Clair de Lune

By LollyTigerYtb

87 11 1

Les vacances d'été qui tiraillent Amanda entre la fin du collège et le début du lycée pourraient bien constit... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4

Chapitre 5

17 2 0
By LollyTigerYtb

Après avoir déjeuné, je remonte me brosser les dents et me passer un peud'eau fraiche sur le visage. J'envoie en suite un texto à mes parents et à Lila pour les tenir au courant des résultats des auditions : je sais que ma frustration se serait fait ressentir dans ma voix si je les avais appelé de vive voix.
  Je suis descendue jusqu'à l'accueil où les fiches d'inscriptions sont toujours affichées, mais où -contrairement à ce matin- les adolescents pleins d'adrénaline ne sont pas entrain de s'entasser. Je me retrouve donc assise par terre devant les fiches, et alors que je mon regard se perd dans le vide, je repense à ce que Conor m'a dit lors de notre première -et dernière- interaction : « ...à moins que tu ne sois une révélation... ». Puis les douces paroles de Lila envahissent mes pensées : « ...tu trouveras ce qui auras coincé ».
  Si quelque chose à coincé, alors je ne suis pas la "révélation" que ce camp attendait. Une autre avait déjà la place que je convoitais et, comme d'habitude, cela ne m'a pas empêchée de m'avancer tête baissée dans un mur quadruple épaisseur... Ma détermination est bien ma principale qualité, et surtout mon pire défaut. La perfection est une chose qui n'existe pas, c'est l'idéal que chacun essaye d'obtenir et la bataille inaccessible pour l'atteindre est une drogue.
J'en suis consciente, la perfection me rendra certainement folle un jour.
  Perdue dans mes pensées, je ne daigne pas remarquer la silhouette qui s'approche derrière moi. Ce sont ses paroles qui me sortent de mes songes :
  -Ah... Tu savais que tu n'aurais pas ta place dans ce groupe, j'ai essayé de te le faire comprendre... Alors ne te rend pas malade pour ça.
  C'est Conor.
  Une décharge électrique me parcours le corps, de la nuque jusqu'aux chevilles, et je sens mon cœur jaillir de ma poitrine lorsque je l'aperçois à contre-jour. Le crissement de ses pas sur l'étendue de graviers orangés couvre mes paroles :
  -Je suis heureuse d'avoir essayé, et je vais pouvoir passer les auditions pour les doublures quand les autres seront arrivés, je ne m'inquiète pas trop !
  Il me fixe, immobile et d'un regard impassible pendant de longues secondes, avant de se retourner et reprendre sa route dans la direction opposée.
  Je me relève du petit trottoir tout poussiéreux dans le même silence. Je secoue mes jambes pour en faire glisser les petites particules de poussière qui se sont imprégnées dans mon short en jean, puis je retourne dans le bâtiment principal où Anicé doit m'attendre.

  À l'heure de manger, Anicé et moi rentrons dans la cafétéria, nos deux plateaux vides dans les mains. Nous passons devant les présentoirs où setrouvent des assiettes de macaronis au fromage. J'attrape une assiette chaude d'où s'échappe un filet de fumée et une délicieuse odeur de fromage fondu, puis deux abricots juteux, avant de rejoindre Anicé et mes nouveaux amis, déjà attablés.
  Une fois installée, Conor décrète que -par soucis d'ancienneté- c'est à moi que revient la tâche d'aller remplir le pot d'eau vide au centre de la table.
  Je rêvasse en regardant couler l'eau depuis le robinet jusqu'au fond du pot, le remplissant jusqu'aux trois quarts. Je referme alors le robinet, avant de me retourner vers la table de mes amis musiciens.
  Je marche prudemment en regardant l'eau qui se secoue dans le pot métallique, sans même remarquer le pied qui surgit de nulle-part pour me faire trébucher si prêt du but : j'ai laissé le pot tomber par terre, et j'observe, impuissante, l'eau s'étaler sur le carrelage rouge de la grande salle. J'ai eu, avant de m'étaler de tout mon long sur le sol, le reflexe de me rattraper à la chaise d'Anicé qui reste bouche-bée devant cette scène.
  Au milieu de la cafétéria où s'élèvent des gloussements puériles, je rentre dans une colère féroce : lorsque je me retourne pour voir à qui appartient ce pied mal placé, j'aperçois le visage candide et moqueur de Conor. Sans réfléchir, voire presque par instinct, je m'appuie de tout mon poids sur mon assiette de macaronis posée sur la table. La douleur provoquée par la température du fromage fondu ne fait qu'attiser ma haine, et j'attrape -sans même me contrôler- une grosse poignée de pâtes que je lance au visage de mon ennemi.
  Conor s'est arrêté de ricaner, et il nous faut à peu près le même temps de réaction pour réaliser ce qu'il vient de se passer. Les rires autour de nous s'estompent, tout le monde nous observe avec de grands yeux attentifs. Derrière mon dos, j'entend la respiration saccadé d'Anicé, prête à s'évanouir.
  Mon regard se porte sur la main ayant porté le geste et sur laquelle le fromage fondu a laissé de petites brûlures. Lorsque je lève des yeux hésitants en direction de Conor, celui ci passe sa main le long de son visage, depuis sa mâchoire jusqu'à sa mèche de cheveux noire.
  Contre toute attente, il m'adresse une sorte de rictus stressant, et se met à rire de plus belles.
  Le silence dans la salle s'efface pour laisser place à des hurlements et de la nourriture qui jaillit dans tous les sens, tâchant la salle des murs jusqu'au plafond.
  Anicé met machinalement son plateau sur le sommet de sa tête pour faire bouclier, et jette des bouts de macaronis de sa main libre l'autre.
  Je poursuit ma participation à la bataille que j'ai provoquée, jusqu'à ce que les torrents de macaronis se fassent remplacer de gros fruits bien mûrs.
  Je me réfugie sous la table la plus proche, évitant de justesse un abricot juteux qui s'écrase contre la vitre derrière moi. Je m'assois prudemment pour ne pas écraser un bout de pâte gluant, et j'aperçois une silhouette à mes côtés. Je ne tarde pas à reconnaître les beaux yeux vers de Conor, et nous nous mettons tous deux à rire du ridicule de la situation :
  -Moi c'est Conor, et toi c'est Amanda, non ?
  -Amy !
  -Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas que tu tombes...
  Je baisse la tête sans vraiment savoir quoi répondre.
  -Je suis sérieux ! Et au fait, pour ton inscription, je faisais partie de ceux qui ont été sacrément impressionnés par ta prestation. Le jury était favorables à ton inscription, mais Marine nous a monté la tête et..
  -T'inquiète, c'est pas grave.
  Je préfère encore une fois le stopper net, je me fiche de leur débat. Les résultats sont là.
  -Ouais.. C'est juste bizarre que tu acceptes aussi bien ta défaite, tu as peut-être l'habitude de ne pas être choisie, mais...
  -Alors là, je t'arrêtes tout de suite, j'ai toujours été la meilleure, et ce où que j'aille. C'est juste que je suis perdue ici, et c'est déjà pas facile de faire bonne figure...
  Je m'en veux déjà d'avoir lever la voix sur lui.
  -Tu me laisses finir ?
  Il me regarde avec un regard si doux et intense que je ne peux m'empêcher de ne répondre que par un hochement de tête frénétique, avant de le laisser finir :
  -Si tu avais l'habitude de ne pas être choisie, alors moi je t'ai trouvée excellente. Et c'est d'ailleurs pour ça que j'ai demandé aux autres de te prendre directement comme doublure pour le spectacle de fin d'année, puisque tu m'as dit que tu voulais passer les prochaines auditions tout à l'heure. Alors quand ils ont dit oui, j'ai voulu me lever pour aller te le dire, et puis tu es tombée...
  Je me trouve bête, tout à coup, d'avoir commencé cette guerre de nourriture pour une action finalement bienveillante.
  -Oh, Conor, je suis désolée de m'être emportée et.. Mais attend, quoi ? Tu veux dire qu'ils m'ont choisie ? Sans audition préalable !
  Après un instant de silence pour me laisser reprendre mes esprits, Conor m'adresse un chaleureux sourire et me tend une main amicale :
  -Sans rancune ?
  Je lui rend son sourire et Finir finit par me demander :
  -Mais alors tu n'es jamais venue à Los Angeles ? Ça te dirait de sortir dans Hollywood cet après-midi ? Anicé peut nous accompagner si tu veux...
  -Laisse moi deviner, tu veux nous montrer ton étoile sur Hollywood Boulevard ?

  J'attend, assise sur un petit banc à l'entrée du Melodycamp, mon petit sac à la main pour la virée de mes rêves dans le quartier de mes rêves. Je ne peux m'empêcher de téléphoner à ma meilleure amie : mon excitation s'intensifie au cours des « Bip » qui me paraissent interminables.
  -Allô, Amy ? Alors, tes résultats, t'as du nouveau ?
  -Coucou ma Lily, je n'ai définitivement pas été reçue mais figure toi que j'ai fait connaissance avec ce garçon, Conor ! Si tu le voyais, avec ses yeux verts émeraude et sa peau dorée...
  -Ah ! Et... tu comptes aller jusqu'où avec lui ?
  Je lève machinalement les yeux au ciel avant de répondre :
  -Jusqu'à Hollywood !
  Lila reste perplexe et réplique :
  -Tu sais bien que ce n'est pas là le sens de ma question...
  -Oui, je plaisante. En fait il m'a avoué qu'il avait appuyé m'a candidature pour faire partie des doublures. C'est pas un rôle très important mais ça peut me permettre de passer un peu plus de temps avec lui... Pour jouer, je veux dire ! Même s'il m'a proposé de me faire visiter Hollywood cet aprèm'...
  -Oh la la, mais c'est qu'il marque des points le petit ! Tu me rapporteras un souvenir, hein !
  Je ne peux m'empêcher un petit rire forcé. J'aperçois la silhouette menue d'Anicé, sa petite sacoche en cuir à la main. Je m'empresse de raccourcir ma discussion avec Lila lorsque j'aperçois Conor qui accompagne mon amie.
Le taxi arrive et Conor m'ouvre galamment la portière, un sourire charmeur aux lèvres.

Une fois sortie du taxi, j'admire l'arrivée d'Hollywood Boulevard ; bon, finalement, c'est pas si fou que ça -par rapport à l'idée que je m'en suis faite depuis toutes ces années. Un élan d'adrénaline m'empêche cependant de ne pas me réjouir.
  Les pavés ornés d'étoiles m'hypnotisent. Quelques palmiers sont parsemés sur le bord de la route et projettent leur ombre sur le trottoir du Walk of fame.
  Nous longeons quelques boutiques aux prix exorbitants tandis que je sautille sur les petites étoiles qui font scintiller mes yeux.
  Conor et Anicé, qui me regardent d'un air amusé, m'entraînent dans un petit restaurant où l'enseigne m'indique : « StarsSnak ».
  Nous nous asseyons sur trois tabourets bleus sur lesquels sont dessinés une grande étoile blanche, autour d'une table ronde ornées des rayures rouges et blanches de Stars and Stripes. J'observe le papier rose clair sur les murs, en hésitant sur les multiples choix hautement caloriques que propose le menu.
  Conor m'incite à commander la même chose que lui, et un énorme beignet au glaçage sucré rose bonbon parvient jusqu'à mon assiette. Anicé me regarde en souriant et annonce fièrement :
  -Je vais aux toilettes...
  Je décide rapidement d'engager la conversation avec le beau jeune homme aux yeux verts qui mastique une bouchée de beignet.
  -Tu viens souvent par ici ?
  Conor passe délicatement son index sur le glaçage rose de sa pâtisserie en souriant. Les deux émeraudes de ses yeux se fixent alors dans mes prunelles.
  -Tu sais garder les secrets ?
  Je m'empresse d'hocher la tête, la bouche pleine de pâte sucrée.
  -Alors là, je suis une tombe !
  La grosse portion de pâte me chatouille le palais.
  -Les beignets, c'est ma deuxième passion, après la batterie !
  J'écarquille des yeux aussi ronds que la pâtisserie devant mon nez, impressionnée par la silhouette entièrement musclée de ce gros mangeur de beignets. Il poursuit :
  -J'aimerais être pâtissier et ouvrir ma propre boutique de beignets. Imagine ça : de toutes les couleurs et à tous les parfums !
  Nous explosons de rire en symbiose.
  -Ok, c'est à moi de t'avouer quelque chose, je suppose ?
  Un air de défi illumine son beau regard lorsqu'il pose ses coudes sur la table et se rapproche de moi. Il hoche doucement la tête et je sens son souffle contre le mien.
  -Ma deuxième passion, après le piano, c'est les étoiles.
  Conor soulève l'un de ses épais sourcils en répliquant :
  -Et donc.. Tu veux devenir astronaute ?
  Nous nous mettons une nouvelle fois à rire à gorges déployées. Un peu plus tard, Conor griffonne son numéro de téléphone qu'il me tend « pour les répétitions ». Peu après le retour d'Anicé, nous décidons qu'il est temps de rentrer au MelodyCamp.

Allongée sur mon lit, je laisse une petite enveloppe blanche glisser entre mes doigts. Sur le devant, l'adresse d'expédition indique le nom de ma meilleure amie. J'ouvre le courrier pour lire ce que Lila m'écrit :

Coucou ma meilleure Amy,
J'espèreque tu passes un bon séjour et que, malgré tes hormones chamboulés par le beau-mec-aux-yeux-verts, tu gardes un peu de place dans ton cœur pour penser à moi !
PS : J'ai eus l'adresse par ta mère, heureusement qu'elle est là.
Lily

Le petit mot accompagner ne chaîne en argent d'où pend la bague de Lila en guise de pendentif. Ça me fait du bien de voir un peu d'écriture française, d'autant plus celle de Lila qui m'est particulièrement familière.
Mon téléphone me sort de mes songes. Un message s'affiche sur l'écran : « Je t'attend en bas. Conor. ». Je saute de mon lit, attrape la jupe que je préfère à l'intérieur de mon placard. Je garde simplement le débardeur blanc qui me sert de pyjama,  et descends à toute vitesse après m'être aspergée de parfum.
Il est là. Conor m'attend, me sourit d'un air gêné, les mains dans les poches de son jean noir. Je m'approche en étudiant d'un regard insistant chaque détail de sa tenue. La lune fait ressortir son t-shirt blanc, assorti à ses chaussures en toile.
Conor s'approche de moi. Bien que j'en meurs d'envie, il ne me prend pas la main. Je lui lance un regard interrogateur :
-Tu m'as dit que tu aimais regarder les étoiles, alors je me suis dit que je pouvais t'emmener quelque part de spécial, si t'es pas trop fatiguée ?
Je le suit d'une marche lente, slalomant entre les arbres du parc. Le seul son de l'herbe fraîche, et celui du crissement des chaussures de toile de Conor, occupent l'espace sonore du parc désert. Les gouttelettes de rosée qui glissent entre mes sandales me procurent une douce sensation. La chaleur qu'émane le corps de Conor juste à côté du mien contraste avec l'air frais où virevolte l'air fraîchement coupé.
Côte à côte, nous descendons la petite pente herbeuse, sa main frôlant la mienne. Je sens que Conor cherche désespérément mon regard et je n'ose pourtant pas tourner la tête pour le regarder.
Nous nous stoppons net à quelques mètres devant l'étendue ruisselante d'un lac sur lequel se reflète le ciel d'été étoilé. Nous nous allongeons tous deux sur la colline verdoyante, et je remarque que les lumières du centre ville se distinguent moins d'ici. Ce n'est qu'en levant les yeux que je remarque l'image la plus idyllique qu'il m'ait été de voir ; le satellite naturel de la terre paraît immense, d'une circularité parfaite. Des millions d'étoiles scintillent au-dessus de nos têtes et les beautés de la nature nous sont comme offertes en ce spectacle paradisiaque. J'en oublie presque Conor, qui se met à rire en observant mon air ahuris.
-Alors, Amanda, si tu me racontais un peu comment c'est, d'où tu viens ?
Je n'ai aucune envie de lui parler de mes parents, des mésaventures qui m'ont conduite ici, ni même de ma meilleure amie. Je voudrais seulement fermer les yeux et profiter de cet instant, de la nuit calme, près de lui.
-Je préfère Amy, et disons que le ciel est beaucoup moins beau qu'ici !
-Je dois avouer que c'est pas mal, finit-il par dire après m'avoir lancé un regard attendrissant de ses beaux yeux verts. Mais plus on s'approche du centre de L.A, moins tu as de chance de voir le ciel...
-En général, je regarde les étoiles quand je suis triste, où au contraire très heureuse.
Conor tourne la tête vers moi :
-Et là, tu es triste ?
Les yeux bruns plongent dans les siens. Les milliers de petites étoiles se reflètent en une multitude de paillettes dans ses pupilles turquoises.
Je sens mon corps basculer de son côté, ses mains se déposent au creux de mes reins et nos visages sont désormais si proches que j'en ai le souffle coupé.
Mon corps est désormais penché au-dessus du sien. Le bout de son nez effleure la pommette de ma joue droite. Un élan de chaleur émane de ses mains et parcours le long de mon corps. Je sens ses paumes caresser le bas de mon dos vers le bas. Je retiens un gloussement en appliquant brusquement la chaire charnue de mes lèvres contre les siennes. Le temps paraît s'être arrêté, ses yeux verts me donnent le vertige. La douceur de son baiser s'intensifie lorsque sa langue vient caresser la mienne et que nous nous resserrons l'un contre l'autre en un baiser langoureux.

Le soleil laisse s'échapper l'un de ses rayons par l'entrebâillement de mes volets. Le bout de mon nez perçoit à la fois sa chaleur et l'arôme sucré des fleures tropicales du dessous de ma fenêtre.
J'entrouvre les yeux. Par ma fenêtre, je parviens à observer la mer qui déploie ses calmes vagues sur la plage en un cliquetis qui chatouille mes tympans.
  Derrière la porte de la salle de bain, Anicé est entrain de s'acharner sur son pauvre saxophone qu'elle ne parvient pas à accorder. Je me souviens alors que nous avons notre premier cours aujourd'hui.
  Je referme les yeux pour profiter une dernière fois de mon état somnolant. Je souris niaisement en me rappelant la soirée qui vient de se terminer. Je sens encore la chaleur de Conor autour de moi, la douceur de notre étreinte et l'assurance de chacun des mots qu'il chuchotait à mon oreille. J'assimile l'écho de la mer à la fraîcheur rassurante du lac devant nos deux corps entrelacés.
  Je me ressaisi lorsque j'aperçois la petite tête blonde d'Anicé sortir de la salle de bain. Elle me lance un regard plein de défi, attrape un CD dans la pile qu'on nous a mis à disposition dans la chambre, et se met à hurler dans une brosse en guise de micro pour me forcer à me réveiller.

  Après avoir pris notre petit déjeuner, Anicé et moi sortons de la cafétéria. Elle ne cesse de me poser des questions sur ma soirée avec Conor, auxquelles je décide de ne répondre que partiellement.
  Un air irlandais au violon se met soudainement à résonner depuis les hauts-parleurs accrochés de part et d'autre dans le grand parc, et la voix de ma tante retentit bientôt autour de nous : « Bonjour à tous, je vous souhaite une très bonne journée pour ce premier jour de cours ici, au MelodyCamp. Je prierais une nouvelle fois cette année les élèves habitués d'inciter les nouveaux arrivants à se présenter aux auditions des différents groupes. Vous pouvez dès à présent rejoindre vos salles de cours et bâtiments respectifs, afin que la journée se déroule comme prévue. Merci de votre attention, amusez vous en cette très belle journée ! »
  Anicé sautille sur place, et j'entends à peine ses paroles hachées par ses soubresauts :
  -Les bâtiments de cours sont de l'autre côté du lac, j'ai cours de saxophone dans le bâtiment C, celui de droite ! Ton cours de piano est en B, celui du milieu ! Bon, moi je te laisse je suis trop excitée !
  Je me dirige calmement selon ses instructions, et je parviens à trouver un petit bâtiment rose saumon aux grandes baies vitrées qui, malgré le reflet du soleil, me laissent percevoir un grand piano à queue.
  En poussant la porte, je tombe nez-à-nez avec tous mes camarades pianistes aux visages angoissés. En cherchant le professeur des yeux, j'aperçois un grand homme chauve au visage plongé dans ses partition. Il se retourne en entendant la porte claquée, et mon cœur rate un battement. J'ai l'impression de tomber de trente mètres de haut lorsque je reconnais ce visage qui m'est plus que familier.
  Lorsque j'ai commencé le piano, à l'âge de neuf ans, mes parents ont d'abord cherché un professeur particulier, capable de me faire cours sans demander trop d'argent en retour. Ils se sont alors tournés vers Benjamin Wine, l'époux de la secrétaire de mon père.
  Vous l'aurez compris, c'est face à Ben que je me retrouve aujourd'hui, au beau milieu de la Californie. À en juger par la façon tremblante avec laquelle il tient ses partitions, je considère qu'il est au moins autant surpris que moi. Il manque de faire tomber sa paperasse et j'essaye quant à moi de jouer le jeu en parlant anglais :
  -Puis-je prendre cette chaise ?
  Le vieillard me sourit en hochant la tête, et me laisse percevoir une paire d'yeux émus derrière ses petites lunettes rectangulaires.
  Le cours porte principalement sur de la théorie musicale, et bien que j'ai toujours eu des facilités dans ce domaine, mon attention ne se porte que sur la voix de mon professeur qui me transporte plusieurs années en arrière.
  Ben était très connu dans la région, et je l'ai très vite compris. « Amusement mais rigueur », tels étaient les mots d'ordre avec lesquels je m'exerçais pour la première fois sur un clavier. J'ai toujours secrètement rêvé de ce moment où les gens diraient « l'élève a dépassé le maître » ; il est ma motivation, mon objectif. Après quelques temps, il a dû prendre sa retraite et déménager. Je n'ai jamais su où il partait.
  J'attend la fin du cours en scrutant les aiguilles de l'horloge au mur de la grande salle. J'observe les rides du front de mon professeur, celles aux bords de ces yeux, autrefois inexistantes.
  Une fois le cours terminé, je prend mon temps pour ramasser toutes mes affaires, jusqu'à ce que tous les autres adolescents soient partis. Ben relève les yeux lorsque je m'approche de lui :
  -Ma chère Amanda, que fais tu a l'autre bout du monde ?
  En l'entendant prononcer mon prénom, je perçois également les tremblements de sa voix qui n'était autrefois pas chevrotante. Il poursuit :
  -Tu te souviens de Clairde Lune ?
  Bien que ce magnifique morceau ait toujours été mon préféré, Ben ne me l'a jamais fait travailler. Je baisse les yeux en imaginant qu'il m'ait confondu avec une autre élève.
  -Lors de la dernière année où je t'ai eu en cours, tu m'as demandé de te le faire travailler mais malheureusement il aurait mieux valu que tu aies plus d'expérience...
  -Je me souviens, oui !
  J'ai presque crié, tellement heureuse de me rendre compte que mon professeur préféré n'a pas perdu la tête.
  Ses lèvres, parsemées de fines rides, se déploient un grand sourire. Après avoir échangé quelques banalités, Ben s'empresse :
  -Allez, file ! Vas manger. Tu dois avoir un sacré mal de ventre avec ces leçons répétitives !
  Je lui lance un sourire avant de lui tourner le dos et me diriger vers la porte.
  -Tu sembles oublier quelque chose, ma grande !
  Je me retourne brusquement, et aperçois une partition qu'il me tend. Malgré les centaines de notes qui se chevauchent sur ces pages, je reconnais l'entête indiquant l'intitulé de la mélodie :« Clairde Lune, Debussy ».
  Des étoiles scintillent dans mes yeux et la voix de Ben résonne derrière mon dos :
  -Tu es largement prête.

Continue Reading

You'll Also Like

761K 16.7K 69
« 𝐈𝐥 𝐲 𝐚𝐮𝐫𝐚 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐮𝐧𝐞 𝐩𝐥𝐮𝐦𝐞 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐞́𝐜𝐫𝐢𝐫𝐞 𝐥𝐞 𝐟𝐮𝐭𝐮𝐫, 𝐦𝐚𝐢𝐬 𝐣𝐚𝐦𝐚𝐢𝐬 𝐝𝐞 𝐠𝐨𝐦𝐦𝐞 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐞𝐟𝐟𝐚...
20.6K 744 40
L'amour ça guéri comme ça blesse ça fait sourire comme pleurer c'est un mélange de haine et d'amours réuni en un seule cœur mais en deux personnes, m...
7.1M 497K 44
Karim et nana
5.8M 182K 69
Los Angeles a de quoi faire rêver ... sauf pour Cassy Johnson. Après cette terrible nuit, tout a changé, sa vie est devenue un véritable cauchemar. E...