Deux semaine plus tard, et pour la première fois depuis que nous étions « en couple »,
j'avais proposé à Michaël un rendez-vous. Je terminais les cours à midi, et j'avais pensé que
c'était une occasion de manger ensemble et de parler en face à face. Je ne voulais pas, à
l'époque, que ma famille soit au courant de notre relation. Michaël et moi avions tout de
même plusieurs années d'écart et comme il était un ami de mon frère, je craignais que notre
amour ne fasse pas l'unanimité. Je m'étais donc contentée de dire que j'allais voir « un ami »
durant l'après-midi, et personne ne s'était posé de question.
En marchant vers le bord de mer pour le retrouver, je n'avais pas cessé de vérifier ma
coiffure dans les vitres des magasins. Je stressais. J'avais peur de ne pas savoir quoi dire, de
ne pas savoir quoi faire, de ne pas être au niveau. Le matin, les critiques de mes camarades
avaient été plus dures encore qu'à l'ordinaire, à cause des bijoux que j'avais décidé de porter
et du soin que j'avais pris, pour une fois, dans la recherche et l'association de mes
vêtements. A mon arrivé, les nouvelles amies de Jade étaient venues à ma rencontre, et
m'avait inspecté de la tête aux pieds.
-Elle veut se faire belle t'as vu ?
Mary, que je considérais comme la plus insupportable du groupe, était venue regarder mon
visage de plus près, d'un air dégouté :
-Ben c'est raté alors !
-Ouais ! T'as beau mettre un smoking à une morue, ça reste un poisson dégueulasse !
-Sacrément dégueulasse pour le coup !
Elle avait tourné les talons et s'était éloignée de moi, feignant d'être prise de nausée.
-Tiens mais du coup, elle a peut-être rendez-vous avec son copain imaginaire !
-C'est une meuf je suis sûre !
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-Ne Rêve pas ! Même une fille ne voudrait pas d'elle ! Son copain est soit un amoureux de la
faune marine, soit un courant d'air.
-Je vote pour le courant d'air !
Jade finalement, avait osé prendre la parole :
-Peut-être qu'il existe, quand même !
Elle était parfaitement au courant de mon histoire avec Michaël, je lui en avais parlé par
message, mais elle ne voulait pas prendre de risque en dévoilant son amitié pour moi.
-Ahah ! Tu crois encore au compte de fée toi hein ? Sérieux... regarde la bien ! Tu penses que
cette meuf peut se trouver un mec ? Genre un vrai ?
Elle avait haussé les épaules, presque honteuse.
-Non mais répond sincèrement ! Ton avis nous intéresse chérie !
Mary avait le sourire mauvais qui lui allait si bien. Evidemment, si elle demandait à Jade
d'être sincère, ce n'était qu'une façon de parler. Il n'y avait qu'une réponse possible. Mon
« amie » devait faire face à un choix : Redevenir victime de la raillerie de Mary, ou me dire
en me regardant dans les yeux que personne ne pourrait jamais vouloir de moi. Je savais ce
qu'elle allait faire, et je ne lui en voulais pas. Il était inutile qu'elle s'inflige la torture dont
j'étais déjà victime et dont elle s'était échappée. Jade s'était mordue la lèvre en levant les
yeux vers moi. Je voyais le regret assombrir son regard à mesure qu'un sourire forcé étirait
ses lèvres.
-Je ne pense pas que quiconque puisse vouloir de ça.
Mary était suspicieuse :
-Pourquoi t'as hésité ?
-J'avais pas envie d'être méchante. Si elle perd l'espoir, il ne lui restera plus rien.
Un rire moqueur avait secoué le groupe. Je ne portais pas d'intérêt à l'image que ces filles
avaient de moi, mais je m'inquiétais de ce que Michaël, lui, allait penser.
Je me trouvais plus laide chaque fois que je croisais mon reflet et j'avais même songé à faire
demi-tour. Le désir d'être heureuse, enfin, était finalement plus fort que la crainte, et j'avais
marché droit jusqu'à notre point de rendez-vous. Face à lui, cependant j'hésitais sur la façon
la plus appropriée de le saluer. Je n'avais jamais embrassé un garçon, mais lui faire la bise
me semblait mal venu. Je savais bien que je n'y connaissais rien et cela me stressais
d'avantage.
Je m'étais arrêtée devant lui et avec un regard empli de bienveillance, il m'avait enlacé. Cela
m'avait semblé naturel, finalement, comme si nous l'avions toujours fait. Sans nous tenir la
main, et les joues légèrement rougies, nous nous étions dirigés vers un petit snack du
littoral. Je lui avais demandé d'une petite voix :
-Tu veux qu'on fasse quoi ?
-Ciné ?
Je savais qu'il y avait le dernier opus de Twilight au cinéma, et j'avais très envie d'aller le
voir. Pourtant, cela me semblait difficile de montrer ce genre d'histoire d'amour à un
garçon.
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-Pourquoi le ciné ?
Je n'avais rien trouvé d'autre à dire.
-Parce que c'est romantique ! Et puis il y a le nouveau twilight.... Je n'en ai vu aucun, mais je
sais que toi tu aimes, alors ça te ferait plaisir !
J'étais surprise et touchée.
-Oh bien sûr ! Ce serait génial !
Un élan m'avait poussé à l'enlacer, mais je m'étais rapidement reculée d'un pas, légèrement
gênée. Comme toujours, il avait ri.
-Par contre, il va falloir que tu m'expliques ce qui se passe dans les quatre premiers films !
J'avais souri à mon tour. Il ne pouvait pas trouver mieux comme sujet de discussion. Parler
de twilight était pour moi habituel et rassurant, et je lui avais raconté chaque détail de
l'histoire, même ceux que les réalisateurs des films n'avaient pas jugés indispensables. Je
considérais qu'avoir un copain qui s'intéresse assez à sa copine pour écouter parler durant
plus d'une heure de Twilight était une chance incroyable : J'étais tombée sur l'homme
parfait.
Nous nous étions ensuite dirigés vers le cinéma. J'étais toujours un peu gênée, mais je me
sentais heureuse, presque euphorique. Mon bonheur s'évanouit, cependant, dans la file
d'attente avant d'entrer dans la salle où le film était projeté. Des élèves de ma classe. Pas
tous, certes, et pas les pires, mais cela suffisait à m'angoisser terriblement. Eux ne m'avaient
jamais rien fait, mais je trouvais leur présence intimidante, et je savais déjà ce qu'ils
pensaient de moi. J'avais fait comme si de rien n'était, espérant qu'ils ne me verraient pas,
et nous nous étions installés vers le fond de la salle. Michaël avait pris ma main, et en posant
ma tête sur son épaule, j'avais oublié tout ce qui m'entourait. Je sentais mon cœur battre à
tout rompre, et ma respiration s'accélérer. J'étais amoureuse, timide, angoissée, heureuse...
cela faisait beaucoup pour mon cerveau, pour mes mains, pour mon âme. Presque trop de
bonheur d'un coup. Je me désintéressais du film, d'Edward, de Bella, lovée dans les bras de
Michaël et je n'aurais su résumer le film si je n'avais pas déjà lu le livre à de multiples
reprises. J'avais le cœur trop occupé à aimer, et l'esprit trop occupé à ne pas le décevoir, à
ne pas faire de faux pas.
Le film touchait à sa fin, nos mains s'entremêlaient mais ma respiration ne s'était pas
apaisée. En même temps que les personnages, j'avais prononcé la dernière phrase : « A
jamais ». La musique du générique retentissait déjà. Michaël avait plongé son regard dans le
mien, et avait répété : « A jamais ». Doucement, il s'était avancé et ses lèvres s'étaient
approchées des miennes. Timidement, avec hésitation, il m'avait embrassée. C'était mon
premier amour, c'était mon premier baiser. Le temps s'était suspendu, et je ne voyais rien
du monde autour qui ne prenait jamais de pause, me laissant reposer dans un instant
d'éternité. J'étais bien. Je sentais une chaleur réchauffer mes mains tremblantes, et un
courant électrique me traverser de part en part. La douceur, la tendresse, l'amour... Je me
sentais plonger, voler, me laisser porter par un bien-être soudain, sans limite.
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Et puis, comme lorsque l'on se réveille en sursaut après une chute onirique, j'avais reçu la
réalité du monde en pleine figure. Ils étaient là, presque en ronde autour de moi,
spectateurs. Les élèves de ma classe...
-Hé ! Abby ! On ne te pensait pas comme ça !
-Elle a vraiment un mec en fait ! Va falloir le dire à Mary !
- Elle ne le croira pas ! Allez embrassez-vous encore qu'on vous prenne en photo !
J'avais détourné le regard pour masquer les larmes qui y naissaient. Tout aurait été
absolument parfait s'ils n'avaient pas été là. Je ne voulais pas pleurer devant eux, et je ne
voulais pas avoir l'air faible devant Michaël, qui s'était levé pour leur parler. Pourtant,
craignant de me mettre d'avantage dans l'embarras, il s'était tu. Alors, comme personne ne
leur répondait, ils avaient fait demi-tour et avait quitté la salle. J'avais caché mon visage
dans les mains, honteuse et terriblement déçue. Michaël m'avait caressé le dos, doucement
et avait patienté quelques instants.
-Je crois qu'il faut qu'on sorte, ma belle, avait-il murmuré.
Il m'avait attrapé la main et nous étions sortis du cinéma. Pour me rassurer, il m'avait enlacé
de longues minutes de ses bras protecteurs. Il m'avait ensuite accompagnée à l'arrêt de bus,
presque sans un mot. Je me sentais moins mal, mais je pensais mon premier baiser gâché
par la bêtise des autres. Michaël n'osait pas réitérer son geste, et je n'avais aucunement
l'intention de prendre des initiatives. Ainsi, nous avions attendu mon bus en discutant.
J'étais subjuguée par la façon dont mon copain me regardait. L'amour que l'on pouvait
puiser dans ses yeux, la douceur et l'admiration. J'étais touchée, et soulagée qu'il ne me juge
pas comme le faisait toujours mes camarades. J'aimais profondément Michaël, et je
remerciais la vie de m'avoir fait croiser son chemin. Ce jour-là, en nous quittant, notre
étreinte celait, pour moi, notre promesse : « A jamais. »