Le Murmure des Anges

Da LesCrisVains

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Depuis l'âge de six ans, Do-Anne entend des voix dans sa tête : celles des Anges, êtres mystérieux porteurs d... Altro

I- Je suis Do-Anne
III- Je suis Jeanne d'Arc
IV- Je suis jeune
V. Je suis séduite
VI. Je suis M. Broken
VII. Je suis trop imaginative
VIII. Je suis tourmentée
IX. Je suis Takdir
X. Je suis vacillante
XI. Je suis presque morte
XII. Je suis ailleurs
XIII. Je suis loin d'eux
XIV. Je suis Seseorang
XV. Je suis tantôt l'un tantôt l'autre
XVI. Je suis mille à la fois
XVII. Je suis parmi les ruines
XVIII. Je suis Penghormatan
XIX. Je suis la Belle
XX. Je suis Puteri.
XXI. Je suis la reine de la fête
XXII. Je suis Kebodohan
XXIII. Je suis Binatang
XXIV. Je ne suis personne

II-Je suis folle

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Da LesCrisVains

Lorsque je me réveille, la première chose que je remarque est la douce chaleur de ma couverture. Un goût artificiel de citron, celui des calmants dont on me gave au moindre cri, me prend la gorge, tandis que deux yeux d'une belle couleur noisette m'observent. Les médicaments fonctionnent : les voix des Anges résonnent d'une façon étrange dans mon crâne dysfonctionnel, comme de lointains échos.

Je respire puis reporte mon attention sur les iris marrons. Ce sont ceux de Mme Vabien, la remplaçante de M. Broken. Dans sa robe blanche, très sobre et sérieuse, elle ressemble à une sage infirmière. La voilà qui sourit au regard que je lui adresse. Ses lèvres d'un rose pâle dessinent une courbe chaleureuse. Si elle ne semblait pas si nerveuse, avec sa mâchoire un peu trop serrée, ce sourire aurait même pu être sincère.

"Comment vas-tu ? me presse-t-elle.

Dans sa voix persiste un léger accent chinois que ses vingt années en France n'ont su enlever.

- Bien.

- Bien... répète-t-elle comme si c'était une information capitale.

Si M. Broken affirme que le remède est en moi, Mme Vabien, elle, n'hésite pas à me prescrire nombre de médicaments, baumes et huiles. Après tout, cela rassure tout le monde - y compris elle, y compris moi. Mme Vabien serait incapable de l'avouer : le remède aux maux de l'âme n'a pas encore été inventé.

- Il s'est passé quoi ? je demande.

Je sais bien ce qu'il s'est passé : la main, les voix répétant un même mot, moi qui cède de nouveau face à cette emprise... Je me palpe le cou à ce souvenir. La main est repartie, les Anges parlent de nouveau sans s'écouter. Voilà ma version. La version de ma conscience, comme diront les autres. Maintenant, c'est la version rationnelle que je désire entendre.
Comme à chaque fois qu'il fallait m'expliquer quelque chose, Mme Vabien commence par quelques mots censés me rassurer :

- Ne t'inquiète pas, tout va bien. Une petite crise passagère, rien de plus, il ne faut pas s'en faire...

Non je ne m'en fais pas, bien sûr que je ne m'en fais pas. Mme Vabien porte bien son nom.

- ... Cette nuit, tu t'es mise à hurler et... tu tentais de t'étrangler. Tes parents m'ont donc téléphonée.

- Mes parents. Où sont-ils?

- Je regrette, ils ont dû partir travailler. Cela leur a fendu le coeur de te laisser mais...

- Pas de problème."

Je ne connais pas plus courageux que mes parents. Ils n'ont jamais renoncé à sauver leur fille. Je sais que je leur dois beaucoup, que je n'ai pas le droit de les mépriser. Et puis, c'est tout naturel qu'ils doivent travailler. Ils ont pris tant de jours de congés pour veiller sur moi...

"Et toi, Do-Anne, que s'est-il passé dans ta tête?

J'hésite un moment avant d'articuler :

- Une main m'étranglait. Je lui demandais qui elle était, et tout à coup, les Anges se sont mis à répéter...

Ma voix est pâteuse et mon corps encore lourd : mes calmants font donc encore effet. Je distingue la voix de M. Broken dans l'éternel concert de murmures. Il dit avec amertume :

"C'est une empoisonneuse."

La lumière du matin m'éblouit soudain. Je cligne des yeux, mais continue :

- Ils disaient un mot que je ne comprenais pas."

Mme Vabien quitte le tabouret en forme de licorne sur lequel elle est assise. Elle passe sa main dans sa raide chevelure toute noire, à part une mèche teinte en rouge. J'aimerais dire qu'un profond silence règne, j'aimerais dire que pas un son ne gâche cet instant. Hélas, le murmure continu des Anges dans mon esprit détraqué ne s'arrête pas. Face au silence de la réalité, les voix se font plus fortes, plus audibles. Je ne perçois que trop les cris du nourrisson, les pleurs de la jeune fille. Les consoler ne sert à rien: leur douleur n'a pas de fin. Même à ma mort, leurs gémissements continueront. Peut-être même qu'ils me suivront dans l'au-delà.

"Celakalah, reviens-nous."

Une voix s'élève au-dessus des autres pour s'imposer à mon âme comme un coup de poing. Je souffle :

"Ils disaient Celakalah.

Mme Vabien sort de sa réflexion à ces mots. Elle me regarde avec curiosité et inquiétude.

- Celakalah?

De sa bouche, cela ressemble à une incantation. Elle demeure un instant songeuse, cherchant un sens à ces syllabes. Jamais les Anges n'ont parlé ainsi d'une même voix. Quelque chose de terrible se prépare, il me semble, mais je n'ose l'avouer. Je refuse d'aggraver mon cas. La médecin a beau affirmer que tout se porte au mieux, quelque chose cloche bien. Elle finit par avouer :

- Je suis désolée, Do-Anne. Je ne vois pas ce que ça pourrait signifier.

Je fais comme si c'était sans importance. Lui répondant par un hochement de tête, j'ajoute :

- A mon avis, mon cerveau a dû l'inventer.

Encore une farce de mes neurones déglingués, il faut croire. Ces hallucinations ne me lâcheront pas sans difficulté. Un crâne sans voix ni bruit : voilà un beau rêve. Inaccessible, hélas...

- Tu te sens capable de te lever?" s'enquiert Mme Vabien.

J'acquiesce, puis actionne mon corps maintenant un peu plus dégourdi. Après s'être assurée que j'allais bien et ne risquais pas une nouvelle crise, la femme me laisse seule pour retourner à son cabinet. Je prends un rapide petit-déjeuner avant de me mettre au travail. Suite à mes "troubles", mes parents préfèrent que je n'aille pas au collège comme la plupart des adolescents. Je ne me sens ni instable ni dangereuse, mais je comprends leur décision. Je n'imagine que trop bien la réaction des autres face à mes crises. Ils auraient peur, bien sûr. Ils me jugeraient, bien sûr. Je serais vite devenue la risée du collège, et j'ai assez vu de films sur ce sujet pour savoir ce qui m'attendrait...

Do-Anne la folle. Terrifiant, non? C'est hélas un peu vrai.

Soudain mon portable sonne, m'arrachant à mes exercices d'allemand. Ne pouvant réprimer un sourire, je bondis de ma chaise. Je ne connais qu'une fille capable de m'appeler un lundi à onze heures...

"Hey Yasmine!

- Hey Dodo! Ça va?

Yasmine, non contente d'être ma meilleure amie, joue aussi le rôle de journaliste : elle me rapporte tous les potins du collège, allant des histoires de coeur du séduisant Edouard à la chute mémorable de Jade en cours d'EPS. Une vraie amie, avec un coeur en or que même les troubles mentaux ne parviennent pas à faire reculer. Pourtant, je réponds à sa question d'un mensonge afin ne pas l'embêter:

- Super, et toi?

- Il faut que je te raconte, ce matin il s'est passé un truc in-croy-able! Tu sais, Sébastien, le neveu du CPE?

- Oui ?

Quelque chose ne tourne pas rond tout à coup. Mauvaise intuition.

- Figure-toi que... Non, attends, je te laisse deviner!

Le bourdonnement des voix s'intensifie dans mon crâne. J'essaye de reconnaître le timbre de mon amie dans la masse sonore. Ma respiration s'accélère tandis que je m'accroche à la réalité, à tout prix. Je serre les dents. Face à mon silence douloureux, Yasmine s'inquiète :

- Dodo, que se passe-t-il? Tu entends les..?

Ces mots sont-ils encore une hallucination? Je me débats parmi les Anges. J'hurle et me tais à la fois.

- Celakalah! s'époumone l'un d'eux.

Leurs souffles blessés se mêlent au mien, et mon corps, soudain, n'abrite plus une, mais mille douleurs. J'étouffe... La sensation disparaît aussi vite qu'elle est arrivée. Suis-je en train de crier ? Suis-je en train de mourir ? Toujours la même peur, la même inquiétude de ne pas retrouver la réalité. Vérité. Il n'y a pas de vérité. Il n'y a que des cadavres, des massacres, des victimes impuissantes d'un génocide dont nul ne m'a jamais parlé. Mort. Je titube, du moins je crois, car mes jambes perdent leur matière. Souffle ou esprit ? Tout s'embrouille, je me perds, je m'enterre. C'est au moment où je crois me noyer que je remonte à la surface.

Ma souffrance se dissipe, ramenant les voix à leur murmure habituel. Tout en reprenant mon calme, je réponds à mon amie à l'autre bout du fil :

- C'est bon... Je vais bien...

- Repose-toi, Dodo. Je te raconterais plus tard, OK?

Une telle bienveillance m'apaise. J'ai cru qu'elle avait raccroché.

- Merci Yasmine. Tu es un ange," je soupire.

Quand elle raccroche, je me mets soudain à rire comme la folle que je suis. Un ange... Les anges sont-ils vraiment parfaits, à hanter ainsi les humains? Je suis fatiguée, au point que je finis par m'écrouler sur mon lit, sans pourtant arriver à dormir.

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