Je cours bien moins vite qu'Alexis et que Gary, même blessé.
Ça fait une dizaine de minutes qu'on court sans relâche à toute vitesse, je commence à haleter, j'ai un point de côté et je fatigue de plus en plus. J'ai une certaine endurance mais pas à un rythme aussi soutenu...
Alexis finit par remarquer mon état d'épuisement grandissant grâce à ma respiration de plus en plus saccadée.
-Amaryllis, tu ne vas pas pouvoir continuer comme ça...
On s'arrête. On a de l'avance, il ne faut pas la perdre. Un éclair de lucidité traverse alors Alexis.
-Gary ?
-Oui ?
-Arrives-tu à prendre ta forme de loup ? Nous allons terminer notre trajet ainsi...
Gary s'exécute. Il a un loup qui ne ressemble pas trop à Alexis. Il n'est pas beige mais plutôt brun foncé et il n'a pas autour du cou un nid touffu de poils noirs. Il a par contre le bout de la queue, du museau et des oreilles blanc. Alexis lui donne alors son sac qu'il coince sur son dos avec ses pattes comme il peut et il me dit en passant sa main sur ma joue :
-Je vais te prendre sur mon dos pour encore un bon bout du trajet. Ça ira plus vite et tu ne te fatigueras pas.
-Mais...protestais-je, soucieuse et inquiète. Et toi ?
-Moi, ça ira. Je suis un loup-garou, après tout, et entraîné, qui plus est ! rit-il pour me détendre.
Il passe sa main sur ma joue pour me rassurer.
-Et puis, si je suis devenu plus fort et que je ne suis pas capable de te protéger, à quoi ça sert ?
Je sens des larmes de joie me monter aux yeux. Non, il ne faut pas que je pleure ! Je souris, essuie mes larmes naissantes furtivement et le regarde droit dans les yeux en disant :
-D'accord !
-N'hésite pas à t'accrocher à ma fourrure. Je ne veux pas que tu tombes ! Je sacrifierais tous mes poils pour que tu restes sur mon dos !
Il me sourit, expression que je lui retourne, puis se change alors en loup. Ses poils sont dressés pour ensuite retomber légèrement, signe que sa transformation est achevée. Je monte sur son dos et agrippe de mes petites mains les poils de son col de poils presque noirs.
Alexis émet un grognement que Gary comprend et ils repartent en courant d'un bon rythme en passant par la forêt.
Disons qu'une humaine qui chevauche un loup en présence d'un autre dans une rue piétonne, ça ne doit pas être très commun...
Je me penche alors en avant, pour plus ou moins coller mon ventre et ma poitrine contre le dos tout doux de loup d'Alexis, pour réduire le frottement de l'air.
Je n'ai pas l'air de le gêner dans ses mouvements, ni mes mains accrochées à sa fourrure abondante, ni mes jambes pendantes au niveau de ses flancs et qui bougent en rythme par rapport aux pas rapides d'Alexis.
Ça me rappelle notre séance de chevauchement l'autre jour dans la chambre...
C'était tellement différent...
Il allait beaucoup plus lentement et tenir sur son dos était plus compliqué parce que je sentais sous mon corps tous les mouvements de ses articulations. Là, tout est fluide et il n'a pas d'hésitation apparente dans sa gesture.
Nous continuons un long moment notre chevauchée sauvage à travers les arbres. Gary et Alexis ont l'air de parfaitement savoir où ils vont et s'échangent parfois quelques grognemrnts sourds avant de bifurquer dans telle ou telle direction.
Je me sens inutile. Dans cette mission de sauvetage, Alexis a tout réservé pour l'hôtel puis après avoir retrouvé Gary, il a rompu ses chaînes avec la pince grâce à sa force surhumaine, puis quand nous sommes partis, il m'a prise sur son dos pour courir.
À part mon onguent qui a un peu aidé Gary avec ses blessures, je n'ai rien fait dans cette mission...
Vers midi, après une course effrénée sans arrêt ni pause, les deux loups arrêtent leurs pas devant une source d'eau.
Les loups sont naturellement endurants, mais là, les deux lycanthropes sous leur forme lupije halètent de fatigue et d'épuisement.
Ils boivent cinq tonnes d'eau dans la rivière avec leur langue rose de loup trop craquante ! Un animal qui lape de sa petite langue un liquide, comme les félidés ou les canidés, c'est tellement mignon !
Assise sur un caillou, je les regarde. Puis je me lève et cueille quelques herbes que j'ai reconnues et choisies avec soin avant de les laver dans la rivière. Sur une pierre plate que je lave aussi plus ou moins bien dans l'eau, je coupe comme je peux avec mon couteau suisse ces herbes pour en extraire en partie le jus, mêlé à l'eau que je viens d'utiliser pour laver les végétaux et la pierre.
Interrogateurs, Alexis et Gary me scrutent de leurs yeux jaunes de loup étonnés et écarquillés, ou du moins qui semblent l'être.
Quand j'ai terminé, je recueille une moitié du liquide au creux d'une de mes mains et dit à Alexis :
-Viens ici, ça va te revigorer !
Il s'approche de moi à pas lents et lape le peu de liquide vert terne qui se trouve dans le creux de ma paume. Il se lèche les babines une fois qu'il a terminé puis me lèche le visage avec affection. Il émet un grognement et un jappement trop mignon, et je lui donne donc un baiser sur sa truffe humide.
Au tour de Gary, avec l'autre main et l'autre moitié du liquide, qui s'incline devant moi après avoir fini pour me remercier. Je réponds alors au regard interrogateur d'Alexis :
-Ta grand-mère m'a enseigné ça...
Il me fait un sourire de loup. Ils ne reprennent tous les deux pas encore leur forme humaine car il nous reste un bon bout de chemin à faire et cela affaiblirait trop leur corps de changer en permanance ou trop souvent de formes.
Cela sollicite leurs muscles, leur peau, les cellules s'occupant de leur pilosité corporelle, et tout cela, se déplaçant et changeant de forme, affaiblit leur corps.
Nous repartons bien vite. Alexis se met à haleter plus rapidement qu'avant et Gary commence à boiter légèrement, malgré que la plupart de ses blessures soient refermées.
Les deux loups échangent alors regards et grognements avant qu'Alexis tourne furtivement sa tête vers moi, avant d'à nouveau regarder devant lui pour ne pas rentrer en plein dans un arbre.
Je lui murmure alors, ayant compris son message :
-Peu importe où nous allons et comment. Je vous suis.
Nous arrivons en fin d'après-midi bientôt à une petite gare déserte et les deux loups-garous reprennent leur forme humaine. Leur peau est rougie, ils transpirent surtout au front et je sens leurs muscles tendus au vu de leur longue et éprouvante sollicitation.
Gary, torse nu vu que nous n'avons pas pris la peine de l'habiller en s'enfuyant, s'assied sur le banc de la gare et Alexis se dirige vers moi avant de s'effondrer dans mes bras et à moitié sur mon épaule, n'ayant pas d'autre support auquel se raccrocher. En le traînant un peu, je le mène comme je peux vers le banc où est déjà assis Gary et je vais prendre des billets pour le train qui va arriver.
À vrai dire, je me demande si Alexis n'avait pas planifié notre fuite bien mieux que ce je pensais, le train qui doit arriver nous dirige vers une grande gare où il sera possible de prendre un train pour rentrer dans notre pays directement.
Si c'est simplement le fruit du hasard, il était sacrément mûr, ou alors c'était l'arbre entier !
Je sors de mon sac une bouteille d'eau et fais boire Alexis et Gary qui halètent toujours alors que ça fait bien cinq minutes qu'ils sont assis là sur leur banc, les yeux clos d'épuisement. Ils me regardent tous les deux reconnaissants avant de porter le goulot à leurs lèvres.
-Enflure ! Je t'ai enfin retrouvé !
Nous sursautons.
Au-dessus de nousse dresse une silhouette musclée et impostante.
-Pierre ! murmure Gary, les yeux soudainement écarquillés.
Il tombe avec lourdeur devant nous. Alexis essaie de bouger mais son état ne lui le permet pas. Surtout qu'il m'a portée pendant presque tout le trajet, il est bien plus fatigué que Gary...
Ce dernier se lève du banc, serre les poings avec rage et dit :
-Il a été métaphoriquement mon bourreau...C'est à moi de devenir le sien au sens littéral !
Je le regarde, effarée, mais pas à cause de ses paroles violentes et emplies de haine, mais à à cause de la détermination lisible dans ses yeux devenant jaunes et brillants.
-Tiens donc, tu es bien vite guéri...Ce cher Alexis Primus avait-il des onguents avec lui ?
Mon petit ami montre les crocs et grogne malgré sa forme humaine.
-Pas lui, dit Gary. Mais sa compagne.
-Comment ? fait Pierre, choqué, ses cheveux blonds très courts se mouvant à peine sous son geste brusque. Mais c'est un secret de femelle d'alpha, ça !
Je me fige sur place. Quoi ? Que vient-il de dire ?
-Imbécile heureux ! grogne Alexis depuis sa place, les crocs on ne peut plus apparents. Il s'agit de la conjointe d'un alpha, que ce soit une femelle ou une compagne...Et dans notre cas, je suis le futur alpha de ma meute...Alors elle est en droit de savoir ça ! Même si je ne suis pas encore alpha.
-Normalement pas ! s'écrie Pierre, indigné. Si tu venais à mourir, elle ne serait pas la compagne d'un alpha. Et donc, elle n'aurait pas le droit de posséder ces connaissances presque tenues secrètes depuis la nuit des temps...
Gary se met sur ses gardes quand Pierre prend une autre position. Il hurle alors soudainement :
-C'est ce que je vais faire maintenant ! Tuer l'héritier des Primus !
On voit alors Pierre s'approcher inexorablement de nous, toujours sur le banc. Je serre alors mon petit ami contre moi, quand soudain...
-Pas tant que je serai là !
Un violent coup de genou est envoyé dans l'estomac de l'agresseur.
Gary !
Il est blessé et fatigué de notre longue course mais il attaque !
Alexis le fixe, aussi interloqué que moi, mais ne dit rien. Il me serre contre lui avec la force qu'il lui reste. Je prends dans mon sac mon couteau suisse. J'ai vérifié, la lame contient de l'argent. Ce n'est pas aussi efficace qu'une lame en argent massif, comme mon épée que je garde précieusement au fond de mon armoire d'habits à la maison, mais ça peut faire un effet assez violent suivant comment.
Je serre l'épaule de mon loup à moi plus fort et nous regardons ensemble le combat qui fait rage entre Gary et Pierre.
Tous les deux sont sous leur forme semi-lupine, celle bipède et plus ou moins moche.
Notre assaillant essaie de mordre Gary aux articulations pour l'handicaper mais il esquive avec une certaine agilité. Quant à lui, il donne des coups rapides, précis et efficaces dans des zones du corps sensibles de son adversaire, comme le ventre ou la nuque.
Ils continuent à se battre ainsi pendant de nombreuses minutes qui paraissent interminables. Notre train arrive dans sept minutes. Il faut qu'ils aient fini avant ce laps de temps. On ne peut pas montrer ça à des humains qui n'ont aucune connaissance du monde des lycanthropes...
Mais je ne dis rien. Cela ne servirait à rien à part stresser Gary pour rien.
Soudain, Alexis se redresse légèrement, prend sa forme de demi-loup comme eux et pousse un cri, entre un grognement et un aboiement canin, qui fige instantanément les deux adversaires. Alors qu'Alexis redevient humain entre mes petits bras, Gary reprend ses esprits plus rapidement que son adversaire en secouant sa tête et avec rapidité et violence, il saute à la gorge de Pierre sans hésitation.
Je ferme les yeux.
Malgré le fait que je suis de plus en plus habituée au monde des lycanthropes, je reste assez sensible et je ne veux pas me traumatiser à regarder Gary déchiqueter la gorge de son ancien bourreau. Rien que les sons que j'entends qui sont très glauques et explicites me font frissonner. Je sens les mains d'Alexis me serrer plus fort contre lui, comme pour me rassurer et me dire qu'il est là avec moi.
Quand je rouvre mes yeux, je vois Gary, sous sa forme humaine, toujours torse nu, le visage encore couvert de sang. Le sang de Pierre...
Il s'essuie avec un mouchoir humide puis il demande à Alexis de l'aide pour cacher le corps dans les fourrés le temps que le train que nous allons prendre passe.
Ils le font et Alexis sort alors de son sac un de ses hauts de rechange pour que Gary ait quand même quelque chose sur lui. Au pire, pour ses pieds nus, il dira que c'est parce qu'il a perdu ses chaussures...
Le train arrive.
Après un dernier regard derrière nous, nous montons dans le wagon.
Le train démarre.
Nous nous en allons.