Lorsque le groupe revint de leur balade, Tara ouvrit enfin la porte de sa chambre et se réinstalla sur sa chaise pour continuer son puzzle. Après maintes réflexions Tara avait pris la décision de ne rien dire à Tina au sujet du roi. Lindsay passa sa tête dans l'encadrement et semblait se réjouir de leur sortie. Tristement, elle reporta son attention sur son puzzle.
- Tu as raté quelques choses de super ! S'écria celle-ci avant de disparaître.
Tara ne répondit rien et se contenta de regarder les autres filles se faufiler dans le couloir tout sourire. Même Célia semblait heureuse de cette sortie et sautillait joyeusement derrière les autres. Peu lui importait songea-t-elle tristement. Même si au fond elle aurait préféré se joindre au groupe plutôt que d'affronter cet homme au visage dur.
À nouveau seule avec son ombre, Tara mangea seule dans sa chambre après avoir supplié la directrice. Mais quand celle-ci revint vers elle en s'installant sur le lit, Tara sut qu'elle ne sortirait pas indemne de cette nouvelle conversation.
- Est-ce que tout va bien Tara ?
- Oui.
Tina inspira profondément avant de déclarer ;
- Pourquoi portes-tu ta blouse ?
Tara haussa des épaules pour toute réponse. Elle n'avait pas la moindre envie de lui révéler qu'elle n'avait plus rien à se mettre. Et pourtant elle avait essayé toute la journée de se vêtir d'un pantalon. Hélas ni ses robes ni ses pantalons ne lui allaient. Même ses anciennes lingerie étaient trop petites. Tara avait réalisé aujourd'hui qu'elle avait grandi. Qu'elle n'était plus l'adolescente de seize ans d'autrefois.
- J'aime bien ma blouse, répondit-elle alors que Tina s'était levée.
- Madame ?
Un homme se posta devant l'entrée de sa chambre. Tara le reconnut tout de suite et tourna promptement sa tête vers son puzzle.
- Son altesse souhaiterait vous parler madame Thomas.
Le cœur de Tara s'arrêta presque de battre. Pourvu que ce ne soit pas elle l'origine de cette discussion, songea-t-elle en se mordant la lèvre si fort qu'elle grimaça. De toute évidence, le roi n'avait pas apprécié son silence ni la façon dont elle était partie de la table en courant.
- Est-ce grave ? S'interrogea Tina en fronçant des sourcils.
- Veuillez me suivre madame, déclara l'homme en disparaissant.
Elle eut envie d'éclater en sanglots à la seconde où Tina disparut à son tour. Sa cuillère tintait contre son assiette. Son cœur battait sourdement contre ses tempes. Elle bondit de sa chaise pour atteindre la fenêtre et vit Tina suivre deux hommes sous le crépuscule. Désemparée, Tara colla son front contre la vitre, priant pour ne pas être la cible de cet entretien.
Mohammed termina son thé lorsque Tina Thomas fut annoncée. D'un geste impatient il fit signe à son garde de la faire entrer. Cette dernière semblait inquiète et c'est exactement ce qu'il voulait.
- Merci d'être venue madame Thomas, déclara Mohammed lentement.
- On m'a dis que vous vouliez me parler ? De quoi s'agit-il ?
Il lui pria de s'asseoir sur l'un des fauteuils avant de lui exposer ses méfiances qu'il avait à son égard.
- Votre programme de réinsertion sociale me paraissait incomplet madame Thomas et j'aimerais en connaître un peu plus sur ces filles.
D'abord surprise Tina acquiesça.
- Elles sont inoffensives votre majesté.
Mohammed serra les dents.
- Ma femme l'était aussi avant que sa véritable nature se révèle, déclara Mohammed sèchement.
Tina Thomas blêmit soudain et se racla la gorge.
- Quels sont leurs problèmes ? Demanda-t-il en tapotant son pouce sur sa cuisse.
- Troubles alimentaires principalement, expliqua-t-elle d'une voix calme mais qui trahissait son hésitation à poursuivre ; Troubles du comportements également mais rien qui puisse nécessiter l'aide d'infirmiers. Notre centre fait partie des meilleurs et il se base essentiellement sur un accompagnement et...
- Donc elles ne sont pas folles ? Coupa-t-il en serrant les roux de son fauteuil.
- Célia l'est depuis quelques années mais chaque jour elle progresse.
Mohammed ne laissa rien paraître. Il recula son fauteuil pour faire face au crépuscule. Jusqu'ici, elle ne mentait pas.
- Ce matin l'une d'entre elles était seule dans l'étable, lui rappela-t-il sans se retourner.
- Comm...comment...
- J'ai pris soin de retirer les tableaux qui demeuraient encore en sécurité avant votre arrivée, expliqua-t-il alors en lui faisant face ; l'une de vos filles était seule, pourquoi ?
- Vous lui avez parler ? Demanda-t-elle d'une voix qui paraissait inquiète.
- Fallait-il déjà qu'elle me réponde, rétorqua-t-il agacé par l'air bravache de cette dernière ; Est-elle muette ?
- Non elle n'est pas muette.
Au lieu d'en être soulagé, il éprouva un sentiment d'humiliation. Cette jeune femme avait fait semblant d'être muette et Mohammed regrettait encore une fois de plus de ne pas pouvoir se lever.
- Depuis quand est-elle sous votre responsabilité ? S'enquit-il froidement ; Il semblerait qu'elle ait oublié ce qui signifie la politesse.
Tina Thomas releva le menton comme si ce commentaire était déplacée.
- Bientôt six ans.
- Six ans ? Répéta Mohammed en feignant l'étonnement ; Et elle est toujours anorexique ?
- Tara n'est pas anorexique du moins...ce n'est pas sa maigreur qui est à l'origine de son hospitalisation.
Tara...
Septique et curieusement ravi de pouvoir mettre nom sur ce visage saisissant, Mohammed s'avança près de son bureau sans quitter la directrice des yeux.
- Alors qu'a-t-elle ? Demanda-t-il d'une voix exigeante.
- C'est confidentiel votre altesse, dit-elle précipitamment.
Mohammed n'était pas surpris de sa réponse.
- Madame Thomas vous savez vous comme moi qu'il me suffit d'un seul coup de téléphone pour obtenir des réponses, déclara Mohammed d'un voix lente et doucereuse ; Il vaudrait pour vous de me dire ce que je veux entendre maintenant ainsi nous gagneront du temps.
Tina serra ses lèvres longuement avant de capituler sous la pression de son regard.
- Tara a été abandonnée bébé sur le parvis d'une église, elle a passé toute son enfance dans un centre d'accueil et si elle est dans notre centre spécialisé depuis plus cinq ans c'est parce qu'elle est la dernière victime d'un violeur en série qui sévissait à Rome depuis des années.
Mohammed dissimula l'émotion qui venait de le tenailler. Il éprouvait un certain remord d'avoir été trop rêche dans son jugement. La jeune fille aux yeux bleus océans n'était peut-être pas celle qu'il croyait et maintenant qu'il connaissait son histoire, Mohammed avait honte de lui et de ses hommes.
- Si j'avais su plus tôt, je n'aurais pas laissé mes hommes pénétrer dans la salle sans y être invité.
- Ne vous inquiétez pas votre altesse.
- J'espère au moins que cet homme est en prison, s'informa Mohammed.
- Il est mort, le frère de Tara s'est chargé de sa peine.
Incrédule Mohammed fronça des sourcils.
- Klaus Kreighton était dans le même centre d'accueil que Tara, il a fini par la prendre sous son aile et il n'était pas là pour la protéger ce soir-là, pris de remord il a remué Rome pendant des mois et l'a retrouvé alors qu'il s'attaquait à une nouvelle jeune fille.
Tina Thomas marqua une pause. Mohammed pouvait lire de la tristesse dans son regard.
- Elle est sous sa tutelle et j'ai mis des semaines avant qu'il accepte ce programme.
Impassible, Mohammed revit le regard de la jeune femme empreint de peur.
- Pourquoi est-elle en blouse ? Demanda-t-il en se rappelant avec humeur le tissu rêche qu'elle portait.
- Je l'ignore, elle la porte d'elle-même.
- Il serait plus convenable qu'elle porte des tenues plus seyantes à l'avenir, conseilla-t-il.
Tina acquiesça.
- Vous pouvez disposer madame Thomas, j'ai été ravi d'avoir pu échanger avec vous.
Celle-ci lui sourit et quitta les lieux. Mohammed se tourna vers le crépuscule en soupirant. Peu habitué à tirer des conclusions trop hâtives, il demeura songeur en se frottant la barbe, décidé à s'excuser auprès de la jeune inconnue dont histoire avait réussi à lui nouer la gorge.