L'excitation de la fête grimpe peu à peu, et Yasmine m'a présentée la plupart des invités. Je suis la seule qui ne soit pas du collège, aussi je deviens vite le sujet de curiosité.
Depuis le début de la soirée, Joachim ne me lâche pas des yeux, comme si notre relation était un acte arrêté. Certes, il possède un certain charme, avec sa carrure de rugbyman, mais l'idée de céder aux convenus m'irrite. Et puis, s'il savait tout de moi, mon prétendant n'agirait pas de la sorte...
N'y tenant plus, je décide d'aller en parler à Yasmine. Elle mène la danse comme une professionnelle, un verre de Fanta à la main, et plaisante avec une fille du nom d'Adèle.
« Yasmine ? je coupe, un peu gênée de m'incruster dans la discussion.
Mon amie, devinant à mon ton que je veux lui parler en privé, s'éloigne d'Adèle puis me demande ce qu'il m'arrive.
-Joachim. Tu lui as mis quoi dans le crâne, à mon su... ?
-Rien du tout Dodo, je te jure.
Et elle ajoute avec malice :
-Il te regarde beaucoup ?
-Pas mal.
-Et t'en penses quoi de lui ?
-Tu es sans espoir ! je soupire.
-Écoute Dodo, fais-moi plaisir :ce soir, tu écoutes tes sentiments ! »
J'attrape un cupcake fushia que j'avale aussitôt. Mes sentiments m'encouragent plutôt à gifler Joachim et à lui hurler d'arrêter de me fixer, mais, par amitié pour Yasmine, je me contenterai d'aller engager la conversation avec lui. Je renvoie la reine de la fête d'un geste de la main puis m'approche de mon prétendant.
Il discute avec deux filles, tous les trois liés par une complicité évidente. La première, à la peau noire et aux cheveux noués en un élégant chignon, s'appelle, d'après mes souvenirs Paula. Yasmine la trouve arrogante sur les bords. La seconde, avec une tresse d'un blond presque châtain et des lunettes violettes est sûrement Astrid, cette fille timide mais désirée par tous les garçons.
Joachim me repère dès mon arrivée :
« Ah, Do-Anne ! Je n'osais pas te déranger, mais j'avais à te parler.
Ceci, je l'avais vite compris... Le collégien continue :
-Tu n'aurais pas quelqu'un de ta famille qui fait du foot en club ?
-Si, ma cousine. Pourquoi ? »
Je ne peux que saluer sa technique d'approche. Un habitué de la séduction.. ? Sa sincérité aussi touchante que maladroite démontre le contraire. Astrid et Paula ne semblent pas avoir compris ce qu'il se passe, car elles restent plantées entre nous deux. Une intervention de Yasmine permet enfin de les éloigner.
« Cela fait combien de temps que vous vous connaissez, Yasmine et toi ?
-Oh, je ne me rappelle plus trop... C'est trop ancien pour que je m'en souvienne.
J'esquisse un sourire songeur en faisant mine de réfléchir. Joachim a des intentions aussi transparentes que de l'eau de source. Son petit jeu me plait bien, alors j'en accepte les règles. Il s'approche de moi sans en avoir l'air. Son déodorant camoufle tant bien que mal sa sueur.
-Si on dansait ? je souffle tout à coup.
Je le laisse gagner car ce soir, j'ai envie de m'amuser. Je compte profiter de la vie avant que les Anges ne me rattrapent. Yasmine nous regarde, Joachim et moi.
Cette pression soudaine, ce désir de plaire, ce besoin d'exister : est-ce cela, l'amour ? Je ne pense pas. Pourtant je l'embrasse, juste pour attirer le regard des autres.
Mon caprice d'une nuit ne se défile pas, il m'étreint au point que j'étouffe presque. Je passe ma main dans ses cheveux à l'excessive couche de gel, sens une goutte de sueur sur ses lèvres moites.
Tout le monde nous observe, nous admire, et la salle entière explose en applaudissements. Joachim sourit, emporté par cette masse dont nous sommes le coeur. Que ne pourrions-nous pas faire pour plaire? Je me colle davantage à son corps en transpiration, je joue aux adultes avec cette chair encore trop jeune. J'ai chaud, j'entends la musique à fond dans mes oreilles, pourtant ce baiser ne me procure aucun plaisir sinon celui des regards.
Cette étreinte n'est pas de l'amour.
Je me dois pourtant d'en profiter au maximum, car ce sont peut-être les uniques lèvres que je toucherai des miennes.