Mohammed reposa sa tasse de café sous le choc. Il considéra la jeune femme à l'autre bout de la table qui rougissait comme une adolescente.
- Je vous demande pardon ? Demanda-t-il l'air hébété.
Elle secoua des épaules et s'empara de son verre qui trembla lorsqu'elle le ramena à ses lèvres.
- Vous n'aimez pas fêter votre anniversaire, en choisissant cette date, chaque année lorsque nous serons le 23 mai, vous n'aurez qu'à penser à moi pour que cette journée vous paraisse moins morose.
Alors qu'il souriait en coin, elle se cacha à l'aide de son verre. Cette suggestion le ravissait.
- Donc, nous partons du principe qu'aujourd'hui c'est votre anniversaire ?
Un éclat de bonheur se mit subitement à briller dans son regard. En choisissant cette date la jeune femme n'avait pas bien réalisé les conséquences d'un tel choix. Sans le savoir, elle venait de lui tendre une perche.
- Ou...oui sans doute, bafouilla-t-elle en rougissant de nouveau.
- Donc vous avez....
Alors qu'il cherchait son regard qui se perdait dans l'immense salon, elle répondit peu sûre d'elle ;
- Vingt-trois ans ?
Mohammed éclata de rire et se leva pour la rejoindre. Main sur sa gorge, elle le suivit du regard et crut déceler un sourire heureux se dessiner sur ses lèvres. Proche de la folie, Mohammed agrippa les accoudoirs afin de tourner sa chaise dans sa direction. Elle ne dit rien. Elle le regard simplement s'agenouiller en face d'elle. En quelques sortes elle était prisonnière.
Tara manqua de défaillir lorsqu'il s'agenouilla en face d'elle. Son cœur battait à la chamade. Ses mains tremblaient mais elle ne cilla pas du regard. Elle avait l'impression d'être prisonnière.
- Alors puise que c'est votre anniversaire, que voulez faire ?
Étonnée, Tara se demanda d'abord s'il était sérieux. Et comme elle ne répondit rien, il ajouta ;
- Je dois parader en ville aujourd'hui, je serais vraiment heureux que vous soyez parmi nous. Je sais que madame Thomas emmène le groupe.
En ville ? Une parade ?
- Je ne suis pas sûre de pouvoir passer ce cap.
- Vous serez entourée de mes gardes, contrat-il sans la quitter du regard.
Il insistait clairement. En fait, elle comprit dans son regard qu'il serait heureux bien plus qu'elle ne le serait si elle acceptait de venir le voir parader. Tara osa à peine résister. Peut-être que c'était une bonne idée après tout.
- Tout ce que je veux c'est avoir la certitude d'être en sécurité
En disant cela, Tara espérait qu'il comprenne qu'elle acceptait. Ce n'était pas vraiment un cadeau pour elle mais surtout pour lui.
Il se redressa totalement. Sa prestance était si imposante qu'elle en eut le souffle coupé.
- Vous avez ma parole.
Sur ce, il reprit sa place, le regard impénétrable. Désireuses de prolonger ses efforts qui en apparence l'affaiblissaient, Tara déjeuna copieusement pour se donner des forces et partit en direction de sa chambre. Elle ne revit pas Mohammed après le petit-déjeuner. Inquiète, elle regardait depuis sa fenêtre les voitures se mettre en file indienne devant l'entrée. L'angoisse monta d'un cran car elle ne parvenait pas à trouver Mohammed dans cette foule d'hommes. Peut-être était-il parti avant ses gardes ? Ridicule, songea-t-elle la seconde suivante.
- Oh que vous êtes ravissante ! S'exclama Anaya qui venait de rentrer dans la chambre, on dirait une bohémienne !
Tara accueillit ce compliment avec un rougissant loin d'être semblables à ceux que lui faisaient ressentir Mohammed. En effet, Tara s'était habillée d'une robe blanche et longue avec des manches courtes. Par-dessus, elle avait passé le voile gris assez abîmé pour recouvrir ses épaule et le dessus de sa tête.
- Je suis présentable ? Demanda-t-elle nerveusement.
- Vous êtes un ange ainsi vêtue, déclara Anaya en l'obligeant à faire un tour sur elle-même.
- Où est sa majesté ?
- Déjà parti en direction de la ville, répondit-elle en glissant ses doigts dans ses cheveux ; Il y aura sans doute des milliers de personnes, il a préféré prendre de l'avance sur le cortège.
- Et moi ? Où dois-je aller ?
- Avec le groupe, j'ai demandé à Tina Thomas de me laisser vous accompagner, c'est plus prudent.
Les informations de celle-ci devenaient angoissant à mesure qu'elle entendait un brouhaha extérieur se former. Tous le monde semblait heureux de la décision qu'avait prise leur roi. Revenir au devant de la scène. Déambuler sur son cheval noir au milieu d'une foule scandant son nom.
- Allons-y Tara.
Tara hésita suffisamment longtemps pour alarmer Anaya.
- Mon enfant vous avez promis au roi que vous seriez parmi nous.
Essayait-elle de la faire culpabiliser ?
- Il a accepté cette parade uniquement parce qu'il sait que vous y serez, ajouta Anaya en lui prenant la main ; Vous n'avez aucune crainte à avoir, car je ne vous quitterais pas une seule seconde.
Poussée par une force mystérieuse, Tara se laissa conduire dans le château et monta dans le bus. La première personne qui lui exprima sa joie fut Tina. Au bord des larmes celle-ci lui esquissa un sourire encourageant.
La tête appuyée contre la vitre, Tara regardait le paysage défiler sous ses yeux non sans ressentir au creux de son ventre une peur atroce.
Le trajet dura quelques minutes. Une fois au cœur de la ville, Tara sentit sa gorge se nouer. Une foule de monde se pressait devant les grilles de sécurité. Des hommes armés faisaient bloc devant les citoyens. Une ferveur incomparable assourdissait déjà ses oreilles. Pressant le tissu contre sa poitrine, Tara ne bougea pas de son siège avant qu'un homme...ne vienne s'installer à coter d'elle.
Elle le reconnut tout de suite grâce à son regard doux et posé. Un homme sage disait-on de lui.
- Il savait que vous auriez peur, dit-il en esquissant un léger sourire ; Il m'a demandé de venir vous chercher.
Déportant son regard vers la foule, Tara serra convulsivement sa main contre le tissu puis tourna la tête vers Aziz.
- Vous n'avez rien à craindre mon enfant, lui promit-il en se levant.
- À force de me répéter ça je vais finir par croire le contraire, lança Tara en se levant.
- Une parole ne peut pas se trahir, répliqua Aziz en inclinant sa tête.
À la descente du bus, elle jeta un regard circulaire à la foule et crut mourir de peur. Au bord du malaise, seule la main de Tina lui fut réconfortante. Le bruit des acclamations devenaient plus fort à mesure que les claquements des sabots des chevaux se rapprochaient d'eux.
- Venez !
Tara n'eut pas le temps de résister à la prise de Anaya qui l'entraînait déjà vers la foule. Sa vue se brouilla. Elle s'en voulait d'avoir accepté une telle folie. Les regards pesaient sur elle. Elle avait l'impression que le sol s'ouvrait sous ses pieds jusqu'à ce qu'il lui apparaisse...
Puissant, fort, avec la posture d'un chef de guerre, Mohammed Al Zahar avançait au milieux de la foule sur son étalon, le visage encore caché. Ses yeux perçants intimidaient. Tara oublia toute ses peurs comme si l'unique danger se trouvait là, devant elle, en un seul et unique homme. Un prédateur.
- N'est-il pas magnifique ! S'écria Anaya en frappant dans ses mains.
Tara s'humecta les lèvres.
- Il l'est oui, murmura Tara en baissant les yeux lorsqu'il arriva à sa hauteur.
Les sabots des chevaux étaient en parfaite synchronisation. La ferveur du peuple était si intense qu'elle versa une larme à l'abri des regards.
- Jusqu'où va-t-il aller ? S'informa-t-elle en le voyant continuer son chemin.
- Certainement jusqu'à la place publique.
Anaya lui prit la main pour poursuivre son chemin. Tina inclina sa tête dans sa direction pour la pousser à l'accompagner.
Mohammed entoura les rênes autour de son poing serré tout en continuant de suivre le cortège. Il avait aperçu Tara qu'au dernier moment et n'avait pu qu'apercevoir un triste regard baissé. Elle était là, songea-t-il avec le sentiment d'avoir été trop vite avec elle.
- Elle n'était pas prête à sortir, lâcha-t-il froidement.
Aziz déplaça son cheval de façon à se rapprocher de lui.
- J'ai agi comme un égoïste !
- Elle avait peur certes, dit Aziz avec prudence ; Mais elle est ici.
- À quel prix ? Rétorqua Mohammed d'une voix dure ; Parfois, j'oublie l'épreuve qu'elle a traversée, je suis un monstre.
Son visage se creusa au fil des secondes.
- Vous êtes diffèrent depuis qu'elle est ici votre altesse, lui fit-il remarquer.
- C'est rien de le dire, bougonna-t-il à travers son chèche.
Comme il désirait l'embrasser....pouvoir glisser sa main dans ses cheveux soyeux. Tara était devenue une véritable obsession. Ce soir, il fallait à tout prix qu'il lui vole un baiser. Peu importe lequel ! Il le fallait avant qu'il ne tombe fou !