musst dich auf deine Verantwortung als Alpha konzentrieren !
Alexander se crispe encore plus.
Ils continuent à presque se hurler dessus pendant un moment. Je me déconnecte un peu car ils se répètent et mon niveau d'allemand est peut-être encore légèrement trop faible pour tout bien suivre.
Alexander s'énerve encore et semble répéter ces mots pour la dixième fois :
-Ich kann die Verantwortung als Werwolf und meine Leidenschaft für die Geige kombinieren ! Warum verstehst du es nicht ? Warum versuchst du es nicht zum Verstehen ? Warum lässt du mich traurig sein ?
Hans-Peter ne sait plus quoi dire. Il semble comprendre que le restreindre à seulement ses responsabilités d'alpha n'était peut-être pas une bonne idée. Il regarde alors tour à tour Yegram, Alexis et moi.
Je ne me sentais pas concernée quand on parle des alphas et de dirigeants, mais parfois, je tombe dans un gouffre immense en me rendant compte que si je reste avec Alexis, ce que je compte bien faire, et que nous finissions par nous lier et nous marier, je serai aussi une alpha. Je serai dans le couple alpha de la meute des Primus qui dirige également une bonne partie des meutes de loups-garous d'Europe.
Des fois, j'ai encore un peu de peine à me figurer ça...Je reporte à nouveau mon attention sur ce qui se passe.
-Entschuldigung, Alexander. Ich verstand nicht, dass die Geige so wichtig für dich war.
Hans-Peter s'excuse. C'est déjà pas mal. Peut-être est-ce aussi dû à notre présence, que cela concerne le courage d'Alexis ou les excuses relativrment rapides de Hans-Peter, mais finalement, si tout se règle, c'est très bien.
Ann arrive sur le seuil de la porte. Elle semble avoir terminé de laver la vaisselle et tout entendu. Elle a les bras croisés sur la poitrine et un sourire flotte sur ses fines lèvres. En louve, elle doit être très belle et élégante.
Quand elle s'approche d'Alexander qui essuie du revers de sa manche les quelques larmes de rage, de tristesse et de débordement qu'il a versé, elle lui chuchote quelque chose à l'oreille qui fait rire le jeune garçon.
Je crois avoir entendu qu'elle excusait son mari pour sa fermeture d'esprit aussi résistante que la coque d'un bivalve. Je souris et enroule mes bras autour d'un de ceux d'Alexis. Il semble surpris mais ne riposte pas et ne dit rien. J'appuie mon crâne sur son épaule et contemple avec sérénité la scène de discussion entre l'alpha et son héritier blond en silence.
Je suis contente si on a pu aider Alexander à pouvoir reconquérir le droit de pratiquer sa passion. On peut cumuler plusieurs choses dans la vie, que ce soit des activités ou des amis. Pas besoin de se fixer un seul but non plus.
Quand le lycanthrope se rapproche de moi, il me fixe et nous fait alors le salut des Primus avec une lenteur qui traduit son respect envers nous.
-Danke für alles ! Und danke Amaryllis !
-Bitte sehr ! je lui réponds, un peu embarrassée.
Finalement, vers le mileu de l'après-midi, nous nous en allons.
J'allais ouvrir la portière quand Alexander me retient par le bras.
-Wart zwei Minuten, bitte !
Je me retourne.
-Ja ?
Il me sourit affectueusement. Il est mignon, sincère et heureux comme ça.
-Ich wollte dir nur sagen, dass ich so dankbar bin ! Danke für deine Ermutigungen, Amaryllis ! Ich war sehr froh, als du gesagt hast, dass ich so gut spielte !
-Bitte, je dis avec un sourire. Aber das ist wahr, Alexander ! Vergiss nicht, dass du begabt bist !
-Ja, me dit-il en riant, sans doute trop modeste pour se vanter de ça.
Nous les quittons.
Ce petit séjour en Allemagne était fort sympathique si on omet bien évidemment les moments où les Minuit étaient présents. Ce matin, Yegram et Hans-Peter se sont occupés de réparer la fenêtre et une partie du mur. À force dr tout détruire, surtout en étant des lycanthropes, ces derniers prenaient facilement la main pour les reconstructions maisons...
Dans la voiture, pour le long retour qui s'annonce, Alexis me fixe puis pose sa tête sur mon épaule. Je lui prends tendrement la main et il vient me mordiller une fois ou deux la peau du cou avant de se remettre dans sa position tranquille initiale.
-Je suis le seul, n'est-ce pas ? me murmure-t-il dans son sommeil prenant de plus en plus de contrôle sur sa conscience éveillée.
-À quoi ?
-À te posséder...
Je vois ses yeux clos et ses cils longs pour un garçon. Je souris et lui caresse les cheveux de ma main libre.
-Bien sûr, mon amour de loup ! Tu es le seul loup-garou à mes yeux !
-Tant...Mieux...soupire-t-il dans une dernière vague de lucidité conscient, avant de sombrer dans un sommeil profond.
Ironique, je dis :
-Gute Nacht...