La théorie des cactus

By Imaxgine

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Logan, c'est le grand brun aux yeux bridés qui aime les drames, ceux qui se terminent par de longs dialogues... More

Avant-propos.
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Épilogue.
Mot de la fin.

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By Imaxgine


J'ai obtenu mon diplôme la semaine suivante. C'était une petite cérémonie qui avait lieu dans le gymnase de l'école. Il y avait pas mal de discours. Mais on s'en fichait tous ; c'était ce moment qui comptait et qui nous reviendrait à l'esprit plusieurs années plus tard. Même si on avait tous chaud dans nos toges et qu'on tapait du pied parce que le discours du directeur général n'en finissait plus, tout le monde avait trouvé la patience de rester assis là, sur sa chaise de plastique. Mes parents, mes soeurs et ma nièce se trouvaient dans la pièce, assis quelques rangées plus loin. Moi, j'étais avec les autres finissants.

De temps en temps, je rencontrais le regard de mes parents durant la cérémonie. Ils me souriaient, les yeux débordant de fierté. On aurait dit qu'ils avaient oublié l'incident de la semaine dernière et les nombreuses conversations qui avaient suivi. Ils s'en fichaient de ce que je voulais faire : je graduais de la Senior High School. C'était tout ce qui leur importait, surtout quand j'avais réussi à obtenir des notes au-dessus de la moyenne.

Pour les bonnes notes, ils pouvaient remercier Sacha. C'était elle qui s'était donnée corps et âme pour m'expliquer les matières que je ne comprenais pas. Et il fallait admettre que j'étais un élève exaspérant. Surtout quand Pistache s'imposait toujours dans le décor. Pas moyen d'étudier dans la chambre de Sacha quand il y avait un chat qui se roulait en boule sur vos cahiers pour avoir un peu d'attention.

Parlant de Sacha, elle était assise à côté de moi et écoutait chaque discours avec une détermination implacable. Elle s'acharnait à tout comprendre, si bien que lorsque je me suis penché pour lui glisser une remarque au creux de l'oreille, elle m'a repoussé d'un geste.

— C'est important ce qu'il dit ! m'a-t-elle réprimandé.

— Ah ouais ? Pas vraiment. On a fini l'école, Sacha !
Elle a levé les yeux au ciel.

— Pour un gars qui avait peur de graduer, tu as l'air de drôlement aimer cette idée.

J'avais toujours peur de graduer, à vrai dire. Sacha le savait très bien. J'avais dû lui en parler à tous les soirs au téléphone, après chaque examen. Elle me rassurait à chaque fois, du mieux qu'elle le pouvait. Mais une chose était certaine : j'avais beaucoup moins peur qu'auparavant. Je savais où je m'en allais l'automne prochain, je savais ce qui m'attendais et j'étais pleinement conscient que je ne pouvais pas tout prévoir. Les imprévus, ça faisait partie de la vie, comme Sacha l'aurait si bien dit. J'avais la majeure partie de mon trajet de fait. Mes parents avaient même approuvé mon projet en me proposant de l'aide financière, aide que j'avais refusé. Ils n'étaient pas entièrement d'accord avec ma décision, mais ils la respectaient. C'était déjà un bon terrain d'entente. Et puis, ils n'avaient pas d'autres choix ; rien n'allait me retenir de toute manière.

Le directeur général a fini son discours. Une dame de l'administration que je devais avoir vu seulement deux fois au courant de mon parcours scolaire s'est présenté sur la scène et a commencé à énumérer des noms. Tout le monde y passait. On montait sur le podium, on serrait la main du directeur et de l'administration, puis on attrapait son diplôme et hop ! on retournait à notre place, nouvellement arrivé dans le monde des adultes. Enfin, ce n'était pas aussi noir et aussi blanc. Tout le monde arrivait sur la scène à sa manière. Michael, par exemple, a fait un dab lorsqu'il est arrivé sur la scène. Il était content de graduer. J'avais entendu dire par Sacha qu'il s'embarquait en entreprenariat. Il voulait fonder sa propre entreprise de cuisine. Encore une chose que j'ignorais à son sujet : il était fan de cuisine. Ça ne se voyait pas et pourtant, comment ça aurait pu ?

Yuri a embrassé son copain Will, lorsqu'elle est débarquée du podium. Il l'attendait avec des fleurs, et c'était beaucoup moins ringard que ce qu'on pourrait croire. Cole, lui, a souri quand son tour est venu. Pénélope n'a pas bronché. Sacha est monté sur la scène, plus belle que jamais dans sa toge noire. Je l'ai regardée serrer la main du directeur, puis prendre son diplôme et quitté la scène. J'étais fasciné. Fasciné par Sacha qui méritait ce diplôme plus que tout. Sa mère devait tout filmer dans un coin de la pièce, les larmes aux yeux.

Sacha est revenue s'asseoir à côté de moi, les joues en feu et le souffle court.

— Tu crois que j'étais pas mal ?

— Tu étais splendide, Sacha.

Elle a levé les yeux au ciel.

— Sérieusement, ai-je ajouté. N'en doute pas une seconde.

Un petit sourire s'est glissé sur ses lèvres.

— Merci.

J'ai glissé ma main dans la sienne avec la même aisance qu'à l'habitude. Sacha et moi avions tenté de ralentir un peu notre relation. Il fallait peser sur le frein. Enfin, c'était ce qu'on s'était dit. Mais nos résolutions avaient bien vite planté. Certes dans les premiers temps, j'avais cherché à prendre un peu mes distances. Pas par méchanceté ou parce que j'avais peur, mais parce que c'était devenu trop. Puis, la décision de mes parents de me supporter dans mes projets avaient réussi à amortir le tout. En vérité, on ne savait pas où la pédale de frein se trouvait et comment il fallait faire pour l'enclencher. Et peut-être qu'au fond, on ne le voulait pas vraiment.

Ils ont finalement appelé mon nom. Je me suis levé, tout tremblant. Sacha m'a pressé la main. Ça m'a donné un peu de courage. Je suis monté sur la scène et j'ai échangé une poignée de main avec tout ceux que je rencontrais, sans trop voir leur visage. Tout s'est passé tellement vite. Ai-je serré la main du directeur en premier ou celle du jeune homme de l'administration ? Aucune idée.

Mes parents ont été ceux qui ont applaudi le plus fort. Ils étaient tous les deux très fiers. Ma soeur Candice a même hurlé, arrachant quelques coups d'oeil aux inconnus qui l'entouraient. J'ai attrapé mon diplôme et je suis descendu du podium. Et aussi simplement que ça, j'ai gradué.

Comme le générique d'un film, la dame au micro n'a pas cessé d'énumérer des noms. Elle continuait à un rythme fou. Je suis passé aussi vite que le nom d'un figurant dans une méga production américaine. Mais ça m'était bien égal.

En nous voyant tous monter sur la scène, je me suis dit qu'on n'était pas tous très différent les uns des autres : on avait la peur au ventre qui se mélangeait à l'excitation du moment. Il n'y avait plus de « moi » et de « eux ». Il n'y avait que « nous », finissants, jeunes adultes venant d'empocher leur diplôme de la Senior High School. On ne faisait qu'un, même si on ne se parlait pas, même si on ne se regardait pas vraiment. Mais on partageait le même moment, la même émotion et c'était suffisant. Plus je voyais le visage des gens que j'avais côtoyés pendant plusieurs années, plus je commençais à accepter l'idée que j'étais en train de graduer. Je me suis même penché pour le murmurer à l'oreille de Sacha.

— On est en train de graduer, bordel ! Tu le réalises ?

Elle a simplement ri.

J'ai regardé Olivia, Lawrence, Alison et Carter monter sur la scène à tour de rôle. Je me suis soudainement senti un peu mal, parce que ce moment, on avait prévu de le passer tous ensemble. Et ce qui m'attristait le plus c'était qu'il semblait tous aussi heureux et effrayé de graduer que moi. Il n'y avait qu'à voir le sourire que Lawrence affichait en ayant son diplôme d'études entre les mains. Il allait enfin pouvoir draguer des étudiantes sans avoir à prétendre qu'il était lui-même un étudiant. Ce qui me poussait à être triste c'était que je n'avais personne mis à part Sacha avec qui partager ma joie. N'allez pas croire que ma copine n'était pas de bonne compagnie, tout le contraire. Mais ça n'avait rien à voir avec Lawrence, Ali, Carter ou même Olivia. Eux, je les connaissais depuis des années. Je me souviendrais toujours de nos longues conversations au sujet de l'avenir alors que nous n'avions que quatorze ans. Où serions-nous ? Si tôt, nos avions déjà partager nos plus grandes inquiétudes. Que des gamins, oui. Mais des gamins avec de grandes préoccupations.

Comme Michael Chan était le représentant élu de la douzième année, c'est lui qui a fait un énorme discours à la fin de la remise de diplôme. Il a remercié tous les profs et s'est même excusé au nom de tous les élèves pour les blagues de fin d'année (on avait volé les craies des professeurs, puis on leur avait jeté des chaudières d'eau froide au visage au moment où ils s'y attendaient le moins)... Mais c'était la tradition. Et nous n'étions pas ceux qui allaient y mettre fin.

— C'est un jour spécial, d'accord ? a déclaré Michael. On ne le réalise pas encore, mais dans dix ans, ces jours ne seront plus que des souvenirs. Et peut-être qu'on vivra tous au travers de ceux-ci, un peu comme des vieux qui ne parlent que de leur jeunesse et qui oublient de vivre. Ce serait vraiment dommage de terminer comme ça, vous ne croyez pas ?

L'assemblée était silencieuse.

— Mais on est tous un peu con, alors ça ne m'étonnerait pas qu'on finisse comme ça.

Tout le monde a ri.

— Alors si c'est le cas, j'aimerais au moins que ces souvenirs soient beaux, qu'il n'y ait pas de regrets, pas de « j'aurais tellement dû ». Si on est pour vivre à la même époque toute notre vie, autant en profiter. J'ai pas envie que dans vingt ans, une personne assise dans cette salle repense à ses jeunes années en se disant qu'il aurait dû inviter telle fille à tel bal ! Vas-y, fonce, mon gars ! Il n'y a rien qui t'en empêche. On gradue, merde à la fin !

J'ai souri. Quelques membres de l'assemblée ont applaudi.

— Bref, la morale, les enfants : ne regrettez rien. Vivez, foncez, soyez des gens heureux qui nous emmerdent avec leur putain de bonheur !

Le directeur général à levé les yeux devant la grossièreté des propos de Michael, mais il n'a rien dit. Michael est descendu de la scène, acclamé par plusieurs, moi y compris. Sacha s'est même levée debout pour l'applaudir. Elle souriait et criait le nom de Michael, fière de son pote. Lorsqu'elle s'est retournée, je la regardais.

— C'était un beau discours, ai-je murmuré.

Elle a lassé ses doigts aux miens.

— J'ai aidé Mike à l'écrire.

— Oh et je suppose que ça explique tout ?

Ma copine a ri.

— Oui, il me semble!

Moi aussi, j'ai ri.



Sacha et moi, nous n'avions pas prévu de nous perdre de vue après la cérémonie. À vrai dire, nous étions collés l'un contre l'autre, alors que nos parents discutaient entre eux. Ma mère et la sienne s'entendait à merveille. Mon père trouvait toujours son mot à dire dans la conversation, alors que le beau-père de Sacha ne faisait que réagir de temps en temps. C'était un peu ennuyant pour nous deux, alors on s'est légèrement éloigné de nos parents. Finalement, Sacha a eu envie d'aller aux toilettes. Alors, elle est partie et je suis resté seul. Quelques gars de mon cours de chimie avec qui j'avais discuté quelques fois m'ont félicité et je les ai félicités à leur tour. Michael est venu discuter avec moi quelques minutes, mais Will est bien vite venu se mêler à la conversation et je me suis senti de trop. Je me suis donc éloigné. Au final, j'étais tout seul. Je n'avais plus personne avec qui discuter, avec qui partager ce moment. Et puis, je les ai tous vus. Un par un. Là-bas, près de la fenêtre, il y avait ma bande d'amis. Carter n'était pas dans les parages (il devait fumer), Olivia et Alison se tenait par la main et Lawrence était un peu en retrait et discutait avec sa mère et son beau-père. Lorsqu'ils m'ont aperçu, ils m'ont tous dévisagé. Heureusement, j'ai gardé le peu d'audace qui me restait et je suis allé retrouver Olivia. Peut-être que le discours de Michael Chan m'avait plus marqué que ce que je pensais. Ou peut-être que Sacha lui avait soufflé les mots justes pour me pousser à ravaler ma fierté et à marcher droit vers mon amie d'enfance. En tout cas, ça m'avait motivé.

Olivia ne m'a pas dévisagé, ni giflé. C'était déjà une bonne nouvelle.

— Est-ce qu'on pourrai se parler, tu crois ? lui ai-je demandé.

— Maintenant ?

J'ai regardé autour de moi, gêné.

— Oui, je t'en prie.

Elle m'a suivi dans un coin plus reculé de la salle d'accueil de l'école. Du coin de l'oeil, j'ai aperçu Lawrence nous dévisager et Alison se retenir de sourire. Je la trouvais bien optimiste, alors que ni l'un ni l'autre n'avions la confirmation que tout se passerait bien.

Une fois suffisamment à l'écart des autres, Olivia m'a tiré vers elle. Elle m'a frappé le bras.

— Aïe !

— Espèce d'idiot ! s'est-elle exclamée.

J'ai porté ma main à mon bras et je me suis mis à masser.

— Salut, ai-je grommelé.

— Salut ? C'est tout ce que tu as trouvé ?

— Je suis content de te voir, moi aussi.

Elle a levé les yeux au ciel.

— Qu'est-ce que tu veux, Logan ?

— J'ai beaucoup réfléchi durant la cérémonie. Le discours de Michael, il m'a fait penser.

— Ah oui ?

— Te moque pas, Olivia. C'est sérieux ce que je cherche à dire.

— Alors, vas-y. Dis-le.

— J'ai envie de m'excuser.

— Hum ?

— J'ai plus envie qu'on se dispute toi et moi, Oli. Tu vois, comme il a dit, on vit à travers les souvenirs. Je n'ai pas envie que mes seuls souvenirs de toi soit associé à notre dispute.

Elle n'a pas cillé une seule seconde.

— Moi non plus.

J'ai soupiré de soulagement. Trop tôt.

— Hé, oh ! Je te rappelle que tu as encore du chemin à faire pour être pardonné complètement. Tu as été stupide.

— Et toi, tu as été superficielle.

— Ce n'est pas...

— Si tu veux qu'on puisse passer à autre chose, tu dois accepter que tu as ta part de responsabilité dans ce conflit.

Olivia a baissé les yeux sur ses chaussures. Ses joues ont pris une teinte rosée. J'ai bougé inconfortablement, peu à l'aise dans ma toge trop grande pour moi.

— Est-ce que tu sors toujours avec Sacha ? m'a-t-elle interrogé.

— Oui et sache que je n'ai pas l'intention de rompre avec elle de sitôt. Elle doit encore m'endurer un peu.

J'ai souri, malgré moi.

— Et si c'est elle qui rompt avec toi ?

— Pas de chance. Elle m'aime trop pour ça.

C'était supposé être une plaisanterie, mais Olivia l'a prise au sérieux.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

J'ai haussé les épaules.

— Je connais Sacha. Et ça va au-delà de tout ce qu'on pourrait penser d'elle.

— Donc tu l'aimes vraiment ?

— Ouais. Et elle aussi, elle m'aime. Tous les deux, on est heureux ensemble.

Olivia semblait pourtant toujours en douter. Elle me regardait tout en se mordant la lèvre, songeuse.

— Elle n'a rien à voir avec Pénélope ?

— Rien à voir, du tout. Vous devriez passer un peu de temps ensemble toutes les deux : vous êtes toutes les deux très chiante.

Cette fois, j'ai réussi à lui arracher un sourire.

— Ça va, je te crois sur parole.

— Tu serais surprise, Oli, ai-je dit.

Elle a décliné l'offre d'un geste.

— On organise une petite fête de graduation ce soir chez Carter. Si ça te dit, tu pourrais peut-être passer ?

Mon sourire devait être énorme.

— Avec la bande habituelle ?

— Toujours avec la bande habituelle, voyons.

J'ai ri.

— Eh bien, j'adorerais ça.

— Alors je compte sur toi pour être là ce soir.

Elle est repartie. On n'avait peut-être pas réglé tous nos différents et on ne s'était pas vraiment excusé l'un à l'autre, mais il y avait de l'espoir. C'était déjà ça. Le reste viendrait avec le temps, même si du temps, on commençait grandement à en manquer.

J'ai cherché Sacha pendant une dizaine de minutes. Nos parents étaient toujours en train de discuter entre eux, mais cette fois la mère d'Olivia qui était très amie avec la mienne s'était jointe à la conversation. Comme leurs conversations de vieux ne m'intéressaient pas, je n'y suis pas retourné. J'ai regardé partout à la recherche de ma copine : dans les toilettes (quelques filles m'ont dévisagé, de là mon désir pour les toilettes unisexes), dans les classes, à son casier, à la réception, partout. Je l'ai même appelée deux fois, mais elle n'a pas répondu. J'ai commencé à perdre espoir jusqu'à ce que je l'aperçoive assise sur la pelouse à l'extérieur. Elle était avec Cole. Je me suis figé en les apercevant. Ils avaient tous les deux retirés leur toge et leur mortier. Ils ne portaient plus que leurs vêtements chics : Sacha en robe courte blanche et Cole dans son costard bleu marin. Tous les deux semblaient être dans une profonde discussion, si bien que je me suis retenu de les interrompre. Donc, je suis resté en retrait et j'ai tenté de leur laisser un peu d'intimité, mais mon côté curieux prenait le dessus. Je ne pouvais m'empêcher de les observer de loin, intrigué. Je voulais savoir de quoi ils parlaient. Au fond, je savais que Sacha allait finir par m'en glisser un mot ou deux, mais je ne pouvais m'en empêcher.

À un certain point, ils ont tous les deux souri, complices. Sacha a pris un pissenlit mort dans ses mains et l'a fait tournoyer. Toutes les mousses blanches se sont éparpillées dans l'air. Par la suite, ma copine s'est étirée pour lui embrasser la joue. En retour, il l'a serrée contre elle. Quelques secondes plus tard, il s'est levé et s'est épousseté le costard. Je l'ai regardé s'avancer dans ma direction pour rentrer à l'intérieur. Il ne m'avait pas encore vu et c'était le moment parfait pour dégager, sauf que j'ai été trop lent pour me décider. Il m'a aussitôt remarqué. Et je n'avais plus aucun échappatoire.

Tous les deux, nous nous sommes regardés sans rien dire pendant un moment. Puis, Cole s'est raclé la gorge et a parlé.

— Fais attention, mec : cette fille, c'est une perle.

J'ai acquiescé, parce qu'au fond, je ne savais pas trop quoi répondre à ce genre de conseil. Semble-t-il que c'était suffisant pour que Cole reprenne son chemin. Je n'ai pas mis deux minutes après qu'il soit parti pour retrouver Sacha. Elle avait retiré ses talons et reposait maintenant pieds nus dans le gazon, l'air zen. Un second pissenlit, bien jaune cette fois, fleurissait dans sa main.

— Tu sais que c'est le moment parfait pour une photo Instagram ?

Elle a sursauté.

— Logan.

— Sacha.

Elle a souri. Je me suis assis à côté d'elle sur la pelouse.

— Dernière chance pour la photo, l'ai-je avertie.

Elle a souri.

— Ça va, je vais passer mon tour.

Elle s'est calée contre moi. Seuls mes deux bras nous supportaient maintenant.

— De quoi vous parliez, Cole et toi ? ai-je demandé.

— On a réglé certains trucs.

— Oui, vous aviez l'air très complices tout à l'heure.

Sacha a froncé les sourcils.

— Tu nous as observé ?

J'ai haussé les sourcils.

— Pas longtemps, ai-je expliqué. Je te cherchais, mais vous aviez l'air en pleine discussion alors je n'avais pas envie de vous déranger.

Elle s'est tournée face à moi, l'air impressionnée.

— Tu es une personne géniale, tu le sais ça ?

J'ai rigolé.

— Comment ça ?

— Tu aurais pu être jaloux.

— J'ai des raisons d'être jaloux ?

— Non, mais une fille qui parle à son ex... Je ne sais pas, tu aurais pu prendre peur.

J'ai froncé les sourcils.

— Je te fais confiance, Sacha.

Elle a souri.

— C'est bien parce que j'ai horreur des mecs jaloux.

— Tu en as connu beaucoup ?

Sacha m'a regardé.

— Si seulement tu savais, Logan.

— À ce point-là ?

— Je ne plaisante pas, m'a-t-elle assuré. Dans le temps où je... Où, enfin, je sortais avec Cole, j'ai rencontré plusieurs types du genre. Ils étaient tous possessifs.

— Et comment tu gérais ça ?

— Je m'enfuyais. Tu sais, je ne suis pas un animal qu'on met en cage.

J'ai ri.

— Non, vraiment pas. Tu mords, dans ces cas-là.

Elle a ri.

— Eh bien, toi, Logan, tu es quelqu'un de bien et d'extrêmement mature.

— Arrête, tu me flattes.

— C'est sérieux ! m'a-t-elle réprimandé. Tu es mieux que tous les mecs que j'ai fréquenté dans le passé.

Je me suis penché pour l'embrasser. Ses lèvres se sont jointes aux miennes en l'espace de quelques secondes seulement. Lorsque je me suis écarté, ses mains entouraient toujours une partie de mon visage. Son pouce caressait ma pommette. Nous sommes restés dans cette position longtemps, jusqu'à ce que Sacha s'égare dans ses pensées. Lorsqu'elle en est revenue, elle avait tout de même l'air d'être ailleurs, comme si elle était submergée par les regrets.

— Qu'est-ce qu'il y a ? me suis-je inquiété.

— Cole.

— Quoi, Cole ?

— Il a toujours su, tu sais.

J'ai froncé les sourcils.

— À propos de quoi ?

— De mes aventures, a-t-elle murmuré. Il a toujours su ce que je faisais dans son dos, mais il n'a rien dit.

— Et moi qui le croyais aveugle...

Les canons dans les yeux de Sacha m'ont empêché de terminer ma phrase. Je me suis aussitôt repris.

— Enfin, pas comme dans le sens que tu l'envisages, Sacha.

Elle a levé les yeux au ciel.

— Il est resté avec toi tout ce temps, en sachant qu'il n'était pas la seule personne que tu fréquentais ? Pourquoi ?

— J'en sais rien.

— Et toi pourquoi tu es restée avec lui si tu allais toujours voir ailleurs ?

Elle a haussé les épaules.

— Certains disent que c'est pour le sexe, d'autres pour la réputation. Parfois, on aime raconter que c'est uniquement parce que je suis une pute. Et d'autres, parce que j'ai besoin d'attention.

J'ai serré les poings. Ma mâchoire s'est contracté. Ma respiration s'est accélérée. Je n'aimais pas cette perception que les gens avaient de Sacha. Ça n'avait tout simplement rien à voir avec la vraie Sacha, celle que je connaissais, ou plutôt celle que je cherchais irrémédiablement à connaître.

— Moi, c'est ta version à toi qui m'intéresse.

Elle a déposé un baiser à la commissure de mes lèvres. J'aurais voulu plus, mais je souhaitais tellement une réponse de la part de Sacha que je suis resté immobile.

— Cole, au début, c'était quelqu'un d'hyper intéressant, a-t-elle admis. Il était un peu comme moi, tu vois : on était tous les deux dépeint par les gens de l'école. L'image qu'on avait de nous n'avait rien à voir avec ce que nous étions vraiment. On s'est donc rapproché. On a partagé de beaux moments, aussi. Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis tombé amoureuse de lui ; je n'ai jamais été amoureuse de Cole. Mais, je ne sais pas, j'avais envie de nous laisser une chance. Après tout, on n'a pas besoin d'être amoureux pour fréquenter quelqu'un. En tout cas, c'est dans cette logique que je fonctionnais.

— Et qu'est-ce qui s'est passé ?

— On aurait dit qu'après quelques semaines, ce n'était pas suffisant.

— Comment ça ? ai-je demandé.

— Il manquait quelque chose. Et je ne trouvais pas cette chose en Cole, alors j'ai commencé à m'éloigner de lui sans trop le vouloir et à me retrouver à avoir plein de liaisons avec des gars de la fac ou de l'école. Je cherchais toujours cette même chose, sans la trouver. Alors je quittais le mec.

— C'était quoi cette chose ?

Sacha a haussé les épaules.

— Va savoir, a-t-elle répondu. Le pire dans tout ça, c'est que Cole savait pendant tout ce temps, mais il ne disait rien. Il préférait passer pour le mec stupide, en nourrissant toujours un peu l'espoir que je finirais par revenir vers lui.

Elle a secoué la tête.

— Pauvre Cole.

J'ai passé mon bras autour de son épaule, tentant de la réconforter du mieux que je le pouvais.

— En tout cas, c'est une bonne chose que vous ayez réglé vos différends, lui ai-je dit.

Parce que après tout, le monde des adultes n'était pas vraiment constitué de sacrifices. Non, c'était plutôt une question de décisions ; de décisions importantes auxquelles il fallait faire face. Et ce n'était pas toujours facile. Mais on s'y faisait de toute manière, parce que c'était ça être grand.

Au final, être adulte ça n'avait rien à voir avec les sacrifices. C'était de choisir ses combats.

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