Quand Rosa sortit enfin de sa chambre le lendemain matin, Jason était absent. Il n'avait laissé aucun mot mais Rosa se dit qu'il était sûrement parti faire quelques courses. Sur la table de la cuisine était encore posé le petit livre qu'elle avait écrit auparavant lorsqu'ils étaient enfants. Elle fit d'abord comme s'il n'était pas là et prit son petit-déjeuner sans jetter un regard au carnet.
Mais malgré elle, son oeil était attirré par cet horrible bouquin qui lui criait de le regarder. Rosa se concentra sur son bol de céréales puis ne put tenir plus longtemps. Faible, pensa-t-elle. Elle attrapa le carnet et commença à en lire le contenu. Les fautes étaient frappantes et elles faisaient presque mal aux yeux de Rosa. L'histoire était sans intérêt et tournait en rond. On se demandait même vraiment pourquoi Jason et sa complice avaient prit la peine de l'écrire.
Puis Rosa comprit enfin ce que voulait dire Jason la veille. Il ne parlait pas de leur histoire d'amour à eux, mais de l'intrigue ridicule de ce livre stupide. Quelle conne ! Elle s'était emballée trop vite et dès que Jason avait prononcés des paroles comme celles-ci, elle les avait tout de suite prises pour elle.
Cette constation déconcerta Rosa qui en oublia complètement son petit-déjeuner. Elle avait donc si peu confiance en Jason pour croire qu'il allait insulter leur histoire d'amour alors qu'ils passaient un bon moment ? Il faut croire.
Mais qu'est-ce-qui n'allait pas au fond ? Rosa n'était pas bête et elle fit rapidement une nouvelle constation tout aussi triste que la précédente. Elle ne faisait que de la figuration. C'est le premier mot qui lui vint à l'esprit. Mais est-ce-qu'elle faisait semblant d'être attachée à Jason alors qu'elle savait très bien qu'elle ne serait plus jamais capable de l'aimer ou au contraire, est-ce-qu'elle essayait par tous les moyens de rendre Jason détestable alors que son coeur lui hurlait qu'elle l'aimait encore ? Impossible à savoir pour Rosa.
Le vrai problème était le suivant : est-ce-que Rosa aimait encore Jason ?
Voilà plusieurs fois qu'elle se posait la question, mais elle ressentit le besoin de se la poser une fois de plus. Ce n'était pas si compliqué au fond... C'était soit "oui" soit "non". Pas de place au "peut-être".
Rosa était incapable de pardonner facilement une faute pareille à Jason. Il l'avait trompée, ce n'était pas rien. C'était juste quelques heures ou peut-être même quelques minutes, lui souffla une voix dans son esprit. Et Jason s'est excusé et est en train de faire l'impossible pour se faire pardonner. Oui, mais Rosa n'était pas de ces filles incapables de vivre sans leur mec. Même si cette pensée semblait cruelle et trop réaliste au yeux de Rosa, elle savait très bien qu'elle pouvait se passer de Jason.
Si elle ne l'avait pas suivit, si elle n'avait pas répondu à sa lettre lorsqu'elle était en Californie, Rosa serait revenue au lycée et aurait poursuivi le cours de sa vie. Elle aurait trouvé un autre garçon, l'aurait aimé, peut-être pas aussi intensément que Jason, mais elle l'aurait aimé. D'une certaine manière. Jason serait petit-à-petit sortit de ses pensées et quelques années plus tard, il ne serait plus qu'un souvenir de sa jeunesse. Après tout, ils n'étaient que des adolescents en train de vivre leurs premiers émois. Tu te mens à toi-même, reprit la voix.
Rosa repensa aussi à ce qu'avait stipulé Jason dans sa lettre :
Tu es libre de ne pas me répondre, mais tu le regretteras dans environ six mois (plus ou moins).
Que voulait-il dire ? Que représentaient ces mois ? Rosa l'ignorait. Est-ce-qu'ils avaient joué un rôle dans sa décision de suivre Jason ? Elle n'en savait pas davantage. Tout ce qu'elle savait, c'était que la promesse de Jason de réaliser ses rêves n'avait aucun rapport avec son envie de partir avec Jason. Rosa n'était pas pauvre et si elle réalisait un des métiers qu'elle envisageait pour son futur, elle ne le serait jamais. Rosa avait presque uniquement souhaiter des rêves matériels. Des choses qu'on pouvait avoir par l'argent. Si elle l'avait voulu, elle aurait prit une année sabatique pour prendre le temps de réaliser tout ce que Jason avait accomplit jusque-là et avec un bon compte en banque, elle aurait pu tout faire. Non, les rêves n'avaient rien à voir avec cette folie qu'elle avait faite de suivre Jason dans cet incroyable périple.
Et si la vérité était si simple que Rosa n'arrivait pas à la voir ? Si Rosa avait suivit Jason simplement parce qu'elle l'aimait ?
Bien sûr, chantonna la voix dans sa tête. Honnêtement, est-ce-que Rosa se voyait au bras d'un autre garçon que Jason ? Non. Est-ce-qu'elle arrivait à projetter sa vie sans qu'il en fasse partie ? Non. Est-ce-que Jason n'était pas l'une de ses raisons de vivre ? Si. Si Jason mourait demain, est-que-qu'elle se réveillerait le matin avec la même assurance et la même sensation de pouvoir toujours avoir quelqu'un près d'elle pour la soutenir et pour l'aimer ? Non. Si Jason mourait maintenant, est-ce-qu'elle pourrait continuer à vivre ? Tu le pourrais, mais tu ne le voudrais pas.
Puis elle repensa à cette pluie londonienne et au dilemme auquel elle avait fait face. Quitter Jason ou rester avec lui ? Il pleuvait, certes, la voiture était accidentée, certes, elle se trouvait à des milliers de kilomètres de chez elle, certes, mais si elle l'avait vraiment voulu, elle aurait eu les moyens de quitter Jason. Il n'y a jamais eu de dilemme.
La réponse était si claire qu'elle en fut presque étourdie en en prenant conscience.