Selon le planning d'Olivier, nous avions encore quelques heures devant nous avant la réunion avec notre potentiel futur client. Le temps de m'échauffer avant de rencontrer Judith pour la seconde fois.
Cette fois, je serai sans pitié avec cette rouquine diabolique.
— Et moi qui pensais que tu étais le genre de femme pantouflarde aimant dormir jusqu'à midi.
— Préjugé ! Il y a des femmes qui aiment l'exercice aussi.
La vérité ? Non. Je déteste le sport. Je méprise le sport.
Avant, j'aimais aller nager ou faire un quelconque sport en salle, mais depuis que c'est devenu un argument de vente et de commerce, je ne peux plus rien cadrer.
« Faites du sport, c'est bon pour la santé ».
Combien de fois doit-on entendre ce slogan débile ? Sérieusement ? En quoi c'est « bon pour la santé » de se ruiner les genoux et les articulations en courant ? Et puis je ne peux plus carrer ces femmes trop minces que l'on voit dans les pubs et qui disent « Holala ! Je dois maigrir pour cet été ». S'te plaît, tu fais un 34 alors ta gueule ! Ton slim, tu l'enfiles comme si de rien n'était, ça glisse tout seul. Moi, je dois faire la danse de l'hippopotame pour mettre ne serait-ce qu'un jean.
Vous savez, cette petite danse que l'on improvise d'un mouvement de va-et-vient des hanches afin de faire glisser le pantalon sur nos hanches. Et je ne mentionne pas le fait de rentrer le ventre quand il faut fermer le bouton et remonter la fermeture. Quelle horreur !
— Tu sais, si ça se trouve, Judith ne sera même pas là.
— Tu parles, elle viendra. Elle sera trop contente de te passer dessus comme un bulldozer.
— Alors d'une... elle ne me passe pas « dessus ».
— Non, c'est vrai, elle ne le fait plus. C'est mon truc, maintenant.
— C'est faux...
— Dit-il alors qu'il est allongé dans mon lit, nu comme un vers.
— Mais avoue que c'était incroyable...
— Ah oui, tu m'as TELLEMENT épuisée que regarde, je suis sur le tapis de la chambre en train de faire des abdos. Waw ! Incroyable.
Soudain, je sens un oreiller me percuter de plein fouet.
— Éternelle insatisfaite.
— Non, c'est juste trop facile avec toi. Je ne te fais pas marcher... courir, même.
Ce qui est plus ou moins vrai. Je sais où chatouiller Olivier pour qu'il réagisse au quart de tour. C'est comme appuyer sur un bouton. Maintenant que je sais où il est et quelle est sa corde sensible, je ne me gêne pas pour jouer avec.
— Bon, commande le petit-déjeuner ,homme ! J'ai faim.
— Et tu ne peux pas le faire, toi ?
— Je vais me doucher.
À cet instant, je vois ses yeux se mettre à pétiller tandis que je tente de réprimer cette envie qui bouillonne en moi.
— Halala ! Je vais encore devoir me frotter le dos toute seule, que ça va être dur ! Zut alors !
— Si ce n'est que ça...
Il se lève et à peine arrive-t-il à hauteur de la porte que je la lui ferme au nez en lui tirant la langue.
— Tu y as cru !
— Ce n'est pas drôle !
Si, ça l'est.
Quand je ressors, le petit-déjeuner est déjà là et Olivier s'est vêtu du drap blanc. Ainsi, près de la fenêtre, il a des allures de dieu grec.
— Finalement, la vue n'est pas si mal...
Il sourit et se retourne vers moi avant de servir le café dans nos deux tasses.
— Moi je dis, tu devrais aller à la réunion comme ça.
— Mais bien sûr, tu veux que je ruine toutes nos chances ?
— Tu ne ruineras rien.
— Comment tu peux en être si certaine ?
— C'est moi ta chance. Je vais la manger toute crue, ton ex.
— T'as raison, l'espoir fait vivre.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Je connais Judith et je sais comment elle fonctionne. Elle a été douce la dernière fois avec toi. Crois-moi. Quand il le faudra, elle saura frapper où il faut.
— Je ne sais pas ce qui me vexe. Le fait que tu aies plus confiance en ton ex ou que tu croies si peu en moi. Pourtant, tu m'as embauchée, non ? Tu es venu me chercher, n'est-ce pas ?
— Je sais, mais je te préviens, rien de plus.
Que t'es mignon, mais crois-moi, je n'ai pas besoin que l'on me « prévienne », je vais n'en faire qu'une bouchée de cette femme.
— Bon, va t'habiller. On va être en retard.
— Oui maman. Je file.
Il ne lui faut qu'une trentaine de minutes pour être enfin le patron que je connais.
— T'es prête ?
— Plus que jamais.
Tailleur en place. Talons aiguilles cirés. Mallette sous le coude, je suis prête à me jeter au cœur de l'arène.
On arrive alors au bas de l'immeuble quand le téléphone d'Olivier se met à sonner.
— Pars devant, j'arrive, me dit-il en me faisant un signe de la main.
— Je t'attends au niveau des ascenseurs.
Là-haut, la guerre m'appelle. La bataille m'attend.
— Philippine !
Olivier revient, paniqué.
— Philippine, je...
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— C'est ma grand-mère... je...
Dans ses yeux ne règne que la peur. Le doute. L'incertitude. L'inquiétude.
— Vas-y.
Sans doute ne s'attendait-il pas à ce que je lui dise ça et peut-être espérait-il que je le retienne, mais comment le pourrais-je ?
— Allez ! Dépêche-toi !
— Mais l'accord... le... enfin je ne peux...
— Aie confiance en moi.
Il m'embrasse sur la joue avant de partir en courant.
Seigneur, faites que mamie Adélaïde n'ait rien. J'ai encore tant de questions à lui poser.
J'appelle alors l'ascenseur, tentant de chasser ces sombres pensées de mon esprit pour me concentrer sur le plus important. Il faut absolument que je reparte de cet immeuble avec l'accord en main.
— Oh. Vous, fait une voix stridente.
À peine les portes s'ouvrent-elles que j'aperçois Judith March. Comme par hasard.
— Je ne vois pas Olivier.
— C'est normal. Il n'est pas là.
— Est-il confiant au point de laisser cette tâche à une secrétaire ? Cela m'étonne de sa part.
— Non, je pense qu'il a confiance au point de laisser cet accord à sa plus grande collaboratrice.
— Ne vous y croyez pas trop, vous ne ressortirez pas avec, croyez-moi. Je crois que je serai plutôt celle qui repartira avec le contrat.
— C'est mignon de croire aux miracles à votre âge. Vous croyez aussi au Papa Noël et à la fée des dents ? Avec une dentition comme la vôtre, si parfaite, les frais d'orthodontie ont dû piquer un peu, non ?
— Pas autant que le prix que vous avez dû payer pour ce tailleur bon marché. J'espère qu'il ne s'agit que d'une location.
— Venant d'une femme qui porte des Louboutins de contrefaçon, je vais prendre ça pour un compliment. Vous avez vous-même repeint la semelle en rouge de vos chaussures, non ? Je me disais que ça sentait la peinture ou alors est-ce votre parfum qui a une fragrance proche du dissolvant ?
— Vous avez décidément mauvais goût pour ne pas reconnaître les bonnes choses. Avec un nez si peu fin, je suis étonnée de le voir dans les affaires.
— Je le reconnais, mon nez est terrible, mais ce que j'ai de bien, c'est mon ouïe. Voyez-vous, elle est assez sensible aux ultrasons. Peut-être devriez-vous descendre d'un ou deux décibels. Je ne supporte pas votre voix.
— Je vous suggère de préserver votre salive pour tout à l'heure, Mademoiselle Tagliani.
— Pardon ? Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit. Je vous entends mal !
On entre toutes les deux à hauteur du couloir nous conduisant à la salle de réunion tandis que je la vois presser le pas.
— Eh bien, Mademoiselle March, vous faites de l'exercice pour marcher si vite ? Vous devriez faire attention où vous mettez les pieds.
— Je n'ai guère besoin de vos conseils.
Je la vois soudainement glisser sur le sol avant de se retrouver face contre terre tandis que je lui passe devant dans un petit ricanement.
— C'est ce que l'on appelle perdre la face.
J'attrape alors la pancarte jaune qu'il y a juste à côté d'elle.
— C'est bien d'être une grande perche, mais des fois, il faut savoir lire les écriteaux : « Attention sol glissant »
— Ne m'aidez pas à me relever, surtout !
— Pour quoi faire ?
J'avance vers la salle de réunion, constatant que notre client n'est pas encore présent, ce qui me laisse le temps de m'installer, même si mon repos est de bien courte durée quand Judith arrive à son tour.
— Vous ne payez rien pour attendre !
— Je vous suggère de vous asseoir avant de vous effondrer de nouveau devant ma grandeur et ma supériorité.
Parce qu'aujourd'hui, je me ferai cette femme. Croqueuse des affaires ou pas. Je détrônerai la reine et je lui couperai la tête.
— Vous ne viendrez pas pleurer quand je conclurai l'accord que je veux avec MON client.
— La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe, ma chère Judith. Mais je présume que vous êtes plutôt une belle crapotte, vous. Détendez-vous, tout se passera bien. Au fait ?
— Quoi ?
— En glissant, vous avez déchiré votre jupe. Sympa, le string rouge. Pas ma couleur favorite, mais bon... Ou alors c'est à force de péter plus haut que votre cul ?
Allez viens, ce n'est que le tour de chauffe.
Je ne suis peut-être qu'une »secrétaire », mais j'ai surtout secrètement un doctorat et une maîtrise en « Emmerdement » et toi, ma cocotte, tu ne vas pas te remettre de cette réunion et tu vas regretter de ne voir qu'une secrétaire en moi.