PDV de Nazzer
Je dois dire que cette baraque est impressionnante ! Sérieusement, je n'en reviens pas que cette Tessa ait réussi à rénover cet endroit toute seule. Autant dire qu'Adam est subjugué, c'est simple : il complimente sur chaque objet, même le plus banal, forgé ou réparé par les mains expertes de la jolie brune. En tout cas, c'est mieux qu'à Morton, les décorations des bâtiments commençaient vraiment à craindre ! Kaya était parvenue à rassembler quelques décorations dépareillées dans notre planque, mais le résultat n'était pas terrible. J'ignore si nous allons rester ici, mais si c'est le cas, nous allons apprécier notre séjour dans cette ville.
Ben réapparaît après un long moment et nous apprend qu'il va nous conduire jusqu’à notre chambre. Un immense sourire me fend le visage à l'idée que nous allons pouvoir dormir dans un vrai lit. Adam et Kaya paraissent aussi ravis.
— Venez, déclare-t-il avant de s'enfoncer dans le couloir.
Kaya me lance un regard sceptique que j'ignore en suivant Ben. Je ne sais pas ce qu'elle a depuis que nous avons traversé la forêt, mais elle n'a quasiment pas pipé mot. Elle est bizarre, mais ça lui passera. Kaya se comporte souvent comme ça avec les personnes qu’elle ne connaît pas.
Le couloir n'est pas très long, mais il ouvre sur plusieurs pièces. Ben nous fait la visite guidée et nous montre où se trouvent sa chambre et celle de Tessa, puis les toilettes. Nous nous arrêtons au pied de la dernière porte. Ben pousse la longue planche en bois qui coulisse vers l'intérieur et dévoile la vue sur deux rangées de grands lits superposés.
— Votre chambre doit se trouver ici, annonce-t-il. Voilà.
— Sérieusement ? je demande, les yeux pétillants.
— Faites presque comme chez vous ! ajoute-t-il avec un geste circulaire de la main.
— Trop génial !
Je m'élance aussitôt à l'intérieur et fais un tour rapide dans la pièce. Il y a une petite armoire beige, suffisante pour la faible quantité d'habits dont nous disposons. Il y a même quelques rechanges accrochés sur des cintres tordus. Sur le reste, une fenêtre plonge partiellement la pièce dans la lumière. La décoration est plus simple ici, mais elle reste accueillante. La couleur bleue des murs s’accorde harmonieusement avec les deux petites tables de chevet beiges présentes près des lits superposés. D’après les explications de Ben, ces lits étaient déjà présents avant qu’elle ne s’installe, c’est d’ailleurs ce qui lui a donné envie de redécorer cet endroit et de l’appeler le Refuge, au cas où d’autres survivants comme nous auraient besoin d’aide. Tessa a plutôt bon goût en matière de décoration.
— Je prends le lit du dessus ! j’annonce en commençant à marcher vers l'échelle grise qui permet d'atteindre l'étage supérieur.
— C'est ce qu'on va voir, dit Adam.
En quelques mouvements, il me dépasse et grimpe l'échelle sans difficulté. Du haut du lit, il passe la tête par-dessus la barre et m'observe avec un regard amusé. Mais… ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas aussi rapide que lui ?
— Trop lent, me nargue-t-il.
Je grogne contre sa critique envers mes aptitudes physiques. Je jette un coup d'œil au second lit, mais Kaya me coupe en pleine réflexion.
— N'y songe même pas.
Je soupire. C'est injuste.
— Bon, je vous laisse prendre vos marques, dit Ben. Je reviens dans une heure quand le repas sera prêt. Oh, j'allais oublier, c'est l'anniversaire de Tessa. Je sais qu'elle ne tenait pas à ce que je le sache, mais j'ai quand même préparé un truc pour l'occasion. Elle est partie dehors prendre l'air… je vais en profiter pour accrocher des banderoles.
— Tu veux un peu d'aide ? propose Adam.
— Ce ne serait pas de refus, acquiesce-t-il avec un sourire. Rejoins-moi dans ma chambre d’ici cinq minutes, ok ?
Il opine du chef et disparaît. Quand la porte se referme, je me tourne vers Kaya qui venait de s'allonger sur le lit inférieur, les yeux rivés vers la suspension grise. Je m'arrête à sa hauteur et m'assois sur l’espace restant. Elle pousse un soupir, mais son regard, lui, reste impénétrable. Elle recommence !
— Cet endroit est chouette, et on est hébergés gratos, alors qu'est-ce qui ne va pas ?
Elle ne me regarde pas.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, nie-t-elle, toujours concentrée sur les nuances de gris de la suspension métallique du lit.
— Arrête, tu sais que ça ne marche pas avec moi Kaya. Je sais pertinemment que tu me mens.
Elle me foudroie tout à coup du regard.
— Quoi ?
— Rien.
Elle réajuste sa tête sur l'oreiller blanc, propre.
— Je ne leur fais pas confiance, c’est tout, lâche-t-elle finalement.
— Ce sont des inconnus, bien sûr qu'on ne peut pas leur accorder notre confiance tout de suite. Mais ils nous ont sauvés et maintenant ils nous accueillent sans rien en échange, alors on devrait leur accorder le bénéfice du doute pour cette fois, tu ne crois pas ?
— Nazzer a raison, soutient Adam en haussant les épaules. Ils ont l’air sympas.
— Ce n'est pas une bonne idée, conteste Kaya. Après tout, qui nous dit qu'ils ne veulent pas nous voler toutes nos provisions, ou qu'ils ne vont pas nous faire chanter en échange de quelque chose ? Sérieusement, je ne connais personne qui accepte d'accueillir des inconnus sans poser de questions. Plus de nos jours.
— S'ils voulaient nous voler, ils l'auraient fait dès le départ, et puis ils ne nous auraient pas sauvés de ces gardes. Regarde cet endroit, on a peut-être trouvé quelque part où on va pouvoir mener enfin une vie stable. S'il-te-plaît, attendons d'apprendre à les connaître. Si ça se passe mal, on partira. Mais promets-moi d'essayer ? je l’implore.
— Tu sais très bien ce qu'en penserait Craig…
— Mais il n'est plus là pour décider pour nous !
Ses yeux brillent. Je me radoucis.
— Il nous dirait sûrement de nous méfier, mais il accepterait l'aide de Ben et Tessa, octroie Adam d’un ton pensif.
— Exactement ! On ne peut pas le nier plus longtemps, nous avons besoin d'aide, et ces deux-là nous proposent la leur gratuitement.
Si Adam est de mon côté, ça veut dire que je n'ai pas totalement tort. Je peux comprendre que Kaya ait des doutes sur leurs véritables intentions, mais je pense qu'elle s'inquiète trop. Cet endroit est la preuve qu'ils n'attendaient que de nouveaux survivants pour combler l'espace manquant. Non, je suis persuadé que ces personnes nous veulent du bien. Ils nous ont sauvés, nous avons une dette envers eux.
Kaya est de nature méfiante. Depuis les premières canicules, les habitants ont fini pas dérailler complètement, la famine et l'esprit survivaliste de certains n'ont rien arrangé aux choses, et le monde a fini par aller de pire en pire. Quand l'humain perd toute trace de rationalité, vous pouvez être sûr que c'est la fin de tout. La paranoïa vous menace, vous ronge les entrailles jusqu'à ne plus vous laisser dormir, elle aboie des ordres sur vos neurones et vous fait prendre des choix irrationnels. Ceux qui accordaient le plus leur confiance sont morts les premiers. Alors naturellement, Kaya se méfie.
Nous avons passé trois mois ensemble sans jamais croiser la route d'une autre personne. Je crois que si nous restons seuls un mois de plus, c'est la solitude qui nous tuera.
— Kaya ? j’insiste.
— Quoi ? assène-t-elle sèchement.
— Essaie. S'il-te-plaît.
Je l'implore avec des petits yeux de chien battu. Elle pousse un soupir en levant les yeux au ciel.
— Tu devrais aller lui parler. Au moins tu en sauras plus sur eux.
— Ok.
— Ok ?
— Oui ! Arrête de me regarder comme ça avant que je ne change d'avis.
Je souris jusqu'aux oreilles, ce qui semble la détendre un peu. Elle saisit son oreiller et me le jette à la figure, mais je l'esquive à temps tandis qu'il finit sa chute sur le visage songeur d'Adam, qui n'avait pas vu le coup venir. Nous rions en chœur, puis Kaya quitte la chambre pour parler à Tessa. Après s'être assurée qu'elle ne nous écoutait pas, Adam se tourne vers moi.
— Tu sais que je te soutiendrai toujours mais, et si on se trompait ? Je veux dire, Kaya a peut-être raison de se méfier après tout.
— Je ne dis pas qu'on va leur manger tout de suite dans la main sans vérifier s'ils sont réellement fiables, je concède. Mais pour le moment on n'a pas vraiment le choix, et il va falloir faire bonne figure si on ne veut pas qu'ils nous dépouillent et jettent nos cadavres à la fosse.
Le visage d'Adam se décompose à cette idée.
— Je plaisante !
Je m'esclaffe en voyant la tête qu'il fait, et esquive de justesse l'oreiller qu'il m'envoie. Après s'être remis de ses émotions, Adam rejoint Ben pour les installations. Je me demande pourquoi Tessa ne tenait pas à ce que la date de son anniversaire se sache.